La recherche scientifique : un « luxe en Algérie ! » Docteur Amar Bouhouche, professeur émérite, premier Algérien à décrocher un doctorat en sciences politiques (université du Missouri, Colombia), dresse un constat sans complaisance de l’état de la recherche scientifique en Algérie.
Faillite des politiques publiques, dévalorisation et déconsidération des branches de la recherche, absence de réactivité chez les chercheurs algériens…, le professeur en sciences politiques à l’université d’Alger, auteur de centaines de publications scientifiques, n’y est pas allé de main morte pour faire le « procès » des pouvoirs publics et celui des chercheurs algériens. « Nous n’avons pas de centres de recherches, mais des cimetières de recherche », soulignait-il hier lors de d’une conférence au Centre des études stratégiques du quotidien national Echaâb. Une conférence qui intervient quelques jours après l’annonce de l’installation d’une commission au niveau du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, chargée de l’évaluation de l’état de la recherche scientifique. « La recherche scientifique n’est pas seulement en crise, mais plus grave, on a l’impression que personne n’en éprouve le besoin, alors qu’elle peut aider à régler bien des problèmes », affirme le docteur Bouhouche. Les pouvoirs publics se sont fourvoyés, selon lui, dans une « politique erronée et infructueuse ».
« On persiste encore à ignorer la nécessité de s’appuyer sur la recherche scientifique et on penche plus pour l’importation de solutions clé en main que vers le développement de la recherche nationale. » Pour rogner sur les budgets de la recherche scientifique, présentée comme étant « trop coûteuse au Trésor public, les autorités prétextent souvent l’austérité financière et la rationalisation des dépenses publiques ». L’argent existe alors que les chercheurs sont privés de financement. A titre de rappel, le budget alloué par l’Etat au développement de la recherche est de 100 milliards de dinars pour les 5 années à venir.La crise que traverse actuellement la recherche scientifique est la conjugaison de plusieurs facteurs. Déficit en encadrement de qualité et dans les management des ressources humaines. « Les centres de recherches emploient tous ceux qui cherchent… pitance », plaisante-t-il. Dévalorisation des outils de la recherche et absence de volonté politique. Docteur Amar Bouhouche raconte à ce propos « l’histoire d’un ancien ministre des Finances parachuté directeur du Centre national des études stratégiques à la fin de son exercice ministériel, alors qu’il n’avait pas de qualifications particulières dans le domaine de la recherche scientifique ». Mais de tous les maux dont souffre la recherche scientifique en Algérie, les plus handicapants sont, selon le conférencier, ceux relatifs aux sources de financement et à son système d’organisation.
La recherche scientifique est malade, à ses dires, de « sa législation ». Une législation qui « profite » à l’appareil bureaucratique, qui fait primer « le respect des cadres juridiques et administratifs sur les objectifs de la recherche elle-même ». Les chercheurs subissent le diktat des administrateurs, regrette le professeur. « Ce sont eux et eux seuls qui décident de ce à quoi le chercheur est astreint comme objectifs de recherche ». C’est aussi la « faute aux chercheurs » qui « aiment se mettre sous tutelle et n’essaient pas de s’en affranchir ». Pour sortir de l’impasse dans laquelle s’est engouffrée la recherche scientifique, docteur Bouhouche plaide, entre autres, pour l’autonomie financière des centres de recherches. « Un système qui a fait ses preuves aux États-Unis d’Amérique et est adopté par de nombreux autres pays, dont la France qui vient d’accorder à ses 85 universités une autonomie financière », dit-il.