Un appel solennel est lancé à l’Etat algérien afin de réhabiliter par un discours officiel la mémoire du défunt Ferhat Abbas, premier président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), en donnant son nom à un édifice prestigieux à Alger.
Les participants à l’hommage rendu hier à Ferhat Abbas au centre de presse du journal El Moudjahid, en commémoration du 25 anniversaire de son décès, ont été unanimes à regretter le sort réservé à ce grand homme après l’indépendance de l’Algérie à laquelle il a tout donné.
Une assistance nombreuse, parmi laquelle les membres de la famille du défunt, des universitaires et quelques personnalités politiques telles que Benbitour Ahmed et Boudjemaâ Haïchour, a assisté à cet hommage organisé à l’initiative de l’association Mechaâl Echahid.
Toutefois, des personnalités historiques nationales conviées à cet hommage ont préféré ne pas y assister. C’est le cas de MM. Abdelhamid Mehri, de Réda Malek et d’Abderrahmane Chibane qui se sont excusés de ne pouvoir y participer, «chacun pour des raisons qui lui sont propres», a expliqué M. Abbad, président de Mechaâl Echahid. Premier à intervenir, l’universitaire Ammar Belkhodja a retracé le parcours militant de Ferhat Abbas depuis les années 1930 jusqu’à la période postindépendance où il tomba en disgrâce et fut interné au Sahara à deux fois.
M. Belkhodja a mis l’accent sur «l’ouverture d’esprit» du défunt, qui a su et pu, a-t-il dit, «mobiliser plusieurs intellectuels français et les convaincre de rallier la cause du peuple algérien». Il a cité entre autres personnalités françaises, «Francis Jeanson qui a adhéré aux Amis du Manifeste en 1949 et le philosophe Jean-Paul Sartre».
De son côté, l’universitaire et chercheur en histoire de la révolution algérienne et du mouvement national, Mohamed Corso, est revenu longuement sur la polémique qui a opposé Ferhat Abbas au cheikh Abdelhamid Benbadis suite à la publication de Abbas de son célèbre article «La France c’est moi», en 1936.
Le Pr Corso a mis l’accent sur le débat entre les deux hommes qui fut un débat d’idées, mais n’a pas influé sur les bonnes relations entre les deux hommes. «Malgré leurs différences politiques et idéologiques et en dépit de la polémique qui avait éclaté entre les deux hommes, Ferhat Abbas et cheikh Benbadis étaient très proches», a dit M. Corso, regrettant que cette politique soit «travestie et dénaturée» par certain milieux du mouvement national qui ont continué à la reprocher à Ferhat Abbas même après l’indépendance du pays.
Pour illustrer les «liens étroits» qu’entretenaient Benbadis et Ferhat Abbas, le Pr Corso a rappelé que celui-ci avait accompagné Benbadis lors de son déplacement à Paris après le Congrès musulman de 1937. Le chercheur a souligné, en outre, l’attachement de Ferhat Abbas à la culture et à l’identité algérienne, contrairement à ce qui a pu être dit parfois, ajoutant qu’»il était un fervent défenseur de l’islam». En outre, M. Corso a révélé que «Ferhat Abbas n’a jamais été français», se référant à des fiches de la police française qu’il a lui-même consultées en 1979.
Toutefois, regrette M. Corso, «la réponse de Benbadis à Abbas a habité nos plumes jusqu’à aujourd’hui», appelant au passage «à comprendre le vrai message de cette lettre ainsi que celle de Ferhat Abbas».
De son côté, l’écrivaine Leila Benmansour, qui a coordonné le livre post mortem de Ferhat Abbas, Demain se lèvera le jour, publié récemment, a axé son intervention sur le combat de Ferhat Abbas pour la liberté et le progrès. «L’essentiel de la lutte de Ferhat Abbas était canalisé sur l’éducation et l’instruction des masses qui étaient au cœur de sa réflexion», a-t-elle dit, expliquant que «sa pensée était structurée autour de trois volets indissociables, à savoir l’éducation des masses, l’instruction scientifique et la défense du respect et de la liberté».
Mme Benmansour n’a pas été tendre à l’égard de ceux qui ont persécuté Ferhat Abbas. «Un si grand et si généreux personnage a subi l’insupportable à la libération de son pays», a-t-elle regretté, accusant «les ennemis de la liberté et du progrès qui ont enterré son histoire».
«Nous espérons de l’Etat qu’il corrige l’histoire par un discours officiel ainsi qu’en baptisant du nom de Ferhat Abbas un édifice prestigieux à la capitale», a conclu Mme Benmansour.
Le fils du défunt Hakim et son neveu Nassim ont assuré être restés fidèles à la mémoire de leur ascendant, soulignant que Ferhat Abbas «cherchait simplement à éclairer son peuple».
H. Mouhou