Il règne en maître, dompte la roche, s’amourache du sable et défie le ciel bleu et haut. Le pistachier de l’Atlas, lorsqu’il a décidé de se constituer en forêt, surplombe facilement les hauteurs désertiques pour s’offrir en spectacle. Le pistachier de l’Atlas, arbre du Sud en voie d’extinction, n’a pas dit son dernier mot et compte bien résister aux forces implacables de la nature et à la mainmise de l’homme.
Aflou : De notre envoyée spéciale
A moins de 50 km d’Aflou, sur la route qui mène vers le Nord, des étendues de pistachiers bordent la route. Eparpillés en rang désordonné sur une superficie qui dépasse les capacités visuelles, les forêts de pistachiers sont les reliquats d’une période pas complètement révolue et qui s’attache à retarder l’échéance. Un feu au loin donne toute la mesure du danger qui guette cet arbre du Sud. L’exploitation de son bois n’a pas permis à l’arbre de se régénérer. La forêt de pistachiers est en état de dégénérescence, il est amené à disparaître si rien n’est fait
Le déclin
Connu sous le nom « betoum » en arabe ou de « iggh » en berbère, le pistachier est un arbre aux feuilles caduques dont les fruits sont appelés « elkhodiri » par les populations locales en référence à la prédominance de la couleur vert foncé à maturité. Il faut savoir que ses drupes sont riches en huile, elle-même très énergétique. Elle est souvent mélangée par les habitants du coin avec des dattes écrasées pour être consommé avec du petit lait. Une autre façon d’exploiter les graines du pistachier consiste à les sécher, les écraser et les ramasser avec de l’eau sucrée pour être consommées en boulettes ou bien séchées et consommées comme des cacahuètes. S. Belhadj de l’université de Djelfa explique dans son article sur les pistacheraies algériennes que si la régénération de l’espèce avait été protégée depuis longtemps, elle se serait traduite par la constitution de populations plus homogènes, plus nombreuses et plus productives. Il avance que le déclin s’explique par le peu d’argent qui a été investi dans la production, la régénération et l’entretien des pistacheraies naturelles. Les facteurs ayant conduit à cet état des choses sont, selon l’universitaire, « l’exploitation anarchique du pistachier comme fourrage et bois de chauffage par les bergers et les populations locales. Le pâturage empêchant la régénération naturelle et le développement des jeunes pousses, le réseau routier, pour exemple la plaine de Oussera et le mauvais état sanitaire des arbres comme l’attaque des pucerons dorés provoquant des cloques ou des galles au niveau des feuilles ».
Dans cette forêt aux abords d’Aflou, l’heure n’est pas à la splendeur, d’abord parce caduque, les feuilles des pistachiers sont tombées cet hiver et n’ont pas encore annoncé leurs nouvelles pousses, ensuite parce qu’on s’aperçoit que les arbres de 8 m environ sont bien souvent malmenés. Les troncs présentent des traces témoignant du passage des bêtes de somme ou d’animaux sauvages. Et en cette heure matinale de la journée, un groupement d’individus en train de faire du feu raconte l’histoire délétère du pistachier atlantica. On devine quel est l’usage de l’arbre par les populations locales. On sait aussi que l’écorce, qui produit une résine-mastic qui exsude de façon abondante par temps chaud, sert la population pour usage médical et les feuilles fournies par l’arbre servent d’aliment pour le bétail. Leur valeur fourragère est importante, puisque, les données du Haut commissariat au développement de la steppe précisent que l’arbre procure jusqu’à 0,35 unités fourragères. Des atouts que beaucoup ont su exploiter, mais qui confèrent un succès à l’espèce la mettant en danger. Pour l’heure, la forêt, qui joue avec les reliefs de cette zone aride, s’acoquine avec une pousse dégradée qui semble vouloir l’accompagner et lui vouer une certaine protection. Le rouge de la roche a des airs d’outre-tombe, comme sorti des entrailles de la terre pour s’affaisser à l’air libre. Une tortue sortira sa tête à peine harassée par le soleil qui plombe déjà. Elle entamera une course à faire pâlir un lièvre, lorsqu’elle a senti la présence suspecte d’hommes, sous le regard jaloux d’un pistachier bien implanté.