La périlleuse transition de l’Egypte vers l’après Moubarak

La périlleuse transition de l’Egypte vers l’après Moubarak
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L’approche du scrutin présidentiel en Egypte, prévu en 2011, ravive les spéculations sur la succession d’Hosni Moubarak (81 ans), qui se garde toujours de se prononcer pour ou contre un sixième mandat. Le Raïs vient d’ailleurs de reprendre ses fonctions jeudi dernier – au terme de plus d’un mois de convalescence suite à une opération médicale – dans un climat tendu où commence à peser l’incertitude sur le devenir d’un pays fragilisé.

En 1977, Anouar Sadate créa l’évènement en se rendant en Israël pour initier ce qui alla aboutir, un an plus tard, à l’accord de paix entre l’Egypte et l’état Hébreu. Le défunt successeur de Nasser entendait ainsi tourner la page du Nassérisme pro-Arabe, né en 1952, dont la politique mena le pays à la confrontation militaire avec Israël, à trois reprises déjà, et la perte de nouveaux territoires au profit d’un état qui se voulait « dynamique et orienté vers l’expansion », pour reprendre la formule de l’un de ses fondateurs, David Ben Gourion.

Cet évènement fut suivi par l’apparition brusque d’une nouvelle crise, celle de l’Arabisme, qui vint s’ajouter aux déchirements intellectuels que connaissait le monde Arabe. Ce denier vivait, en effet, la crise de « l’idéologie islamique traditionnelle », apparue au milieu du XIXème siècle, en réaction au grand écart de l’islam de l’époque, tant officiel que populaire, par rapport à la pensée et aux pratiques islamiques de l’âge d’or du monde Arabo-Musulman. Il s’exposa ensuite à la crise du « libéralisme Arabe » à l’européenne, apparue à la veille de la seconde guerre mondiale et cristallisée par l’échec en Palestine (1947-1948). Enfin, la défaite des armées Arabes lors de la guerre des Six Jours en 1967 plongea l’Egypte et le reste du monde Arabe dans une nouvelle crise, celle du « socialisme Arabe » jusque-là perçu comme « voie d’autonomie entre le libéralisme discrédité et le communisme ignoré ou refusé » (*).

« Communistes marxistes et fondamentalistes musulmans, dont certains étaient en réalité des autonomistes anti-arabistes, avaient été obligés jusque-là d’épouser l’idéologie des nationalistes arabes tellement celle-ci correspondait aux sentiments des masses. Quand le président Sadate décida de poursuivre une politique strictement égyptienne, et encouragea une campagne de presse destinée à justifier la nouvelle orientation, les non-arabistes, en Egypte et ailleurs, relevèrent la tête ; les évènements du Liban et d’Iran ne firent qu’accélérer le mouvement ».

Enfin, l’assassinat du président Sadate, en 1981, fit basculer l’Egypte dans une nouvelle phase marquée par le durcissement du régime et un règne politique sans partage d’Hosni Moubarak, consacré à coups de réélections à des scores dépassant les 95% sauf pour le dernier scrutin de 2005 – première élection officiellement multipartite du pays – pour lequel le Raïs se fit tout de même crédité d’un confortable 88,5%.

Aujourd’hui, force est de constater que l’évolution de la situation au Proche et au Moyen-Orient, où les deux autres grands pays musulmans de la région que sont l’Iran et la Turquie s’orientent vers le développement et la prétention à de nouveaux rôles géostratégiques, contraste avec un bilan très mitigé des vingt neuf ans de règne d’Hosni Moubarak à la tête de l’Egypte.

En effet, l’échec de l’opération d’Israël à Gaza, en 2009, n’a pas manqué d’induire celui du pouvoir égyptien dans son pari désespéré sur une solution négociée en Palestine, alors que sur le plan interne tout ou presque laisse présager d’une périlleuse transition vers l’après Moubarak, compte tenu de la situation socio-économique désastreuse du pays et de la crise politique intérieure, sans oublier l’extrême vulnérabilité de l’économie du pays Arabe le plus peuplé (82 millions d’habitants) à toute crise de l’eau qui se profilerait à l’horizon.

