En 1962, au terme de huit années d’un conflit atroce, l’Algérie arrache son indépendance à la France. Le combat, politique, puis militaire, fut aussi culturel : basée à Tunis, la troupe artistique du Front de Libération Nationale dénonçait l’idéologie coloniale et militait en musique pour une Algérie libre.
Cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet 1962, la guerre de libération, longtemps incapable de dire son nom, se raconte dans la presse, sur les ondes, les écrans et confronte toujours ses mémoires déchirées, de part et d’autre de la Méditerranée.
On interroge les appelés, les résistants, les habitants de la Casbah, les pieds-noirs, les maquisards, les officiers, mais quid des musiciens ?
Chanson révolutionnaire
La place de la musique dans la guerre de libération nationale, qui dura de 1954 à 1962 est largement sous documentée. Pourtant, elle a tenu une place essentielle dans la mobilisation, puis la résistance algérienne.
Rempart contre l’assimilation culturelle française dès les années 40, émergence d’une expression de l’identité algérienne, véhicule de messages codés ou d’hymnes patriotiques, la chanson a accompagné la marche des Algériens vers l’indépendance.
A tel point qu’à Tunis, pendant l’été 1958, plusieurs artistes rejoignent les cadres du Front de Libération Nationale, qui ont installé leur base-arrière dans ce pays frontalier, indépendant depuis mars 1956.
Loin du conflit qui se durcit à Alger et impose couvre-feu et censure, ils fondent la troupe artistique du FLN, le versant culturel d’un combat politique et armé, où la musique et le théâtre inventent une nouvelle forme de propagande.
L’historienne Naïma Yahi insiste sur l’enjeu de cette résistance culturelle : « Les Algériens ont gagné la guerre par la justesse de leur combat, et la propagande des artistes, des intellectuels ou des écrivains militants comme Kateb Yacine, a été aussi important que les armes ».
Ne pleure pas
Bientôt, la radio prend une importance capitale dans le soutien moral des familles et des maquisards de l’est du pays. Les trafics d’armes, d’hommes, de munitions sont tels entre l’Algérie et la Tunisie qu’à partir de 1959, l’armée française pose tout au long de la frontière des radars, un réseau barbelé puis électrique, pour asphyxier les maquis.
Seul lien avec l’extérieur, les ondes de Radio Tunis et de Sawt Al Arab du Caire, inondent les maquis de chansons révolutionnaires… Beaucoup d’artistes émigrés en France rejoignent Tunis et s’engagent dans la troupe.
L’Oranais Ahmed Wahby, rentré dans les annales de la musique algérienne pour Wahran, Wahran, reprise par Khaled des années plus tard, chante Ya Djazaïr, O Algérie, un hymne nationaliste enregistré en Yougoslavie.
Le Kabyle Youcef Abdjaoui rejoint également la capitale tunisienne, après avoir enregistré un premier disque à Alger en 1958. Farid Ali, originaire de la région de Tizi Ouzou en grande Kabylie, incarne lui aussi ce militantisme culturel.
Cordonnier à Alger dans les années 40, il tient dans les années 50 un café à Boulogne-Billancourt. En France, il forge son nationalisme et se met à la musique, puis est accusé d’avoir fomenté un attentat contre un responsable de la radio française, l’ORTF.
Il est expulsé et retourne en Algérie. Arrêté en 1956, dans sa région natale, à Bounouh, il connaît la prison et la torture. A sa libération, il s’engage dans la troupe artistique du FLN et compose en une nuit A yemma azizen sher u rettru : « Mère chérie, ne pleure pas, je te vengerai ».
Ce morceau devient l’hymne des moudjahidines et des familles algériennes. Coffret Inéluctable, la question algérienne s’internationalise et divise le monde.
La troupe artistique du FLN, part en tournée dans les pays amis arabes et ceux du bloc de l’Est : l’Egypte de Nasser, la Lybie, le Maroc, la Chine ou la Yougoslavie de Tito et les sensibilise au bien-fondé de la cause algérienne.
C’est d’ailleurs en Yougoslavie qu’est gravé le seul enregistrement de la troupe du FLN, que l’historienne Naïma Yahi a recherché dans les archives de la Bibliothèque Nationale de France.
« C’est un coffret de 33 tours et de 45 tours enregistrés entre 1959 et 1960, sous la direction du dramaturge Mustapha Kateb, où l’entend notamment une chanson d’Ahmed Wahby avec un chœur d’enfants tunisiens et algériens.
Il chante : ‘Tu peux parler aux De Gaulle, tu peux aboyer, il est écrit que le peuple algérien ne déposera pas les armes’ ». Au bout d’intenses négociations politiques, l’indépendance algérienne est finalement proclamée le 5 juillet 1962.
Après l’ivresse de l’indépendance, les décennies suivantes furent souvent bien amères pour les artistes. En 1962, Youcef Abdjaoui prit la tête de l’orchestre de variétés kabyle à la radio algérienne jusqu’en 1969, avant d’émigrer en France.
Farid Ali enregistra plusieurs titres chez Philips, avant de connaître à nouveau la prison, sur ordre du FLN. Il fut décoré à titre posthume, le 5 juillet 1987, par le président Chadli Bendjedid, lui aussi ex-combattant et président du même Front de Libération Nationale.
Pendant ces cinquante années d’indépendance, l’Algérie a pris pour cible les artistes à de nombreuses reprises, avant, parfois, de les réhabiliter. Souvent trop tard…(Rfi)