Si la manifestation de jeudi dernier à Ouargla était l’une des rares actions de protestation à se dérouler dans un climat de sérénité, le combat des chômeurs du Sud n’a pas livré tous ses secrets.
Et pour cause, ni les tractations précédant cet événement ni les instructions données aux walis juste après pour la prise de mesures immédiates, et encore moins la visite du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, à Béchar, ne semblent convaincre, à présent, les “activistes” du Comité national de défense des droits des chômeurs du Sud (CNCCD). Pour ces derniers, toutes ces actions réactives ne sont que de… “la poudre aux yeux”, un “vent de sable passager”. “S’ils croient qu’ils vont nous duper pour la énième fois, ils se trompent largement. Nous connaissons parfaitement les pratiques du pouvoir. Désormais, nous sommes plus que jamais aguerris, donc pas du tout faciles à manipuler”, avertit Tahar Belabès, coordinateur du CNDDC, rappelant au passage que des décisions similaires avaient déjà été annoncées par Bouteflika en 2004, mais elles n’ont jamais été appliquées sur le terrain. Ainsi, la réaction des pouvoirs publics, hâtant l’installation des “comités intersectoriels chargés du suivi et de la mise en œuvre de l’instruction n°-01 (11 mars 2013) du Premier ministre relative à la gestion du dossier de l’emploi” dans les wilayas d’Adrar, Illizi, Tindouf et Tamanrasset, n’enthousiasme guère les représentants du comité des chômeurs. Tahar Belabès déplore, en outre, la marginalisation de son organisation dans la prise de ces décisions.
“Nous ne sommes concernés ni de près ni de loin par l’installation de ces comités. S’ils (les responsables de la wilaya) vous ont dit qu’ils avaient rencontré des chômeurs, je vous affirme qu’il ne s’agissait pas de nous. Ils ont dit que des chômeurs avaient levé leur sit-in vendredi matin et qu’ils étaient invités par le wali pour l’installation de ces fameux comités. C’est faux ! Comme vous deviez le savoir, nous (représentants du CNDDC, ndlr) avions bel et bien levé notre sit-in dans la mi-journée de jeudi et nous n’étions contactés par aucune partie. Ces gens, dont ils parlent, sont leurs baltaguia”, a tenu à démentir le coordinateur du CNDDC, Che Guevara, comme aiment à l’appeler désormais ses camarades.
Échec de “l’émissaire de Bouteflika”, Tahar Belabès indique que son organisation a été, en revanche, contactée quelques jours avant le rassemblement de jeudi dernier par un “émissaire de Bouteflika”, cheikh Maârouf de la zaouïa de Sidi-Belkébir d’Adrar. Connu pour être proche de Bouteflika, ce cheikh, souligne-t-il, “avait tenté de nous convaincre de la nécessité de se rendre à Alger pour dialoguer avec les autorités centrales du pays, sur invitation de la Présidence. Une invitation que nous avions déclinée tant que les représentants des autres wilayas affiliés à notre organisation n’étaient pas concernés”. Tahar Belabès révèle que dans l’invitation ramenée par le cheikh, il était mentionné que nous bénéficierions “d’une prise en charge totale (hébergement, frais de déplacement…)
à Alger”.
Les représentants su CNDDC, ajoute-t-il, ne croient pas en réalité à la bonne foi de ce cheikh (sans jeu de mots), d’autant plus qu’il a le titre de notable qui “n’inspire pas confiance”. “Pour nous, c’est un pompier du pouvoir, à l’instar des dizaines de notables fabriqués dans la région du Sud et qui ne sont, donc, pas crédibles pour représenter notre mouvement. La mission de ce cheikh n’était que le prolongement des manœuvres du pourvoir visant à faire capoter notre action”, explique encore l’activiste meneur de la cause des chômeurs à Ouargla. Mais pas seulement ! Le combat de Tahar Belabès est aussi politique. Si, publiquement, on parle exclusivement de revendications purement sociales, en “off”, le mouvement du Sud s’inscrit, en effet, dans le cadre d’un engagement politique. Mais un engagement politique loin de l’idée de “séparer le sud du nord du pays”. “La situation que nous vivons aujourd’hui dans le Sud ne diffère pas en réalité de celle des autres régions. Et ce n’est un secret pour personne que c’est le résultat d’échec de la politique nationale, du système. Donc, qui dit que nous n’irons pas jusqu’à faire tomber ce système ?” menace le “Che” de Ouargla.
Cette idée ne semble d’ailleurs pas échapper aux “politiciens-vautours”, toutes obédiences confondues, y compris des anciens du FIS dissous qui tentent ces jours-ci de courtiser les “activistes” du CNDDC. Le mouvement des jeunes du Sud bénéficie-t-il de soutiens occultes ?
Si Tahar Belabès ne cache pas les contacts établis entre son organisation et des organismes étrangers non gouvernementaux tels que des ONG des droits de l’Homme, il nie tout soutien ou garantie politique au niveau national. “Le seul soutien que nous avons pour l’instant est l’adhésion massive des jeunes de plusieurs régions du pays convergeant vers les mêmes revendications, à savoir améliorer la situation sociale des citoyens à travers les quatre coins du pays. D’ailleurs, nous refusons l’adhésion à notre organisation de tous les gens engagés dans des partis politiques. Maintenant qu’il y ait certains qui nous soutiennent, je crois qu’on n’a pas le droit de refuser leur soutien. Tous ceux qui peuvent nous soutenir pour atteindre notre objectif sont les bienvenus”, explique-t-il. À Sellal, qui multiplie ses sorties dans les wilayas, tentant de rassurer sur la préoccupation du gouvernement par les problèmes de cette région, le coordinateur du CNDDC dira que “nous n’attendons pas à grand-chose de sa part”.
“S’il (Sellal) compte s’adresser à nous à partir de Béchar, nous lui annonçons dès maintenant que son discours ne nous intéresse pas. Pour nous, seul un dialogue direct et sincère compte. Nous en avons marre des promesses en l’air et des discours farfelus, de la langue de bois”, a déclaré Tahar Besbès, à la veille de la visite de Sellal à Béchar. Pour les chômeurs du Sud, seule l’annonce officielle de milliers de postes d’emploi dans les entreprises pétrolières pourraient les satisfaire. Selon les dernières statistiques fournies par l’agence régionale de l’emploi, la ville de Hassi-Messaoud abrite quelque 1 600 entreprises…
F. A