La réforme tant promise par Barack Obama du système de santé américain est en train de prendre les allures d’une farce cruelle.
Il existe une terreur muette dans laquelle vit une grande partie des Américains : la maladie. Cette peur, qui ne ronge pas seulement les fameux 47 millions d’Américains qui n’ont pas de couverture médicale, est partagée par de larges pans de la société, y compris les classes moyennes.
Aux Etats-Unis, même les gens qui ont un emploi stable, une maison ou un appartement, qui bénéficient grâce à leur emploi ou à des cotisations directes d’une assurance médicale, ne sont pas assurés d’être totalement préservés en cas d’aléas importants. 62% des banqueroutes personnelles déclarées en 2007 aux Etats-Unis ont été le résultat direct d’un endettement médical et dans les trois-quarts des cas, les personnes qui ont tout perdu avaient bel et bien une assurance au moment où elles ont eu besoin de soins médicaux.
Il suffit d’un accident de la route, d’un diagnostic nécessitant une hospitalisation ou une opération chirurgicale pour que le désastre se profile. Les raisons font que souvent, les assureurs privés refusent de jouer leur rôle en prenant en charge tous les frais médicaux de clients qui ont pourtant rempli leur part du contrat en cotisant. Ces compagnies d’assurances privées, qui ne subissent aucune concurrence de la part du secteur public, règnent sur le marché de la santé en maîtres et sont les premières responsables des coûts prodigieux du système de santé américain, l’un des plus élevés au monde.
Or, le tiers de l’argent englouti par le système de santé américain va aux coûts administratifs et non aux soins proprement dits. « Les compagnies d’assurances sont le problème et non la solution.
Ce sont elles qui font augmenter vertigineusement les coûts médicaux.
A cause de leurs bureaucraties massives qui refusent de payer diligemment les factures des malades, elles obligent les hôpitaux à recruter leurs propres bureaucraties pour les combattre et éviter de se retrouver avec des montagnes de factures impayées.
Le résultat en est que depuis 1970, le nombre de médecins a augmenté de moins de 200% alors que celui du personnel administratif a augmenté de 3000% »… Celui qui parle ainsi est le congressman Dennis Kucinih, une voix isolée dans son propre camp, celui des démocrates, où se concocte depuis l’été dernier une réforme de la santé qui ne ressemble en rien à celle tant promise par Barack Obama lors de sa campagne électorale.
L’espoir parti en fumée….
Parmi les Américains qui ont voté pour Obama, l’espoir était grand de voir enfin l’épineux dossier de la santé pris en charge de manière efficace et définitive, une promesse maintes fois martelée tout au long de la campagne électorale de 2008. Il faut dire qu’aux Etats-Unis, aucun président depuis Théodore Roosevelt (qui déjà en 1912 avait mis au cœur de sa campagne électorale la promesse d’établir une couverture médicale publique nationale) n’a à ce jour réussi à imposer un véritable changement au système de santé, devenu une sorte de monstruosité incontrôlable aussi cruelle pour les malades qu’elle est honteuse pour un pays développé comme les Etats-Unis.
Avant son élection, Barack Obama avait affirmé publiquement que la seule véritable solution au problème de la santé est de faire jouer à l’Etat fédéral le rôle d’assureur universel et unique, ce qui aurait l’avantage d’offrir une couverture médicale à tout le monde et de faire baisser drastiquement les coûts médicaux. Mais une fois l’élection remportée, l’idée d’assureur unique et universel a été mise à l’écart avant même que ne soit entamé le débat au Congrès et au Sénat sur la réforme de la santé. Avant même que ne soit, en réalité, déclenchée la cabale médiatique républicaine de l’été dernier contre la réforme du système de santé promise par Obama.
