La semoule, cette denrée alimentaire de première nécessité en Algérie, connaît un manque flagrant sur le marché. Une pénurie ressentie aussi bien par la population, que par les commerçants et les grossistes, mais surtout les industriels de l’agroalimentaire.
Le manque de semoule sur le marché obéit-elle à des règles imposées, voulues ou externes à notre pays. Chacun y va de son avis pour expliquer une rareté d’un produit qui reste incontestablement la source de l’alimentation première de l’algérien.
Dans les rues d’Alger, les pères de famille craignent la montée de son prix. «Actuellement, le kilo de semoule est à 90 Da. Nous craignons que d’ici peu, notamment durant le mois de Ramadhan qui est à nos portes, nous la payerons 150 ou 200 Da le kilo. Rebbi Yestar», affirme Ali, rencontré dans un lieu de commerce.
Même crainte chez le commerçant de quartier qui peine à trouver de la semoule : «Il y a quelques mois, nous choisissions la qualité de la semoule, aujourd’hui nous prenons ce qu’il y a.
La grosse, la fine et la moyenne sont inexistantes», a-t-il affirmé, expliquant qu’à son avis, «ce manque va durer encore pendant des mois, car le blé connaît une montée fulgurante dans le marché mondial et la production nationale ne couvre pas les besoins du marché». Même son de cloche chez les grossistes de Semmar qui confirment le manque de cette denrée sur le marché. «Nous allons connaître une pénurie aiguë dans les prochains mois», nous ont-ils dit.
L’interdiction d’importation du blé par les industriels
Pour sa part, Youcef, commerçant spécialisé dans la semoule, la farine et les pâtes a été très critique envers le gouvernement qu’il accuse d’être derrière cette pénurie.
«Le manque de semoule sur le marché national est dû à la décision d’Ahmed Ouyahia de taxer l’importation du blé pour les privés, notamment les industriels de l’agroalimentaire.
La politique du gouvernement n’est pas claire, d’un côté on nous chante l’ouverture du marché, d’un autre ils continuent à appliquer des décisions contraires».
Son associé renchérit : «Pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de taxer aux propriétaires de moulins qui importent le blé ? On ne doit pas confondre : ces propriétaires de moulins qui importent du blé ne sont pas des commerçants, ce sont des industriels qui ont tous des semouleries et qui fabriquent de la semoule et des pâtes».
Depuis la décision du premier ministre d’organiser l’importation de blé par le privé, la production des semouleries a baissé considérablement, ce qui s’est traduit par l’augmentation des prix de la semoule et des pâtes. Cette pénurie a touché en premier lieu les industriels qui ont vu leur production réculer :
«De 200 tonnes par jour, un industriel connu a chuté jusqu’à 20 tonnes par jour, ce qui est insignifiant par rapport aux besoins du marché algérien», a informé Brahim, grossiste au marché de Semmar à Alger. Le manque croissant de semoule se fait sentir de jour en jour à travers le territoire national, notamment dans les régions de l’est du pays. Selon les grossistes, «des quantités énormes de semoule partent en Tunisie mais surtout en direction de la Libye».
Au-delà de cette exportation illégale, les grossistes parlent de flambée des prix de la semoule et de pratiques qui leur rappellent les années 70/80. «Une semoulerie impose du concentré de tomate aux acheteurs de semoule, un carton de concentré pour un quintal de semoule,
ce n’est pas un usage des années des grandes pénuries ? Je vous cite cet exemple pour vous donner une image réelle de ce manque», a expliqué Mohamed. Pis encore, «le prix du quintal facturé est de 3500 Da mais réellement, nous payons 4500 Da ; la différence de 1000 Da, nous la versons à la caisse, elle n’est pas comptabilisée ; c’est le chantage des moulins pour fuir le fisc et nous n’avons pas d’autre choix que de suivre leur logique», a ajouté Mohamed.
Les quotas de l’OAIC derrière la pénurie
Concernant l’interdiction d’importation du blé par les semouleries, les grossistes trouvent que c’est un acte arbitraire d’un sens et logique d’un autre. Les conséquences sont négatives sur le consommateur, certes, mais l’économie algérienne est protégée.
«Le blé algérien est de mauvaise qualité, on doit se dire les choses, et puis la quantité est minime et le fait que l’office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) tienne le monopole, cela influe négativement sur les industriels», a souligné Karim. Plus explicite, le jeune commerçant a tenu à ajouter :
«L’OAIC livre des quotas définis aux industriels et ces quantités ne suffisent pas donc pas, trop bénéfiques pour eux, ce qui fait qu’au lieu que ces industriels fabriquent de la semoule avec ce blé, ils préfèrent l’investir dans la production des pâtes qui leur rapportent plus de bénéfices ; il faut compter en moyenne 21 000 Da sur le quintal de plus par rapport à la semoule. Le quintal de pâtes est à 6600 Da, vous voyez que la différence est de taille, en plus les industriels exportent plus facilement les pâtes que la semoule».
Un autre point important est celui du fisc, car avec les quotas de l’OAIC, les comptes des industriels sont connus, alors que leurs importations ne sont pas comptabilisées, et par voie de conséquence, ils fuient le fisc plus facilement et l’industriel négocie les prix à l’étranger alors que les prix du blé importé par l’OAIC sont fixés par l’Etat. Les commerçants de Semmar ont regretté l’abandon de l’agriculture :
«Avant nous étions les exportateurs de blé et autres céréales et aujourd’hui nous dépendons de la France, du Canada et d’autres pays. A quoi sert notre pétrole ? L’avenir est dans l’agriculture», a conclut Brahim.
E. M.