Si dans la première partie du livre, paru aux éditions Dalimen, il s’agissait de la relation à l’autre, dans la seconde partie, il s’agit de la relation à soi-même. Razika Adnani nous entraîne vers d’autres questions dont, entre autres, celle de la fierté, de la confiance en soi et de l’intérêt de l’histoire dans la construction du présent et du futur.
Ce livre très riche nous mène, grâce à un cheminement constructif, au cœur du problème de la violence. Dans une première partie, intitulée “De la moralisation de la violence”, le point de départ de sa réflexion repose sur la question de la légitimité de la guerre, et ouvre la voie à une réflexion philosophique et morale sur la violence, sur l’éducation, sur le sens de la modernité et de la liberté, et soulève la question de la provocation comme justification de la violence.
L’auteure achève ce questionnement en convoquant le droit et le sentiment comme outils de gestion d’une société. “Pourquoi la violence se généralise-t-elle ?” Pour répondre à cette question, l’auteur propose de nouvelles pistes de réflexion : nous serions devant un phénomène de sublimation et de moralisation de la violence. Comment, alors, la violence, qui paraît naturellement immorale, peut-elle se moraliser ? Lorsque la violence, qui est immorale, se présente à la conscience comme “un bien suprême” et s’approprie une valeur morale. On parle alors d’une conscience morale corrompue et, dans ce cas, une question s’impose : que faire pour éviter cette moralisation ? Sommes-nous devant une nouvelle théorie philosophique concernant la violence ? En tout cas, ce qui est certain, c’est que nous sommes devant une analyse très originale de ce phénomène. Si le lien, établi par les spécialistes, entre le phénomène de la violence et la guerre était devenu presque évident, l’auteure de La nécessaire réconciliation le redéfinit à travers sa théorie sur la moralisation de la violence. Mais la violence généralisée est-elle uniquement un héritage historique mal géré ? L’auteure répond négativement. Pour nous expliquer sa position, elle nous conduit à nous interroger, entre autres, sur ce lien sentimental si particulier que nous entretenons avec nos traditions. Que sont les traditions ? Ce sont des habitudes et des règles sociales que nos parents et nos ancêtres nous ont transmises. Razika Adnani nous interpelle directement : comment, aujourd’hui, vouloir organiser une société avec des règles taillées pour la société d’hier ?
N’est-ce pas la soumettre à des règles ou à des méthodes qui ne sont plus adaptées ni à sa mentalité ni à sa taille, provoquant ainsi l’éclosion d’un mal-être et d’une angoisse, facteurs de violence ? Elle s’appuie sur deux exemples : celui de “L’œil indiscret”, principe d’organisation traditionnel selon lequel chacun surveille l’autre et celui du discours utilisé par certains comme justification de la pratique traditionnelle qui est la dissimulation du corps de la femme sous un voile. Par une analyse minutieuse, elle nous explique comment le premier a renforcé les tensions entre individus, et comment le second, en justifiant les agressions et les violences, les encourage et leur permet de proliférer. Une autre question surgit alors : si la provocation est la cause de la violence, faut-il l’interdire pour maintenir l’ordre et éviter les agressions ? Si dans la première partie du livre, il s’agissait de la relation à l’autre, dans la seconde partie, il s’agit de la relation à soi-même. Razika Adnani nous entraîne vers d’autres questions dont, entre autres, celle de la fierté, de la confiance en soi et de l’intérêt de l’histoire dans la construction du présent et du futur. Pour l’auteure, la relation que nous entretenons avec notre histoire nous renseigne sur celle que nous entretenons avec nous-mêmes, car c’est le passé qui fait ce que nous sommes aujourd’hui.
Si nous en sommes fiers, si nous l’assumons, c’est que nous sommes fiers de ce que nous sommes. Si en revanche nous en avons honte et si nous le rejetons, c’est de nous-mêmes que nous avons honte et nous le rejetons. Le titre de la deuxième partie “Du dénigrement de soi” peut paraître sévère au lecteur ; cependant, l’auteure nous précise que cette expression était utilisée par Ibn Khaldûn, au XVe siècle déjà, pour soulever le problème du dénigrement du peuple berbère envers ses propres origines. Il y a certainement des facteurs qui peuvent expliquer ce phénomène. L’auteure nous en livre trois : la religion, indissociablement liée à la langue arabe ; le pouvoir : l’histoire nous montre le lien entre pouvoir et désir d’avoir des origines arabes ; enfin, la langue berbère qui reste un facteur essentiel. En conclusion, La nécessaire réconciliation est un travail fondateur qui suscitera certainement la réflexion philosophique, historique et anthropologique.
V-I. H