La rentrée sociale commence en trombe, avec la fermeture de dizaines de sièges d’APC et de daïras et avec également un front de contestation bouillonnant dans les rangs des fonctionnaires pré-emplois.
Ces derniers, dont le salaire varie de 8 000 à 12 000 dinars selon le dispositif social qui le prend en charge (Das ou Anem), seraient au nombre de 600 000. Après plusieurs promesses d’intégration, ils se sentent à chaque fois »menés en bateau » par l’administration publique qui les emploie, pour certains d’entre eux, depuis plus de quatre ans. Ils comptent, cette fois-ci, faire entendre leur voix dans les 48 wilayas du pays dans des manifestations publiques prévues pour le 16 septembre prochain, actions qu’ils prolongeront le 29 septembre par un regroupement dans la capitale.
Outre la dégradation de la qualité et du niveau des services publics, le niveau de vie, rongé par une inflation galopante, ne cesse de connaître ses heures tendues à l’ombre d’une embellie financière qui ne se dément pas depuis plusieurs années. Les sorties régulière du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, dans les wilayas depuis presque douze mois ont révélé une grande part de l’Algérie qui souffre et qui se sent marginalisée. Sur les lieux, le premier responsable de l’Exécutif a même eu à »légitimer » les actions de protestation des travailleurs et des citoyens. Il reconnaît que, malgré les efforts de développement et les sommes colossales injectées dans les plans quinquennaux, de patents déséquilibres persistent entre les régions du pays et entre les catégories de la population.
En effet, que peut représenter un salaire de 8000 ou 12 000 dinars en Algérie, lorsque l’on sait que même le salaire national minimum garanti (Snmg) est fixé à 18 000 dinars depuis la dernière Tripartite de 2011, et lorsqu’on considère également les gros salaires que prennent les P-dg des entreprises publiques et les députés? Les observations de la Banque d’Algérie sur l’inflation, données par son gouverneur, Mohamed Laksaci, la semaine dernière, confirment l’érosion du pouvoir d’achat et l’inanité des augmentations successives des salaires tant que l’économie nationale demeure amorphe sur le plan de la compétitivité, de la diversité des ses activités et de la croissance de l’offre.

Faisant la relation avec les indications de la Banque mondiale, qui établissent que les personnes vivant avec moins de dollars par jour sont considérées comme pauvres, Djelloul Djoudi, membre de la direction du Parti des travailleurs (PT), a déclaré la semaine passée que, au regard de cette définition, une grande partie des Algériens sont »qualifiés » pour être classés parmi les populations pauvres. Selon des statistiques datant du milieu des années 2000, la proportion des Algériens vivant avec un revenu situé sous la barre de deux dollars par jour (soit 160 dinars) est de 15 %. Ce qui représente presque 6 millions d’habitants.
La Tripartite (gouvernement-syndicats-patronat) qui se tiendra dans quelques jours, tout en se fixant pour priorité la relance économique et l’amélioration du climat des affaires, ne manquera pas de mettre sur la table les dossiers sociaux les plus saillants, particulièrement ceux qui risquent de menacer la paix sociale, dans une conjoncture politique particulaire marquée par un intrigant stand-by et par l’approche des échéances des élections présidentielles.
Un contexte délicat
Le contexte extérieur, lui non plus, ne bénéficie pas de répit. Les soubresauts du Printemps arabe ne cessent d’envoyer leurs messages dans les pays qui n’en sont pas encore touchés. Sur le plan des exportations des hydrocarbures, le marché mondial peut réserver des surprises. Après qu’une certaine régression de la consommation énergétique eut été enregistrée en Europe, en Amérique ou en Chine- ce qui induirait un net recul des recettes des pays exportateurs de pétrole à l’exemple de l’Algérie-, l’éventualité de frappes aériennes sur la Syrie avait, il y a dix jours, fait grimper les cours du baril pour deux ou trois jours.