Très généreusement couverte par les médias américains et internationaux, et en dépit du fait qu’elle n’ait été suivie que par une minorité tout compte fait marginale, cette campagne quasi hystérique a donné au monde l’image d’une Amérique contre toute interférence de l’Etat et viscéralement contre toute idée de solidarité entre citoyens. C’est en tout cas là le message que se sont complus à répercuter les grands médias américains et internationaux, alors que les sondages à ce jour continuent de donner environ 70% d’Américains en faveur de l’introduction d’une option publique dans le système d’assurances actuel. Il faut dire ici que le travail des grands médias a grandement facilité la tâche de l’industrie des assurances médicales et qu’il continue à ne transmettre qu’une réalité escamotée de ce que sera en vérité la réforme de la santé.
Ce qui s’en est suivi est un recul total sur toutes les promesses faites. Le texte adopté par le Congrès en octobre dernier et celui que le Sénat s’apprête à faire passer – dont les différences seront ensuite harmonisées – vont « en réalité faire empirer les choses », s’écrient ceux qui souhaitaient ardemment l’instauration d’un système à la fois plus juste et plus rationnel que celui existant. Ces voix, faut-il le souligner, sont très rarement répercutées par les grands médias qui continuent à ne couvrir les changements apportés à la loi que du point de vue de l’industrie des assurances.
Les Américains livrés aux assureurs privés
Au Congrès, quelques rares spécimens comme le démocrate Dennis Kucinih de l’Ohio ont âprement bataillé afin d’introduire un amendement qui permette aux Etats d’instaurer leur propre système de couverture unique, publique et universelle, un amendement qui a été en fin de compte rejeté. Résultat des courses : alors que les conditions politiques étaient idéales pour apporter les changements profonds au système de santé, la réforme tant attendue d’Obama, un président élu confortablement, bénéficiant d’une grande popularité et d’une majorité dans les deux chambres, n’apportera pas grand-chose aux Américains mais tout à l’industrie des assureurs !
Ainsi, la loi que préparent les démocrates n’apporte que deux changements qui tentent de rectifier les aspects les plus visiblement scandaleux du système actuel. Les compagnies d’assurances n’auront théoriquement plus le droit de refuser de couvrir les personnes ayant des problèmes de santé, ou de fixer des plafonds de dépenses au-delà desquels elles peuvent se débarrasser en cours de route de « clients devenus trop coûteux ».
Pratiques largement courantes actuellement aux Etats-Unis où des grands malades sont mis face au choix de l’endettement ou de la mort lente pour cause d’extrême cherté des soins qu’ils nécessitent. En dehors de ces deux changements présentés comme des avancées révolutionnaires – le premier est d’ailleurs purement cosmétique puisque la loi n’interdit pas aux compagnies d’assurances de faire monter en flèche le montant des cotisations réclamées aux personnes déjà malades ou âgées de plus de 50 ans – le reste du projet de loi est totalement à l’avantage de l’industrie des assureurs.
Les Américains seront de plus sommés de contracter une assurance maladie : s’ils refusent de payer une assurance, ils seront taxés de 2,5% sur leur revenu de base. Ce sont ainsi des millions et des millions de nouveaux clients offerts en pâture aux assureurs, contraints à payer des compagnies d’assurances qui leur rendent un service minable en contrepartie d’une cotisation mensuelle, et ce, alors qu’ils savent pertinemment qu’ils seront abandonnés à leur sort en cas de coup grave. Et alors qu’il était question d’apporter une véritable couverture médicale à près de 130 millions d’Américains grâce à l’introduction d’une « option d’assurance publique », ils ne seront plus que 6 millions à pouvoir bénéficier de cette nouveauté que les compagnies d’assurances ont décriée comme de la concurrence déloyale ! La révolution Obama, cette « option publique », ne sera ouverte en fin de compte qu’aux personnes que les assureurs privés préfèrent ne pas avoir à couvrir, les fardeaux peu juteux. Ce qui fait dire au magazine Rolling Stone que la réforme Obama est une « manucure appliquée sur la victime d’un tir d’arme à feu ».
Par Daïkha Dridi