La république interpellée, L’extermination des Mozabites a-t-elle commencé?

La république interpellée, L’extermination des Mozabites a-t-elle commencé?

L’extermination des Mozabites a-t-elle commencé?

Ethnocide? Génocide? Conflit confessionnel? Quelle que soit la qualification que l’on veut bien attribuer aux maints incidents qui se sont produits à Ghardaïa, la tragédie, elle, porte un nom. Il est immuable. Il incarne le mal.

Ils sont les «oubliés» de la République. Ils n’ont ni ministres, ni walis, ni ambassadeurs. L’Etat est insensible à leur malheur. Une vraie tragédie se joue à quelques centaines de kilomètres d’Alger. Dans une totale indifférence de l’opinion publique. Du gouvernement. Et de sa classe politique. Les Mozabites font l’objet, depuis plusieurs années déjà, de provocations, d’agressions et d’atteintes à leurs biens sans que le pouvoir central d’Alger daigne enrayer ce qui, maintenant, se transforme en tensions confessionnelles chroniques entre les habitants de cette cité historique.

Les victimes sont connues. Ce sont ces Algériens de confession musulmane, dont les ancêtres ont adopté le rite ibadite. Elles ont toujours cohabité en bonne intelligence avec les autres rites musulmans. Que ce soit à Berriane ou à Ghardaïa, l’atmosphère a toujours été à l’apaisement. Durant la période coloniale, les deux communautés ont vécu en bonne intelligence. Pourquoi le feu brûle-t-il aujourd’hui dans cette citadelle réputée pour sa tolérance, son sens de la solidarité et son patriotisme? Bien que vous pourriez réagir en rétorquant: combien d’hommes, de dirigeants, de savants ont été effacés des tablettes de l’Histoire? Il reste que la communauté ibadite a donné de grands noms à l’Algérie et à sa Révolution. De Moufdi Zakaria qu’Abane Ramdane avait choisi lui-même pour écrire Kassaman, notre hymne national, aux deux vénérables cheikhs El Bayoud et Addoun, sans compter les centaines d’éminents cadres qui ont contribué à la libération du pays puis à sa reconstruction, les Mozabites ont été pour nous tous un modèle de comportement, de valeurs, d’initiatives, de gestion et d’efficacité. L’ancien président, feu Ahmed Ben Bella, ne s’était pas trompé en confiant dans son premier gouvernement le poste de ministre du Commerce à un Mozabite qui avait pour nom Mohamed Khobzi. Ce dernier épatait la galerie à Dar El Beïda en prenant les commandes d’un petit avion piper pour une démonstration aérienne de premier ordre. De grands commis de l’Etat ont laissé les meilleurs souvenirs dans les institutions qu’ils ont eues à diriger. Parmi eux figuraient de grands banquiers et d’illustres ambassadeurs, universitaires et médecins.

Lors de sa première visite en Tunisie, fin 1957, le futur colonel Amirouche, déjà auréolé de sa gloire sur les champs de bataille, avait été l’hôte des Mozabites réfugiés dans la capitale. Mohamed Seddik, professeur d’arabe retraité, raconte: «Amirouche avait été frappé par l’accueil exceptionnel de cette communauté. Ce fut une véritable fête. Pendant plus de trois heures, il parlait tantôt en arabe, tantôt en kabyle, tantôt en français à une assistance de plus de trois cents notables. Amirouche a tenu à les remercier du soutien qu’ils apportaient à la Révolution. Et surtout pour la contribution financière, sans commune mesure, qu’ils fournissaient pour l’achat d’armes, de médicaments et de matériels. ‘Je salue votre sens de la discipline et de l’organisation. Vous êtes un exemple pour tous les Algériens », leur a-t-il dit.»

Nos frères mozabites vivent une situation dramatique. Depuis plus d’une décennie, ils sont agressés, insultés, brimés. Leurs commerces sont pillés. Et pis encore, leurs familles sont condamnées à demeurer enfermées dans ce qui reste de cette célèbre cité interdite qui ressemble à un ghetto! Aujourd’hui, faute de solution, il ne reste que la stratégie du pire. De la haine pour les gens d’en face qui veulent les ravaler à un degré de sous-êtres humains. Des morts et des blessés, il y en a eu. Mais la spirale de la violence s’enfle à chaque saison. Les perdants, ce sont eux. C’est aussi l’Algérie. Parce qu’ils sont les oubliés d’un régime qui ne regarde pas plus loin que le bout de son nez. Ils refusent d’être les lépreux de la République. Sur fond d’anxiété, de doutes et de jérémiades, la vie des Mozabites est devenue un enfer.

Dans toutes ces confusions hystériques, comme s’il y avait une vertu de l’entêtement, il y a les Chaâmbis. Derrière toute cette tragédie, ce sont eux qui ont allumé les feux de la fitna. Entre Chaâmbis et Mozabites, on ne réfléchit pas. On ne dialogue plus. On cogne!

La réalité des faits est accablante. Ni le gouvernement ni la classe politique ni l’élite médiatique ne se sont emparés du mal qui ronge la communauté mozabite. Jusqu’à quand accepteront-ils de jouer le rôle ingrat des marginalisés de la République?

En haut lieu, nos ministres, les plus concernés par ce drame, sont-ils décidés enfin à réagir, à retrousser leurs manches pour donner un coup d’arrêt à toute cette violence contre une minorité religieuse qui a tous les droits d’exiger de l’Etat de la protéger et de lui assurer la sécurité des biens et des personnes? Il y a certainement des remèdes aux folies du fanatisme.

Le gouvernement Sellal doit vite réagir. Et avec lui, les partis politiques. Sinon, on saura dès lors que nous vivons dans une République poltrone. Et sans principes.