La lettre manuscrite effacée par les sms et les e-mails : Je vous écris ces quelques lignes…

La lettre manuscrite effacée par les sms et les e-mails : Je vous écris ces quelques lignes…

Il fut un temps où recevoir une lettre était un instant de bonheur merveilleux.

Parmi les hommes de métier les plus adulés des jours d’antan, le facteur occupait une place privilégiée. Aimable, un sourire permanent accroché aux lèvres, on le trouvait toujours élégant dans sa tenue de couleur kaki en été et bleu nuit en hiver période au cours de laquelle il endossait quelquefois une pèlerine de même couleur sombre. Il arborait souvent une casquette à lisière et parfois même une chéchia «stamboul» pour les préposés musulmans, tout comme leurs compatriotes exerçant dans les différentes compagnies de transport urbain (Rsta, T.A, Rdta…).

Ces hommes, qui circulaient en bicyclette de bourg en bourg à travers la campagne ou à pied en ville, apportaient aux citoyens les bonnes nouvelles enfouies au fond de leur large gibecière dans des enveloppes immaculées ornées de timbres aux mille couleurs qui châtoyaient nos yeux d’ados qui épiaient le nom du destinataire dans l’espoir d’enrichir notre hypothétique collection de timbres. Lui, notre cher facteur n’apportait en effet que de bonnes nouvelles, les mauvaises n’étant qu’un accident tellement qu’elles étaient rares et surtout cachées par leurs pudiques destinataires.

Il faut dire aussi qu’écrire, poster ou recevoir une «lettre» à l’époque relevait d’un rituel bien ancré chez le citoyen lambda. Il fallait d’abord trouver quelqu’un, un jeune généralement, qui sache aligner quelques mots en français sans trop se tromper et qu’il soit surtout discret. Une fois la lettre rédigée, l’enveloppe était délicatement «léchée» pour la coller avant de se rendre au bureau de poste pour l’affranchir, humecter ensuite le timbre avec sa langue avant de la poster non sans jeter derrière soi un dernier coup d’oeil en partant vers la boîte postale comme pour s’assurer que la missive allait bien partir.

La réception d’une lettre revêt les mêmes caractéristiques. Après une interpellation de vive voix de l’heureux destinataire par le facteur pour la lui remettre de la main à la main (les boîtes aux lettres n’existant pas) en campagne ni dans les vieilles cités, Casbah et autres localités dites indigènes. La lettre était ensuite soigneusement plongée par l’heureux destinataire au fond d’une poche d’un de ses vêtements avant de se replier discrètement chez soi sous les regards inquisiteurs des voisins qui spéculaient déjà sur la provenance de la lettre et ses motivations.

Leur attitude redoublait de curiosité surtout si la lettre parvenait de l’étranger. Il arrivait parfois même que le facteur soit interrogé, en vain, car Dieu est témoin, sa discrétion n’avait d’égale que celle du destinataire. Il devenait en ce moment-même l’ami intime du destinataire qui, à son tour, le gratifiait d’un sourire généreux qui faisait bouger ses 14 muscles faciaux en pareil cas en lui glissant parfois un morceau de galette ou quelques dattes, selon. Que reste-t-il aujourd’hui de ce bon vieux temsp où l’on croquait la vie à pleines dents? Que sont donc devenues les Lettres persanes de Montesquieu ou celles de Mme de Pompadour ou de Sévigné? Eh bien, de nos jours c’est l’époque du texto, du courriel, en un mot, des Ntic (nouvelles technologies de l’information et de la communication), qui ont bel et bien englouti ces vieux plis qui ont fait les beaux jours des anciens.

Fini donc les jolis mots ciselés que l’on couchait avec délicatesse, à la plume pardon, sur du papier à lettres fraîchement acheté chez l’épicier du coin car point de buraliste à cette époque. Fini aussi le mot tant recherché que l’on s’appliquait à rédiger avec un secret espoir que ce soit le meilleur de nos maigres savoirs en verbe et qui puisse exprimer ce que nous voulions transmettre. La lettre véhiculait alors une âme, un lien spirituel entre l’expéditeur et le destinataire. D’ailleurs, le fait de l’écrire à la main est un signe de communication humaine presque corporelle et non sophistiquée et inhumaine comme un vulgaire SMS ou un insipide courriel…Il faut toutefois admettre et saluer avec bonheur que rien n’arrête le progrès comme on se plaît à le dire.

Tous ces nouveaux moyens de communication modernes règlent moult problèmes liés, entre autres, à la lenteur de la distribution du courrier et le non-respect de ce qu’il véhicule comme joie, plaisir et farniente. Bien que tout ceci soit enrobé d’une pellicule de business, il n’en demeure pas moins que ces moyens modernes de com sont fort utiles à la société et son développement. Ce n’est pas pour autant que la vieille boîte postale publique, de couleur jaune se rappelle-t-on, qui ornait les trottoirs de la ville et les rares boîtes aux lettres personnalisées ornant les vestibules d’immeubles, soient versées dans les livres d’histoire.

Nada! Elles ont encore de beaux jours devant elles. La distribution du courrier livresque de journaux ou encore de cartes postales de voeux (ça existe encore!) ne fera pas enterrer la distribution manuelle du courrier et notre bon vieux facteur sera encore là….après nous pour nous servir de la «bonne nouvelle».