Concernant ce dernier point, le pouvoir égyptien qui avait négligé ces dernières années la profondeur stratégique du pays en Afrique, particulièrement dans ses relations avec le Soudan et les pays abritant les sources du Nil (Ethiopie, Kenya, Ouganda, Tanzanie, Rwanda, Burundi, Érythrée), fait front actuellement à la volonté des pays « déversants » de modifier les conditions de partage en vigueur, qu’ils jugent en leur défaveur. L’objectif de ces pays vise, à travers l’institution du vote des décisions à la majorité et non à l’unanimité, à pouvoir se soustraire au veto de l’Egypte ou du Soudan, notamment lors de toute construction de barrage sur le Nil. Le pouvoir égyptien, assuré sans doute du soutien américain, vient d’ailleurs de rejeter ce lundi un nouveau plan de partage des eaux du Nil et toute initiative unilatérale des pays riverains, menaçant de se réserver « le droit de prendre toutes les mesures pour défendre ses droits ».

Il n’empêche que l’ancien pays des pharaons risquerait, tôt ou tard, d’être menacé dans son exploitation des ressources du Nil, si le pouvoir égyptien continue à s’y méprendre, et il n’est pas exclu que le Gouvernement d’Israël soit derrière la complication des négociations en cours. Il faut rappeler, en effet, que le chef de la diplomatie Israélienne, le très controversé Avidor Liberman, qui menaça par le passé publiquement l’Egypte de détruire le haut barrage d’Assouan, visita l’an dernier cinq pays Africains, dont justement l’Ethiopie, le Kenya et l’Ouganda, à la tête d’une forte délégation où étaient représentés les secteurs de l’agriculture, de l’eau et de l’armement.

L’évolution récente des relations israélo-égyptiennes, refroidies depuis l’opération de Gaza et à un an des élections présidentielles en Egypte, confirme ainsi que l’état hébreu accorde la plus haute importance au déséquilibre démographique entre les deux pays, et que le moyen de pression, voire l’arme dissuasive, de prédilection d’Israël à l’égard de son voisin de l’ouest est justement celui de la sécurité de l’eau.

Devant tant de difficultés, le pouvoir égyptien semble, à l’image du Raïs vieillissant et fatigué, sombrer ou en tous cas à la défensive, comme en témoigne la construction du mur de barrières métalliques sur la frontière avec la bande de Gaza assiégée, ou encore l’ampleur démesurée qu’a prise l’élimination du onze égyptien de la coupe du monde de football de 2010 face à son homologue algérien !

En attendant donc le scrutin de 2011, les mouvements de soutien aux successeurs potentiels de Moubarak continueront, sauf imprévu, à alimenter la chronique. Les spéculations portent sur le propre gendre du Raïs, Gamal Moubarak (47 ans), qui préparerait un scénario à la Syrienne depuis 2004, selon les observateurs avertis de la scène politique en Egypte. D’autres préfèrent miser sur le tout-puissant chef des services de renseignement, le général Omar Suleiman (74 ans), autre prétendant sérieux et favori de l’armée pour mener une transition sans encombres vers l’après Moubarak. Enfin, une troisième partie de l’opinion égyptienne, sans doute celle qui tient le plus au changement, penche vers l’ancien patron de l’Agence internationale de l’énergie (AIEA), le mystérieux et entreprenant Mohammed El Baradei (67 ans), auquel il appartient encore de provoquer la levée des obstacles institutionnels qui se posent à son hypothétique candidature.

Mais, force est de constater que, quelque soit le futur nouveau Raïs égyptien, la transition vers l’après Moubarak s’avère être une entreprise à hauts risques, tant le pouvoir en place et le milieu d’affaires se trouvent gangrenés par la corruption et le champ politique miné. Le peuple égyptien, si attaché à sa patrie, est à même de relever le défi. En sera-t-il de même du futur leader égyptien dans un pays si fragilisé et une région si sensible ?

Ben Khabou