La Moudjahida Annie Steiner à l’auditorium de la radio nationale,«Révoltez-vous!»

La Moudjahida Annie Steiner à l’auditorium de la radio nationale,«Révoltez-vous!»

La cause algérienne jusqu’au bout des ongles

«On n’avait pas peur de mourir. Qui est prêt à mourir aujourd’hui?»

A l’occasion de la Journée internationale de la femme», la Chaîne 3 de la Radio nationale a organisé hier matin, au Centre Aïssa Messaoudi de la Radio nationale, un colloque sous le thème «Ecriture féminine, cinquante ans de mémoire» autour de Annie Steiner, la moudjahida, témoin et participante à la Guerre de Libération nationale qui a fait l’objet d’un livre réalisé par la journaliste et auteure Hafida Ameyar mais aussi le critique littéraire Youssef Sayah.

Le débat était modéré par le journaliste Hassan Arab. L’objectif de cette rencontre était de renforcer les passerelles entre les témoins de la Révolution et la génération de l’Algérie indépendante, nous a-t-on souligné. La Moudjahida Annie Fiorio-Steiner. Une vie pour l’Algérie, nom du livre sur la vie de cette femme courage mais ô combien modeste, a été le prétexte pour soulever la problématique de l’oubli de toutes ces femmes moujahidate tombées dans l’anonymat, à qui la rencontre d’hier se devait de rendre hommage.

LG Algérie

Du haut de ses 84 ans, Steiner, femme frêle mais solidement courageuse, se rappellera les durs moments de ses innombrables incarcérations, évoquera ses souvenirs de militante aux côtés de ses soeurs algériennes, à l’époque où elle n’avait que 26 ans et où le «cloisonnement» était son seul repère. Nous sommes en 1956 avant la création de la zone autonome. Annie se souvient des arrestations en chaînes, de ces scènes de guillotine, de ces portes de cachot qui se refermaient contre elle après avoir fait six prisons, trois en France et trois en Algérie dont Barberousse. Terribles, ces images de souffrance, ces conditions de détention mais surtout de ce fort sentiment de «solidarité qui nous a permis de tenir unis», se remémore-t-elle. La douleur mais aussi, les moments de joie doublés d’appréhension sans penser au lendemain. Annie raconte ces scènes de liesse et de ferveur qui ont marqué la nuit du 1er-Novembre 1954 où, à minuit, tous les prisonniers se sont mis à l’unisson à scander des chants patriotiques et à applaudir. «Bien sûr, on a été punis après mais jamais je n’ai retrouvé cette ambiance, cette ferveur, même après l’Indépendance. Ça a été une seule fois». Annie se souvient des premiers moujahidine à avoir été guillotinés: Ahmed Zabana, puis vint le tour de Fernand Hyveton et bien d’autres encore avant que De Gaulle ne fasse cesser ces opérations barbares pour les remplacer par les exécutions sommaires.. Edité par l’association des amis de Hamid Benzine, ce livre coécrit par la moujahdia et Hafida Ameyar était aussi une façon d’honorer la mémoire de cet autre grand homme militant qu’a bien connu Annie Steiner. Ecrire sur cette dame, a révélé l’auteur, est un choix délibéré de par la «particularité de ses origines pied-noir dont une minorité s’est impliquée dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie».

Et de renchérir:«Il s’agissait aussi pour moi de faire connaître à la nouvelle génération ce pan d’histoire et corriger ce qui pouvait provoquer un dérapage…», a déclaré l’auteur du livre. Pour sa part et partant de ce livre, Youssef Sayah dénoncera la quasi-absence d’ouvrages recensés sur les moujahidate algériennes. «Cela se compte sur les doigts d’une seule main. Quand on lit les livres d’à côté, on remarque que Benjamin Stora n’en compte que six dans son livre, or chez nous ce travail n’est même pas fait. On recense juste 1100 fichiers, l’équivalent de 3% de la population. Beaucoup ne se sont pas declarées par pudeur. Rien n’est mentionné sur ces moujahidate, même pas ce qu’elles faisaient, ne serait-ce que la galette ou soigner les malades. Rien n’est dit sur elles. Mis à part la thèse de Djamila Amrane, il n’existe pas de travaux concernant la lutte des femmes, y compris dans leur quotidien, que ce soit en Tunisie, au Maroc ou en Algérie. Et même au niveau de l’autofiction c’est vaguement évoqué. Jusqu’à 1980, il y a très peu de choses.»

Evoquant quelques noms d’écrivaines comme Maïssa Bey, qui aborde un peu l’histoire dans ses romans, Youssef Sayah, qui dénoncera aussi l’absence des figures féminines dans la cinématographie portant sur la Guerre dAlgérie, dira enfin qu’ «évoquer les moujahidates se limite souvent à leur statut en tant que femme et non pas de relever leur véritable parcours en tant que combattante». Il avancera le nombre de 150 ouvrages écrits par les hommes et très peu par les femmes. «Je suis une éternelle révoltée», finira par dire Annie en réponse à une question d’une journaliste relative à la situation actuelle de la femme en Algérie. «On n’avait pas peur de mourir. Qui est prêt à mourir aujourd’hui?»