A peine renversé hier soir, Morsi a été transféré ce matin dans les locaux du ministère de la Défense alors que son équipe est détenue dans un bâtiment militaire.
En attendant que le sort du Président déchu soit clarifié, son successeur désigné par les généraux a prêté serment.
La détention du premier président égyptien élu par les urnes et de sa garde rapprochée est la dernière étape d’une série de mesures des forces de sécurité qui ont resserré en quelques heures leur étau sur les Frères musulmans, dont M. Morsi est issu.
Après son éviction, M. «Morsi et toute l’équipe présidentielle (ont été placés) en résidence surveillée au club de la Garde républicaine de la présidence», avant que le président déchu ne soit «séparé de son équipe et emmené au ministère de la Défense», a déclaré Gehad al-Haddad, responsable au sein des Frères musulmans.
Un haut responsable de l’armée a confirmé à l’AFP que les militaires détenaient l’ex-chef d’Etat «de façon préventive», laissant entendre qu’il pourrait être poursuivi, alors qu’il est sous le coup -avec plusieurs dirigeants de la confrérie, dont le Guide suprême Mohammed Badie et son «numéro 2» Khairat al-Chater- d’une interdiction de quitter le territoire dans le cadre d’une enquête sur son évasion en 2011 d’une prison avec 33 autres Frères musulmans. En outre, des sources de sécurité ont affirmé que le chef du Parti de la justice et de la liberté, vitrine politique des Frères musulmans, Saad al-Katatni, et l’adjoint du Guide suprême, Rached Bayoumi, avaient été arrêtés, tandis que le journal gouvernemental Al-Ahram faisait état de 300 mandats d’arrêt lancés contre des membres du mouvement islamiste.
La sécurité a également interrompu la diffusion de la chaîne de télévision des Frères et perquisitionné les locaux d’Al-Jazeera-Mobacher qui a diffusé l’enregistrement de M. Morsi.
L’armée, qui avait pris les rênes de l’exécutif durant 16 mois entre la chute de Hosni Moubarak et l’élection de M. Morsi, n’a pas précisé la durée de la transition avant des élections générales.
Mais, le Conseil constitutionnel a indiqué que son chef prêterait serment aujourd’hui, quand l’opposant Amr Moussa, a annoncé que les consultations pour la formation du prochain gouvernement – qui regroupera «toutes les forces nationales» et sera «doté des pleins pouvoirs» selon l’armée – ont déjà débuté.
Craignant de nouvelles violences après celles qui avaient fait 47 morts depuis une semaine, le ministère de l’Intérieur a averti qu’il répondrait «fermement» aux troubles et des blindés ont été déployés au Caire, bloquant les voies menant aux rassemblements pro-Morsi, alors que des dizaines de milliers d’opposants étaient massés encore dans la nuit dans la capitale et en province.
R. I. / Agences
10 morts dans la nuit
Alors que ses opposants exultaient sur la place Tahrir du Caire –une scène rappelant la liesse populaire lors de la chute du président Hosni Moubarak en février 2011–, ses partisans ont attaqué des bâtiments de la sécurité dans le nord du pays. Sept d’entre eux ont péri dans des heurts avec les forces de l’ordre à Marsa Matrouh et Alexandrie, sur la côte méditerranéenne. Trois opposants au président déchu ont par ailleurs été tués lors d’affrontements contre des pro-Morsi à al-Minya (centre).
«Il était le président des Frères musulmans»
Dans le centre du Caire, sur l’emblématique place Tahrir, où des manifestations monstres ont précédé l’annonce de l’éviction du président islamiste, des groupes de manifestants ont pris dans leurs bras des membres des forces de sécurité, les qualifiant de héros. Et non loin de la, à Nasr City, où se réunissait généralement les partisans du président déchu, un des opposants à M. Morsi, Omar chérif exulte: «C’est un moment historique. Nous nous sommes débarrassés de Morsi et des Frères musulmans», affirme-t-il. «Notre colère est dirigée contre les Frères musulmans, pas seulement Morsi», affirme une manifestante, Mona Hamdy. «Nous l’oublierons vite!» se réjouissent les manifestants. Dans une ambiance festive, ils sont des milliers aux abords du palais présidentiel et place Tahrir à faire la fête après l’annonce de son éviction par l’armée. «Morsi mérite une telle fin. Il n’était que le président des Frères musulmans», affirme Amr Mohamed, 40 ans, sa fillette sur les épaules, près du siège de la présidence dans le quartier d’Héliopolis. La présence de M. Morsi, qui n’est pas apparu depuis mardi, dans le bâtiment n’est pas certaine, mais peu importe pour les manifestants pour qui le lieu est hautement symbolique. Un groupe de femmes a installé une table dans la rue pour distribuer de l’eau et des dattes. «C’est pour le bien de l’Egypte. Nous fêtons le fait d’être débarrassés de Morsi», affirme l’une d’elles, Nehal Sery. Sur les larges boulevards devant le palais présidentiel, entouré d’un haut mur d’enceinte, la foule bon enfant agite des drapeaux et entonne des hymnes patriotiques. Quelques rues plus loin, même ambiance devant le ministère de la Défense, QG du chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Sissi, applaudi comme le «tombeur» du président. Là aussi, la foule agite des drapeaux et scande «Egypte, Egypte !».
