L’Algérie célèbre, aujourd’hui, le double anniversaire de la fête de l’Indépendance nationale et celle de la Jeunesse dans un contexte marqué par une accélération du processus de réformes politiques qui ne manqueront certainement pas de restituer leur symbolique aux repères qui ont été à la source de la grandeur du peuple et de son pays.
Cette journée mémorable est à jamais gravée dans la mémoire collective d’une génération qui vécut, ne serait-ce l’enfance, les affres de l’ère coloniale. M. Taouel, consultant auprès d’entreprises économiques se souvient encore de cette date historique comme si c’était hier. «Quand bien même j’étais un talentueux narrateur, je ne saurais restituer à l’événement toutes ses facettes, toute son âme…
Le 5 Juillet 1962, de mémoire d’Algériens, nos villes et villages n’ont jamais connu une aussi inqualifiable liesse populaire. Imaginez l’euphorie dans laquelle est plongé tout un peuple envahi par le sentiment de délivrance. Ce fut assurément une date mémorable pour tous les Algériens qui ont subi l’oppression.
La liesse fut d’autant plus indescriptible que tous les Algériens, indépendants, eurent en commun un sentiment de fierté pour avoir combattu et battu le colonisateur. Les couleurs nationales couvraient tout le pays.
Et d’ajouter que le 5 Juillet signifiait «une nouvelle vie faite de liberté pour tous ceux qui ont connu les sévices des tortionnaires, dans les geôles du colonisateur ou encore pour tous ceux qui écumaient les maquis en affrontant la rudesse du temps». M. Abassi se dit frappé par des images qu’il revoit à chaque célébration d’une fête nationale comme celles de ces mamans «descendues dans les rues et dont les youyous emplissaient le ciel.» Mais notre interlocuteur bascule vite dans le présent pour dire «combien de jeunes connaissent aujourd’hui les faits historiques.»
La génération d’aujourd’hui est en droit d’attendre des historiens et des acteurs de la guerre de Libération nationale une écriture plus fidèle de l’histoire et de ses hauts faits d’armes.
Cela, enchaîne-t-il, est d’autant plus impératif que la perte de repères, nous l’avons malheureusement eu à le constater et le vivre, peut mener à des dérives graves.» Et de déplorer cette faille, tout en émettant le vœu que «l’histoire de l’Algérie soit prise en charge par des historiens algériens et que des efforts réels se fassent pour restituer aux faits d’armes qui ont jalonné la guerre de Libération nationale leur véritable portée. Les historiens et les pouvoirs publics partagent la responsabilité de l’écriture de l’histoire.» Notre interlocuteur n’omet pas de rappeler que le Président Bouteflika porte beaucoup d’intérêt à l’écriture de l’histoire notamment celle de la guerre de Libération nationale. Ses instructions dans ce sens sont claires et les moyens mobilisés pour la réalisation de cette entreprise sont aussi significatifs.
Il faut passer à l’acte et casser tous les tabous. Dans l’intérêt de la nation. Il est temps de rendre au pays ce qui lui appartient, lui qui a enfanté des hommes ayant combattu pour la liberté, milité pour l’émancipation des peuples opprimés. Mohamed Amine, employé dans une entreprise privée, corrobore ces propos mais insiste beaucoup sur le fait qu’ «il faille intéresser les jeunes générations à l’histoire de leur pays, ces jeunes qui au gré de la conjoncture ne sont pas beaucoup imprégnés du culte de la patrie. Mais nous avons eu à le constater en plusieurs occasions les jeunes qui semblent en marge de tout ce qui se fait ont exprimé leur attachement au pays avec un enthousiasme exceptionnel. A mon avis, il y a en eux quelque chose d’intériorisée et qu’il faut savoir raviver. Le 5 Juillet reste entre autres événements nationaux l’occasion par excellence de redonner aux faits historiques toute la portée de leur symbolique. C’est à ce prix que l’on remplit le devoir de mémoire et de préserver l’histoire de la déperdition certaine et préjudiciable.»
S. Lamari
La France et le devoir de repentance : Au nom de la laïcité !
«Il faut regarder notre passé commun en face». Par cette déclaration, tenue lors de sa dernière visite à Alger, le ministre des Affaires étrangères français, M. Alain Juppé a étalé tout le malaise de la classe politique française vis-à-vis de son passé colonial, en particulier envers l’Algérie. En effet, 50 ans après, les stigmates restent apparents à travers le discours officiel dans l’Hexagone tout bords confondus.
De la gauche à la droite, le refrain est le même mais avec des nuances très souvent contradictoires qui laissent cependant apparaître une grande gêne sinon une phobie du miroir.
Le reflet que transmet ce dernier n’est au fait que les spasmes qui parcourent et secouent la France officielle. C’est dire que la guerre d’Algérie revient à chaque fois pour animer un débat politique français ravivé très souvent par des historiens qui en quête de vérité pour les uns ou simplement des tâcherons au service d’une cause perdue pour les autres.
