Tayeb Louh a défendu le projet
Lors de son adoption par le Parlement le 3 mars dernier, la loi criminalisant la violence contre les femmes a été vigoureusement défendue par Tayeb Louh, ministre de la Justice. Quelques semaines après, le gouvernement compte faire marche arrière.
L’amendement du Code pénal à travers lequel on a pénalisé l’exercice de la violence contre les femmes qui a été adopté récemment par l’Assemblée nationale populaire a suscité de grands remous dans les milieux politiques et médiatiques. Les islamistes notamment, qui s’y sont opposés avec vigueur, ont remué ciel et terre, appelant simplement à la suppression dudit amendement qui, selon eux, «vise l’islam» et «risque de disloquer la famille algérienne». Mais malgré la fermeté de Tayeb Louh qui avait défendu le projet de loi devant ses adversaires, les appels des islamistes ne semblent pas tombés dans l’oreille d’un sourd. En effet, L’Expression a appris hier, de source autorisée, que la loi est appelée, soit à être «adoucie» pour satisfaire les exigences des islamistes, soit carrément «bloquée» au niveau du Sénat. La même source a déclaré à L’Expression que des garanties ont été données aux islamistes dans ce sens.» Quelle serait donc la réaction de ceux qui ont voté en faveur de cette loi si jamais elle venait à être effectivement bloquée?
Pour le FFS, qui a voté en faveur de l’amendement apporté au Code pénal en jugeant qu’il «constitue une avancée en matière des droits des femmes», «il est très peu probable que le gouvernement revienne sur cette décision car les lois qui atterrissent au Parlement sont toujours validées au préalable», nous a déclaré Hamou Didouche, député du Front des forces socialistes. De plus, M.Didouche considère que ce qu’on appelle «pression des islamistes» n’est qu’une vue de l’esprit. «Les islamistes sont en train de faire de la politique et il est normal qu’ils s’opposent à une loi qui n’est pas conforme à leur idéologie. Ceci dit, leur réaction est loin de constituer une pression», a argumenté le parlementaire du FFS qui considère par ailleurs que «le pouvoir a plus d’intérêt à maintenir cette loi qu’à la bloquer». Le PT qui, pour rappel, a boycotté le vote de cette loi et dont les positions ont été franchement hostiles par rapport à son contenu, notamment la mesure portant sur la possibilité de recourir au pardon, considère que son retrait comme son maintien ne change rien à la situation des femmes car, nous explique Ramdane Taâzibt, député, «la notion de pardon qui a été introduite dans le texte annule toute sa pertinence juridique».

Pour ce qui est de la réaction des islamistes qui auraient, susurre-t-on ici et là, poussé le gouvernement à changer d’avis, Ramdane Taâzibt pense que «c’est la réticence dont a fait preuve le gouvernement en introduisant la notion de pardon dans la loi qui a encouragé la surenchère des islamistes». Tout compte fait, M.Taâzibt a rappelé que «l’émancipation de la femme reste liée à l’abrogation du Code de la famille et que, dans tous les cas, «la responsabilité du gouvernement demeure engagée».
S’agissant des milieux islamistes, n’étant pas suffisamment sûr du blocage de la loi, on se contente pour l’heure d’émettre des sourires narquois. Interrogé à ce sujet, Abdellah Djaballah, président du Front de la justice et du développement, n’a pas voulu faire de commentaires arguant ne pas être au fait du dossier. Le Front du changement dirigé par Abdelmadjid Menasra, quant à lui, considère que «si cette loi venait à être effectivement bloquée, c’est toute la société qui aura gagné», car, argumente Dris Rabouh, chargé de communication du FC, «notre rejet au FC de cette loi n’est pas motivé par des considérations partisanes».
Au RCD, parti qui s’est positionné dès le départ contre cette loi, on pense que «le problème est beaucoup plus profond. Pour Lila Hadj Arab, secrétaire nationale à la condition féminine, «le vrai problème n’est pas la criminalisation ou non de la violence exercée par les hommes à l’encontre de leurs femmes, mais dans la situation générale de la femme, car dès lors que la femme est considérée comme mineure à vie, dès lors que le Code de la famille reste toujours en vigueur, les mesures prises pour protéger la femme n’ont aucun sens». De plus, s’insurge Mme Hadj Arab, «on dit que l’on veut protéger la femme, pourquoi alors on parle uniquement des femmes mariées? Et les jeunes filles, les vieilles et les femmes divorcées? Qui les protégera si ce n’est la loi?» Allant encore plus loin dans son analyse, Mme Hadj Arab a déclaré que «le RCD répète depuis des années que pour protéger la femme, il ne suffit pas de lui permettre de déposer plainte contre son agresseur, mais il est impératif de libérer la justice pour permettre au procureur de s’auto-saisir dès qu’un cas de violence à son encontre est constaté ou signalé par des associations de défense des femmes ou des médias». Lila Hadj Arab a également rappelé que pour le RCD, la violence à l’égard des femmes ne se résume pas à la violence physique qu’elle subit dans son foyer conjugal et qu’elle est beaucoup plus importante». Enumérant ainsi les violences symboliques, notamment le tutorat, l’impossibilité d’épouser un non-musulman, la procédure successorale, etc., auxquelles elle demeure exposée, elle a fait savoir que «la violence ne se combat pas par des mécanismes juridiques seulement» et qu’un «grand travail doit être fait dans l’éducation, le mouvement associatif et les institutions en charge de la question».
Ainsi, l’amendement du Code pénal dans l’objectif de protéger la femme des violences exercées à son encontre aura été l’une des questions les plus commentées depuis l’ouverture de la dernière session du Parlement. Mais, à considérer la chose de très près, il s’agit ni plus ni moins d’une montagne qui, au bout du compte, a accouché d’une souris. Car, ni les promoteurs de cette loi n’ont réussi à en démontrer les traits pertinents, ni ses adversaires ne sont parvenus à énumérer les retombées fâcheuses qu’elle aurait à entraîner. Néanmoins, indépendamment des positions des uns et des autres, cette question a eu le mérite de relancer le débat sur la situation de la femme. Et tant mieux!