Derrière le souci de la performance et de la stabilité économiques, recherchées par les autorités politiques et les gestionnaires de l’économie nationale, se profile la grande préoccupation de la paix sociale. Cette dernière peut ne pas subir d’entraînement automatique vers le cap de sa réalisation même si la performance économique arrive à s’établir. En d’autres termes, cette performance est une condition nécessaire mais non suffisante pour ce qui est appelé aujourd’hui le développement humain.
L’on constate que, dans le contexte actuel de crise financière mondiale et de tensions politiques exacerbées, les objectifs du millénaire pour le développement, fixés par l’Organisation des Nations Unies en septembre 2 000 pour l’horizon de l’année 2015, sont difficilement atteignables, lorsque leur réalisation n’est pas carrément compromise dans certaines régions du monde rongées par des conflits communautaires. L’Algérie est naturellement signataire, avec 188 autres pays, de la plate-forme portant ces objectifs. Ces dernier se déclinent en huit axes: réduire l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre l’épidémie su Sida, le paludisme et les autres maladies, assurer un environnement humain durable et, enfin, construire un partenariat mondial pour le développement.
Les pays signataires des objectifs du millénaire sont tenus de se rapprocher de ces idéaux, à défaut de les réaliser entièrement. En tout cas, c’est là un challenge difficile à relever dans une situation de crise protéiforme et à rebonds successifs. C’est même une réelle gageure pour des pays qui sont soumis non seulement aux contractions et spasmes de la crise mondiale, mais également aux dictatures locales qui ont privatisé l’Etat et constitué des mafias de l’économie au détriment du développement. Il y a une espèce de solidarité de facteurs destinés à s’opposer au processus de développement humain. Cette synergie des aléas externes qui pèsent sur les peuples et les communautés se prolonge par réalités et des processus qui échappent quelque peu aux volontés nationales. Le cas de l’Algérie est, dans ce contexte, assez explicité. Il s’agit d’une économie extravertie, nourrie par la mono-exportation des hydrocarbures, et par une insertion boiteuse du pays dans le processus de mondialisation. L’Accord d’association avec l’Union Européenne et la prochaine entrée de l’Algérie dans l’Organisation mondiale du commerce sont vécus dans un état d’extrême fragilité par nos entreprises et notre appareil de production. Donc, plusieurs facteurs se sont ligués pour faire peser sur le développement socioéconomique des populations une véritable hypothèque.
Une grave dichotomie
Les redressements promis par le gouvernement de Abdelmalek Sellal dans le corps même de l’économie nationale- dans le sens de l’élargissement de la base productive nationale et de l’amélioration du climat d’investissement-et les idéaux de justice sociale et de lutte contra la corruption, pourront, s’ils quittent la position des simples virtualités, insuffler de nouveaux espoirs au sein des populations pour la réalisation d’un développement humain solide et harmonieux. Dans le cas contraire, la rébellion sociale risque de connaître de nouveaux rebondissements et les indices de développement humains subir de nouveaux revers.
La tendance franche de l’actualité nationale, observable depuis le début de l’année 2011, demeure incontestablement les mouvements sociaux, même si l’actualité politique s’enrichit par…l’ appauvrissement du champ de la réflexion et de la maturité des formations politiques.
Revendications relatives au rehaussement des salaires, grèves dans plusieurs secteurs de l’administration et dans les entreprises, contestations de certaines privatisations, émeutes induites par la distribution de logements, par les coupures d’eau ou d’électricité, en plus des actes d’émigration clandestine, de suicide par immolation par le feu,…etc. Les remous que connaît habituellement la rentrée sociale ne sont que le sommet d’un comportement social réellement inscrit dans la durée. Ces remous illustrent, pour l’autorité politique et les analystes de la scène nationale, le fossé, toujours à l’œuvre, entre l’Algérie officielle- celles des programmes quinquennaux, de la justice sociale, de la performance de l’école, de la réussite de l’Université, de la lutte contre la corruption- et l’Algérie des grandes disparités sociales, du »piston », de l’échec scolaire, des universitaires chômeurs et de la corruption généralisée. C’est là une grave dichotomie qui déteint immanquablement sur la cohésion sociale et sur la santé politique du pays.
Par Saâd Taferka