Le discours politique à consommation local y puise dans cette dernière catégorie son essence. Et dans ce cas chacun y va avec ses propres arguments.
Si pour M. Juppé l’Algérie «a raison d’évoquer le devoir de mémoire», il est logique que le devoir de «conscience», expression chère à M. Chevènement, doit impérativement mener à la repentance et non à un exercice de «charlatanisme».
Et n’en déplaise à ce grand «ami» de l’Algérie, la «connotation religieuse» (l’expression est de lui ndlr), contenue dans le «pardon» ne doit en aucun cas justifier l’attitude et le discours officiel de la France à l’égard de son passé colonial en Algérie.
Car, n’est ce pas au nom de cette «laïcité» brandit à chaque occasion comme un faire-valoir et non comme valeur sûre que des crimes comme celui de Mai-45 ont été commis ? N’est ce pas encore sous cette même République laïque que les atrocités les plus abjectes ont été perpétrées contre un peuple qui n’aspirait, en fin de compte, qu’à être libre. Alors comment peut-on prétendre, aujourd’hui, que cette notion de laïcité de l’Etat français puisse s’opposer au devoir de repentance.
«Cachez-moi cette repentance que je ne saurai dire». Cette tartufferie sort hélas droit d’un langage diplomatique qui se veut pourtant mais en apparence tourné vers l’avenir.
M. T.
Colonialisme : un seul synonyme extermination
La colonisation française en Algérie a fait que le peuple algérien ait été spolié de ses biens et privé du droit au savoir afin que soient effacées toutes ses principales valeurs humaines. Le peuple, en entier, a été dépossédé de son identité et de ses droits, c’est celui-là le vrai visage du colonialisme. Car il a un seul synonyme, l’extermination. A ceux qui font l’apologie du colonialisme et veulent faire croire qu’il a apporté aux Algériens la civilisation il faut revenir sur les pages douloureuses de l’histoire de notre pays.
Le 5 juillet 1830, Alger tombe aux mains des troupes françaises du général de Bourmont. La » conquête » de l’Algérie fut cependant longue et douloureuse : la résistance conduite par l’Emir Abdelkader va durer dix-huit ans.
» Nos soldats n’ont pas reculé devant le meurtre de vieillards, de femmes et d’enfants. Ce qu’il y a de plus hideux, c’est que les femmes étaient tuées après avoir été déshonorées « , écrivait le 18 octobre 1841, M. Chamagarnier, officier français, cité par Charles André Julien (Histoire de l’Algérie contemporaine, PUF). Et ce n’était-là que le préambule d’une longue nuit coloniale. De Charles X à la III république une politique de colonisation des plus monstrueuses fut appliquée à la lettre sur le territoire algérien devenu colonie française. Les terres fertiles des Algériens ont été confisquées de force pour être distribuées aux colons, en majorité des vagabonds venus d’Espagne, d’Italie et de France. Au nom du colonialisme, ils se sont vus devenir de riches propriétaires terriens. L’Algérien spolié de ses biens est devenu “khames”.
C’était le schéma général. Le pays a connu ainsi un développement à deux vitesses. D’un côté les Européens qui profitaient de ses richesses. De l’autre des Algériens qui mouraient de faim devant l’indifférence totale. Mais quand il s’agissait d’aller combattre pour l’honneur de la France, l’administration coloniale ne trouvait pas de scrupules à aller recruter des Algériens. Selon les historiens 25.000 jeunes Algériens trouveront la mort lors de la Guerre de 14-18. Durant la Seconde Guerre mondiale, la France n’hésitera pas à faire de même. En contrepartie du droit à l’autodétermination (discours de de Gaulle à Brazzaville), 150.000 Algériens prendront part à la guerre contre le nazisme. Grâce au courage des tirailleurs algériens la Corse, Toulon, Marseille, Mulhouse et Strasbourg seront libérés. Ils ont été les premiers à traverser le Rhin et à pénétrer en Allemagne. A leur retour, les rescapés de la guerre des tranchés découvriront que cette France partie à la guerre contre le nazisme massacrait les leurs en guise de remerciements pour leur sacrifice.
Le Président Bouteflika dans un éditorial à un hors série de la revue Jeune Afrique en 2002 , rappelait fort à propos ce qu’a laissé la colonisation a qui certains trouvent encore des vertus. Sur une population de 10 millions d’habitants, on comptait alors à peine 2.600 bacheliers et 900 étudiants. Les Algériens étaient privés de savoir. Le taux d’analphabétisme était estimé à 85%. Pas seulement 800 villages furent brûlés durant la guerre de Libération. A l’indépendance on découvrait un solde négatif du Trésor public de l’ordre de 240 milliards de centimes. Ces chiffres sont effarants mais ils ne disent pas tout. La détresse des orphelins et des veuves, les destructions culturelles ne trouvent place dans aucun bilan chiffré.
Nora Chergui