La rue Algérienne s’exprime «Moubarak a commis, qu’il assume»

La rue Algérienne s’exprime «Moubarak a commis, qu’il assume»
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La plupart des Algériens interrogés dans les rues d’Alger approuvent le jugement du président égyptien déchu. «Il a commis, qu’il assume», disent-ils unanimement, espérant voir tous les autres dictateurs arabes jugés de la même manière. Islam : «Il a fait beaucoup de mal à l’Égypte»

Assis sur un tabouret, Islam, 21 ans, suivait le procès en direct sur El Jazeera dans sa boutique de prêt-à-porter pour hommes, située à la rue Hassiba-Ben-Bouali. C’est dans la presse nationale arabophone qu’il a appris le jugement de Hosni Moubarak. «C’est un évènement important, c’est le fruit de la révolution, nous assistons à la fin de la partie», dit-il.

La maladie du président égyptien ne l’émeut pas, Islam estime qu’il a fait beaucoup de mal aux Egyptiens et qu’il doit assumer maintenant. Le jeune vendeur vient à peine de sortir de prison, il a été accusé de vol, il est en procès en ce moment. «C’est une erreur, je n’ai rien commis. J’ai été emprisonné à El Harrach et je sais ce que c’est. J’ai vu des cas pire que Moubarak. Des détenus dans un état lamentable, un vieux de 78 ans qui ne pouvait pas marcher, un autre incarcéré avec un appareil implanté dans son cœur et qu’il transportait tout le temps ! Comparé à ces personnes, Moubarak est chanceux.» Ses yeux ne quittent pas l’écran de télévision, la présentatrice vient d’annoncer le renvoi du procès. Avant de changer de chaîne, il enchaîne : «Dans les prisons, y a que les pistonnés et les hauts placés qui ont le droit aux soins.

C’est le cas de Moubarak, il paraissait en pleine forme ce matin.» Pas trop porté sur la politique comme beaucoup d’Algériens, le jeune vendeur s’intéresse à l’actualité depuis peu, depuis les récents évènements qui ont secoué certains pays arabes. Il regarde les chaînes satellitaires arabes pour savoir ce qui se passe en Libye, en Syrie et en Egypte. «Le procès doit être équitable, il faut des preuves tangibles pour condamner Moubarak. Des vidéos ou des documents car les témoignages peuvent être faux. S’il n’y a pas de preuves, ça ne sert à rien, faut le relâcher !» Islam n’est pas toujours scotché à son téléviseur, généralement, tout dépend de l’évènement et de son intérêt. «Il y a aussi les séries turques que je ne rate jamais», confie-t-il en affichant un large sourire.

LG Algérie

Baya : «Il doit assumer ses prises de position politiques»

«Il doit payer pour tout ce qu’il a fait. Les Égyptiens ont en marre ! Ça suffit!», s’écrie Baya. Agée de 59 ans, voilée, elle paraît beaucoup plus jeune. Femme au foyer, elle ne s’intéresse pas à la politique, ce sont les derniers évènements qui l’y ont poussée. «C’est normal, nous devons savoir ce qui se passe autour de nous», justifie-t-elle dans un français parfait.

Avant de sortir faire ses courses, elle a pris le temps de regarder la télévision, des flashs d’information montrant en direct le procès, Moubarak sur une civière et ses deux enfants debout à ses côtés. «J’espère que ça sera pareil pour le président tunisien Zine El Abidine. Inch’Allah ! Que ces voleurs rendent tous ce qu’ils ont pris au peuple. Que le peuple puisse en profiter et mener une existence luxueuse, comme la leur. Pourquoi pas ?» Pour Baya, Moubarak a soutenu les Israéliens et a tourné le dos à la cause palestinienne, il a conduit son pays à la déchéance. «En Égypte, il n’y a pas de classe moyenne, il y a les riches d’un côté et les pauvres de l’autre !» Couturière occasionnelle exerçant chez elle, Baya pense que tous les présidents sont pareils, ils ne pensent jamais à leurs peuples, c’est même le dernier de leurs soucis. «Ils ne bougent que lorsque c’est trop tard, que lorsqu’il y a le feu en la demeure ! C’est tout ce qui les fait réagir, la peur.»

Kaddour : «Que l’on juge tous les dictateurs arabes»

Ouvrier, Kaddour marchait dans la rue, feuilletant avec intérêt un journal arabophone. C’est un féru de politique, il ne rate rien. Mercredi, il a allumé sa télévision à 8h30 et a suivi le procès jusqu’à 10h. «Je suis heureux, très heureux même du procès. Je suis sorti de chez moi en priant fortement qu’il soit condamné. J’espère que ça sera le cas pour tous les régimes arabes. Quand la caméra filmait Moubarak, il se cachait la tête avec la main, il ne voulait pas être montré.» Kaddour raconte la scène plusieurs fois, cette image l’a visiblement marqué. Le président déchu, qui a dépassé les 80 ans, malade et jugé sur une civière, tout cela ne l’interpelle pas. «Je pense aussi aux 1 000 personnes tuées lors des évènements et à leurs familles. J’ai de la peine pour eux. Moubarak, comme la plupart des présidents arabes, vivait comme un pacha, dans la luxure, il changeait de femmes, de voitures et détournait les deniers publics.» Kaddaour espère profondément que les autres dictateurs arabes soient jugés de la même façon. «El Kaddafi et Bachar El Assad et même notre pouvoir. Ce sont des présidents injustes. Je reviens de la Grande-Poste où les familles qui ont perdu leurs enfants, kidnappés par des pirates somaliens, manifestaient. Elles ont été refoulées par la police. C’est honteux.» Le procès de Moubarak et ses enfants, pour cet ouvrier père de trois enfants, permettra un véritable changement en Egypte. «Il y aura une période de transition. C’est obligatoire. Les Egyptiens doivent être patients.»

Mohamed : «On ne juge pas un homme mais tout le régime»

Professeur d’histoire à l’Université d’Alger, Mohamed, 49 ans, est attristé par le déroulement du procès. Il estime que toutes les bonnes conditions pour un procès équitable sont absentes. D’abord Moubarak est malade, son état de santé ne lui permet pas d’être jugé. «Ça ne sert à rien de le faire comparaître, il ne peut même pas se défendre. Par ce procès, les militaires souhaitent absorber la colère du peuple et arrêter les manifestations dans la place Tahrir». Mohamed ajoute que l’Egypte n’est pas stable, que les nouveaux parlements et gouvernement n’ont pas encore été mis en place et que les lois égyptiennes tant décriées n’ont pas été réformées. «On ne juge pas un homme mais tous ceux qui symbolisent l’ancien régime. Non ! Où sont les autres inculpés.

Moubarak a régné pendant 30 ans et il n’était pas seul !» Irrité profondément par cette mascarade politique et médiatique, Mohamed explique que le procès devrait également s’ouvrir aux autres responsables impliqués, comme ceux de la sécurité, de la police, des services secrets, du ministère de l’Intérieur… La liste est longue et ce n’est pas une question de jours. «On refait le même scénario de Saddam Hussein. Un bouc émissaire pour faire croire à la fin d’un dictateur, d’un régime alors que ce n’est pas vrai ! Le changement ne peut venir ainsi ! Ce n’est pas possible. L’Etat doit se constituer pour être capable de juger ceux qui lui ont fait du mal et redémarrer ainsi sur de bonnes bases.»

I. B.