La loi des parkingueurs: le phénomène pourrit l’été à Oran

La loi des parkingueurs: le phénomène pourrit l’été à Oran

Le phénomène de l’exploitation illégale des espaces de stationnement et le racket des automobilistes qui s’ensuit ont donné lieu, dans le quotidien des Algériens, à la naissance d’un vocable qui s’est imposé par la force : parkingueur.

Et en ces jours caniculaires où les familles aspirent à la détente et au repos, le long de la corniche oranaise et également en ville, les parkingueurs sont incontournables et sévissent toujours autant. Il y a bien eu un moment de flottement et de bonnes intentions proclamées par les pouvoirs publics suite aux drames survenus cet été où de paisibles pères de famille ont été lâchement assassinés par des parkingueurs. Mais il faut croire que la nature a horreur du vide, et en cette mi-août les gardiens de parking autoproclamés sévissent toujours autant sur le moindre espace de stationnement. Dans la commune balnéaire d’Aïn El-Turck, la chaleur semble avoir assommé les résidents et les estivants. La principale place publique fait peine à voir : terre battue et ni pelouse ni fleurs ne l’agrémentent et seuls quelques palmiers, en fin de vie, y trônent. À 11 heures du matin, les gros sacs-poubelles sont encore essaimés tout autour de cette place. Le ton est donné avant même de se rendre vers les différentes plages de cette commune, les parkingueurs sont partout, se répartissant les rues, les boulevards, les espaces libres y compris juste à côté du siège de l’APC. Se donnant un air de légalité, avec un gilet fluo, le gourdin n’est pourtant jamais très loin, et les allures font penser à tout, sauf à de paisibles gardiens. Aux abords de la plage Cap Falcon, une petite crique qui a connu une extension ces dernières années, il n’aura suffi que de quelques secondes pour nous voir interpeller par un parkingueur, très particulier, criant à tue-tête : “Hé !… ne te mets pas là, va plus loin y a de la place, plus haut allez vas-y…”. C’est un gamin, torse nu, sacoche en bandoulière qui du haut de son 1m 20, veut rouler des mécaniques. Un gosse de 13 ans à qui on ne l’a fait pas. Nous lui demandons s’il est le préposé au parking et sa réponse fuse sans aucune hésitation : “Oui, mon père et moi.” Le fait que nous ne voulions rester que quelques instants n’a pas plu au père et au fils qui tenteront de percevoir leur dîme. Un tarif qui varie selon la durée de l’occupation d’une place qui est devenue la propriété de ce père et de son fils. Une activité illégale et lucrative qui restera comme un héritage dans la famille. Les estivants que nous avons rencontrés confient rapidement leur peur au quotidien, les contraignant à céder au diktat de partout. “C’est la jungle, il n’y a pas d’État, on nous laisse seuls  face à des voyous, c’est tout ce qu’ils sont”, lâche un père de famille venu de la région ouest pour 10 jours sur la corniche oranaise. D’autres vacanciers, en famille, pour une journée de plage, expliquent qu’ils n’ont d’autre choix que de payer le parkingueur, jusqu’à 200 DA, et plus grave de se taire devant le plagiste qui les somme de changer leur parasol d’emplacement. “Je suis en famille, si je réagis, je risque de me retrouver à la morgue”, confesse un quadragénaire, devant ses enfants. Ce sentiment de crainte est partagé par nombre de familles, de citoyens, qui subissent et n’osent se plaindre. Un jeune homme accompagné de son amie le dit clairement : “Si j’étais seul, entre hommes, je pourrais discuter et encore, ils sont souvent à deux ou à trois, alors je paye pour une journée, à quoi bon se bagarrer.”

Parkingueur de père en fils

Les anecdotes pullulent sur toutes les plages d’Aïn El-Turck, de Bousfer jusqu’aux Andalouses où s’affiche le prix de 100 DA le parking mais où le ticket est estampillé 200 DA. Si sur certaines plages, les choses se passent relativement bien, comme à la plage les Étoiles ou Bomo-plage, ailleurs ce n’est pas le cas. Un exemple très révélateur nous sera raconté par une mère de famille. “À Bouisville, un plagiste est venu vers moi pour nous faire partir, j’étais avec mes enfants, quand j’ai été me plaindre aux agents de l’ordre sur la plage, ils m’ont dit de ne pas m’en faire et que, la prochaine fois, j’irai les voir pour qu’ils me trouvent une place.” Cette attitude des représentants des pouvoirs publics est décriée de toutes parts et ne peut passer sous silence. Des citoyens vont même jusqu’à conclure à une “forme de complicité” ou de laisser-faire qui perdure depuis des années. Pour leur défense, les forces de l’ordre assurent sévir et faire respecter la loi en donnant des chiffres, mais qui, à vrai dire, ne sont qu’une goutte d’eau dans un océan. Ainsi, depuis ce mois d’août, 3 parkingueurs ont été arrêtés pour exploitation illégale d’espaces de stationnement à El-Ançor, et depuis le début de l’été, 6 cas d’exploitation illégale de plage ont été traités par les services de la gendarmerie à Bousfer, Mars El-Hadjadj et encore El-Ançor. On nous fait remarquer que, malgré tout, cette année la présence un peu plus visible des forces de l’ordre a permis de calmer le jeu du côté des plagistes et des parkingueurs. Mais si on se focalise sur l’état des lieux au niveau des plages, les parkingueurs sévissent tout autant en ville qu’ailleurs. Une sorte de mafia organisée, qui, à coups d’invectives, d’insultes et de menaces, fait régner sa loi, le long des trottoirs. Les jeunes femmes sont souvent les premières victimes, comme cette conductrice qui s’est vue menacée de représailles physiques par un parkingueur. “Il m’a même interdit de revenir stationner sur son territoire en brandissant un gourdin. Quand je suis allée au commissariat me plaindre, on m’a répondu qu’on allait s’occuper de lui”, mais l’individu sévit toujours au même endroit. La faute, expliquent les forces de l’ordre, aux plaignants qui ne viennent pas après quand ils sont convoqués. La situation est telle, qu’aujourd’hui, dans la société être parkingueur est un emploi, un revenu fixe, permettant à certains de se faire une situation sociale, de se construire un logement et de se marier. Mais malheureusement le phénomène est avant tout celui de l’absence de l’État et du diktat de la “voyoucratie”, dans une société qui prend des allures de far west, comme nous le diront la plupart de nos interlocuteurs.

D. LOUKIL