Adly Mansour : le juge «anonyme» prête serment
Le président du Conseil constitutionnel égyptien, Adly Mansour, a prêté serment comme président par intérim ce matin. « Je m’engage à préserver le système de la République, à respecter la Constitution et la loi et à protéger les intérêts du peuple « , a dit M. Mansour lors d’une brève cérémonie au siège du Conseil constitutionnel. Président du Conseil constitutionnel depuis seulement deux jours, le juge Adly Mansour, devra tenir les rênes d’un pays divisé après plusieurs jours de manifestations massives et sanglantes. Ironie du sort, ce juge avait été nommé président du Conseil constitutionnel par M. Morsi lui-même à la mi-mai, fonctions qu’il a prises il y a seulement deux jours. Ce sexagénaire, père de trois enfants, a obtenu une bourse pour étudier dans le prestigieuse Ecole nationale d’administration (ENA) à Paris avant d’entamer une longue carrière judiciaire sous de régime de Hosni Moubarak. Il a exercé dans des tribunaux religieux, encadrés par l’Etat égyptien, où il émettait des fatwas ou des décrets sur des questions religieuses, mais aussi dans des cours civiles et criminelles. Contrairement aux principaux leaders d’opposition -comme le prix Nobel de la paix Mohammed ElBaradei ou l’ancien chef de la Ligue arabe Amr Moussa- son nom n’est jamais apparu parmi les successeurs potentiels de M. Morsi. Cet anonymat relatif a probablement intéressé les militaires désireux de mettre en avant une figure neutre pour assurer la transition qui s’annonce mouvementée. Ce juge mince et moustachu de 67 ans aurait probablement pu parcourir les manifestations, qui ont rassemblés des millions d’Egyptiens depuis dimanche pour demander le départ de M. Morsi, sans être reconnu. Son portrait n’a jamais figuré parmi ceux brandis lors des rassemblements d’opposants au régime des Frères musulmans qui ont culminé mercredi avec l’annonce de son arrivée au pouvoir, à la tête d’un gouvernement transitoire.
La parenthèse
Misr oum dounia, on connaissait. On connaît encore, bien qu’on en parle de moins en moins. C’est normal : autres temps, autres mœurs. Mais Misr croqueuse de chefs d’Etat ? Elle existe bel et bien. On la découvre. En moins de deux ans, une Egypte frondeuse à souhait a dévoré deux Présidents. Au pied des éternelles pyramides, deux pharaons des temps modernes, l’un avéré, Moubarak, l’autre encore apprenti, Morsi, ont été happés par un même et tumultueux torrent qui a pour nom : ras-le-bol. Le premier a perduré dans le temps : des décennies d’un pouvoir sans partage. Son successeur a tenu tout juste une année : il n’a pas fêté l’anniversaire de son élection. Avec Moubarak, les comptes sont soldés ou presque. Avec Morsi — il aura beau claironner que lui a été élu démocratiquement et qu’il est le Président de tous les Egyptiens — les choses suivront certainement le même cours : déjà en détention préventive, il répondra devant la justice de ses agissements, de ses ratages. L’Egypte lui tient rigueur de n’avoir même pas commencé à arrêter la montée des flots de pauvres plus affamés que jamais alors que Misr de la bourgeoisie, de la richesse mal acquise, continuait de se vautrer et de se repaître à l’ombre des discours lénifiants et trompeurs. Le projet islamiste version Frères Musulmans pour la société n’a pas été du goût pour des millions d’Egyptiens. L’épisode Morsi se révélera ainsi une parenthèse vite refermée. «On l’oubliera», a lancé, exubérante, une manifestante sur la place Tahrir. Il est vrai que seuls les noms des vainqueurs sont retenus par l’Histoire. Reste maintenant la question : Misr «dévoreuse d’hommes politiques» servira-t-elle de leçon, de signal, de référence, à ceux qui prendront en main les destinées du pays ?
Hacène Ouandjeli