La « Politique de la canonnière », qui rappelle encore à quel point la canonnière était symbole de la projection de puissance jusqu’au début du XXe siècle, consistait à tirer depuis la mer au canon sur les côtes des États qui ne payaient pas leurs dettes financières. Elle a été abolie par la convention Drago-Porter en 1907.
Certains événements tragiques qui secouent de nombreuses parties du monde nous rappellent, à chaque instant, que la politique de la canonnière n’a jamais disparu.
Le néocolonialisme des grandes puissances ne se contente plus de s’infiltrer dans les rouages et les centres de décision des pays nouvellement indépendants en prenant soin de s’effacer pour la galerie. Mais il opère aujourd’hui directement et militairement quand les choses se gâtent et menacent ses intérêts. Ainsi, en est-il de la plupart des pays africains qui, pour des raisons économiques et parfois même de survie, n’arrivent toujours pas à couper le cordon ombilical qui les rattache à l’ancienne puissance occupante. Il y a des raisons à cela, bien sûr.
Elles appellent pauvreté l’absence de cadres et de compétences nationales et le manque d’expérience en matière de gestion. Ce qui explique pourquoi par exemple la France a payé pendant des années les salaires des fonctionnaires de ces pays. Cette charge qu’elle supporte, entre autres frais, lui donne évidemment les coudées franches pour intervenir militairement quand ses intérêts sont en jeu. Du reste, elle a implanté des bases au Tchad et en Côte d’Ivoire qui lui permettent d’avoir toujours un doigt sur la détente. Pour sauver un de ses ressortissants, un certain Germaneau, qui était loin d’être un humanitaire mais un homme des services secrets, l’aviation française s’est carrément déployée au Sahel avec armes et troupes au sol dans le cadre d’une opération soigneusement planifiée. Plus près de nous, en Côte d’Ivoire, et tout le monde l’a vu à la télévision, un détachement français, au plus fort du conflit qui a opposé Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, faisait littéralement la police dans les rues d’Abidjan en lieu et place de la police ivoirienne.
C’est grâce à l’appui logistique des Français que le palais du président Gbagbo a été investi et que lui-même a été arrêté, ainsi que son épouse. C’est vrai que Paris a de gros intérêts dans ces pays. La France gère par exemple et exploite au Niger les mines d’uranium d’Areva soit 80% de la production mondiale. En Côte d’Ivoire, elle a pratiquement la mainmise sur les principales richesses du sol comme le café et le cacao. En Libye, que rien ne lie à part l’épisode des infirmières bulgares, la France dans l’espoir d’une nouvelle distribution des cartes après l’intermède Kadhafi, a pris fait et cause pour les hommes de Benghazi. Non seulement, elle reconnaît le nouveau Conseil de transition, y a nommé un ambassadeur, mais reçoit en grande pompe le chef du mouvement Mustapha Abdelmadjid et encourage l’OTAN à opérer des frappes de plus en plus meurtrières sur Tripoli. Bien mieux, elle a décidé d’envoyer sur le champ de bataille des hélicoptères de combat. Pour mémoire, il n’est pas inutile de souligner que les Etats-Unis, il y a quelques années, bombardaient à partir de leurs bases en Allemagne le domicile de kadhafi pour le supprimer. Les récents raids de l’OTAN contre les centres de commandement de Tripoli ne sont en réalité que des tentatives de le tuer. Le groupe des huit à Deauville vient d’ailleurs de lui adresser une mise en garde on ne peut plus claire : «Tu pars ou on t’élimine… C’est cela la politique de la canonnière».
I.Z