Le constat est désormais presque unanimement partagé : le pays est dans une “impasse politique”, eu égard au flou artistique et à l’opacité qui entourent l’élection présidentielle. Mais, également, compte tenu de la situation générale, dont les marqueurs sont loin de prêter à l’optimisme. Lors d’une conférence de presse animée, hier à Alger, à l’occasion de la célébration du 70e anniversaire de la Déclaration des droits de l’Homme, les membres du directoire de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (Laddh, aile de Me Benissad) ont, à l’unisson, dépeint une situation désastreuse de l’état des droits dans le pays, à telle enseigne qu’ils prédisent de “sombres perspectives”, si le choix d’ouverture et du respect des libertés n’était pas opéré par le régime en place. “Les élections n’ont aucun sens.
Les Algériens les boudent, car elles n’ont jamais été libres. Et il n’y a aucune garantie que les prochaines seront propres et honnêtes. Quand les droits sont bafoués, les manifestations sont interdites, l’expression libre est muselée, les activistes traqués et les médias lourds mis au service du régime, nous disons que les conditions ne sont pas réunies pour une élection libre”, a estimé le président de la Laddh, Me Noureddine Benissad. “Un pays qui ne respecte pas les droits n’ira pas loin”, prophétise-t-il. “On a régressé. S’il n’y a pas une volonté politique pour le respect des libertés, la société est alors morte”, ajoute-t-il encore, lui dont l’association n’est toujours pas agréée, en dépit du respect de toutes les procédures exigées par la nouvelle loi sur les associations.
“Les acquis de plusieurs années de lutte de militants ne sont pas seulement menacés, mais remis en cause. On est dans une impasse politique. Personne ne ressent l’ambiance électorale et rien n’est garanti. Personne ne peut prédire ce qui va se passer dans un mois”, observe, pour sa part, l’avocat Aïssa Rahmoune. Selon lui, “le régime est devenu une SPA où nul n’est assuré d’y demeurer”. De son côté, Moumene Khellil, le SG de l’association, soutient que le “pouvoir ne s’occupe pas de la société, ni des droits, mais s’occupe plutôt de ses affaires”. En témoigne, à ses yeux, l’ampleur prise par le phénomène des harragas, signe de “l’opacité et de la perte d’espoir en l’avenir” et de “l’impasse”.
Plaidoyer pour des “états généraux” des droits de l’Homme
Pendant plus d’une heure, les conférenciers ont égréné un chapelet de violations de droits et d’atteintes aux libertés de la part d’un régime qui ne respecte pas les “conventions” ratifiées ni ses engagements internationaux. “La situation est troublée dans tous les domaines”, résume Me Benissad. “Faillite dans la construction d’un État qui respecte les droits depuis 1962”, “marches interdites”, “une loi sur les associations contraignante”, “poursuite de la même situation qu’avant malgré la levée de l’état d’urgence”, “restrictions ciblant la société civile”, “développement du phénomène des harragas, un drame national”, “un discours populiste autour des migrants”, “recours abusif à la détention préventive et le non-respect de la présomption d’innocence”, comme on l’a vu avec les journalistes et blogueurs récemment incarcérés, “des prisons surpeuplées et déshumanisées”, “la question des disparus, en quête de vérité et justice”, “harcèlement des Ahmadis”, “des handicapés (envion 4 millions) laissés pour compte”, “remise en cause des droits socioéconomiques” et l’explosion de la corruption érigée en “prédation” sont autant de marqueurs de l’état des droits de l’Homme dans le pays, selon Me Benissad. Membre actif à Béjaïa, Mahrez Bouiche évoque “la montée horrible de la répression depuis un mois et demi”.
“La répression s’est généralisée. Depuis deux ans, quatre marches seulement ont été autorisées”, relève-t-il. Il évoque également les interdictions qui ciblent les cafés littéraires. À cela s’ajoutent la “situation des hôpitaux” et l’oppression que subissent les femmes. Face à cette situation, la Laddh ne préconise rien moins que l’organisation des états généraux des droits de l’Homme. “Une sorte de Grenelle à discuter. On est prêts à affronter toutes les expressions, même officielles. Il faut mettre le holà”, propose Me Benissad. “Toutes les organisations, les avocats, les juristes, les associations, la société civile en général devons nous retrouver, sans exclure personne, pour discuter et faire un audit sur le plan juridique et en finir avec la loi de 2012 (sur les associations) pour faire de la société civile un contre-pouvoir capable de formuler des propositions pour l’avenir”, détaille-t-il. “Il y a trop d’arbitraire”, déplore-t-il. Par ailleurs, Me Guenane a évoqué la difficulté de la ligue à accéder aux statistiques sur toutes les questions inhérentes aux violations des droits.
Karim Kebir