La “légitimité historique” doit laisser place à la légitimité démocratique ,Les dérives politiques ont tué la fibre patriotique

La “légitimité historique” doit laisser place à la légitimité démocratique ,Les dérives politiques ont tué la fibre patriotique

Si l’on déplore aujourd’hui la perte de la fibre patriotique chez les jeunes, 58 ans après la décision des “six” de faire parler les armes, c’est en grande partie à cause de cette “légitimité historique” galvaudée, utilisée comme une ruse de guerre par une caste qui s’agrippe désespérément au pouvoir.

Au mois de juillet passé, Daho Ould Kablia, invité au Forum de Liberté, déplorait, mezza-voce, mais avec une sincérité dans le propos et l’expression du visage, que les jeunes de 2012 ont “perdu la flamme patriotique”. Le ministre de l’Intérieur, qui n’a pas la langue de bois, traduisait au demeurant un sentiment largement ressenti par les élites politiques et intellectuelles. Oui, Novembre a cessé de parler aux jeunes Algériens. Aujourd’hui, de sa geste, de ses héros épiques, ne reste que la caricature. Depuis déjà fort longtemps, la date du 1er Novembre revient chaque année comme une litanie fastidieuse qui se résume à des cérémoniaux commémoratifs et des discours baveux et ampoulés, débités sur le mode puéril de l’autoglorification.

L’histoire de la Révolution, telle qu’elle est déclinée dans les manuels scolaires, est une autre raison pour les jeunes Algériens  de se détourner de Novembre et de son message. Un scandale, un crime contre la nation que ces narrations édulcorées et aseptisées contenues dans ces manuels.  L’histoire de la Révolution 1954-62 est, comme un long fleuve tranquille, déclinée sous la forme d’une chronologie linéaire avec des enchaînements mécaniques et le tout emballé dans des bons sentiments de fraternité fantasmée entre les Algériens. Une version, de toute évidence, aux antipodes de la dure réalité des maquis avec ses guerres des clans, ses liquidations physiques, sa course impitoyable au pouvoir. Toute cette part d’ombre de la Révolution algérienne, beaucoup plus structurante que sa partie lumière, est passée à l’as. Des élèves, des étudiants et même des professeurs d’histoire dans les lycées et les collèges sont amnésiés par la version scolaire de l’histoire de la Révolution. Combien sont-ils à savoir certaines vérités  sur les contractions qui ont abouti à la naissance du FLN, sur la réunion des “six”, sur le conflit entre l’intérieur et l’extérieur, entre les militaires et les civils, sur le Congrès de la Soummam, sur la guerre fratricide ALN/MNA, sur les assassinats politiques, sur Mélouza, sur le rocambolesque Congrès de Tripoli, sur le coup d’État contre l’autorité légale du GPRA par le clan d’Oujda, sur la rébellion de Hocine Aït Ahmed, sur le procès de Chabani, sur la séquestration des corps des colonels Amirouche et Si Haouès ?… Autant d’épisodes et d’autres, aujourd’hui encore frappés de tabou.

Qui a décidé du contenu des manuels d’histoire ? À quel objectif et à quel impératif pédagogiques répond cette version tronquée et mensongère de l’histoire de la Révolution ? C’est bien que le ministre des Moudjahidine, Mohamed-Chérif Abbas, exige de la France d’aller plus loin dans la reconnaissance des crimes coloniaux. C’est une revendication légitime et non négociable. Et une saine relation avec l’ex-puissance coloniale ne saurait faire l’économie du devoir de mémoire. Mais vérité bien ordonnée commence par soi-même : après 50 ans de mensonges historiques, de déni de mémoire, reproche  fait à juste raison à la France, il est temps d’avoir la même exigence envers nous-mêmes en portant un regard non sélectif,  non idyllique sur l’histoire de la Révolution.  Et si les jeunes ne portent pas beaucoup d’intérêt à l’Histoire (avec un grand H) de la Révolution, c’est parce qu’ils sont pleinement convaincus qu’on leur a raconté des histoires depuis 50 ans. Le souffle de l’esprit de Novembre chez les jeunes doit  impérativement passer par le chemin de la vérité, toute la vérité sur ce qui s’est passé. Mais après avoir lu les Mémoires du président Chadli, qui nous livrent une version lisse et presque guimauve de l’histoire de la Révolution, on se dit que pour la vérité, ce n’est pas pour demain !Et si encore l’on déplore aujourd’hui la perte de la fibre patriotique chez les jeunes, 58 ans après la décision des “six” de faire parler les armes, c’est en grande partie, aussi, à cause de cette “légitimité historique” galvaudée, utilisée comme une ruse de guerre par une caste qui s’agrippe désespérément au pouvoir, se considérant indispensable. “Tab djnan na”, avait pourtant lancé Bouteflika le mois de mai dernier depuis Sétif. Mais à quand le passage de témoin aux jeunes ? Est-il normal qu’un pays composé de trois quarts de jeunes de moins de trente ans soit encore aux mains d’une gérontocratie grabataire qui se croit éternelle ? Le scandale des faux moudjahidine en quête de reconnaissance, pour avoir accès à la rente, a sérieusement écorné, porté préjudice à la pureté  de l’image de la Révolution chez les jeunes qui ne comprennent pas qu’une caste s’arroge tous les privilèges, alors que Novembre est justement venu pour en finir avec les injustices, avec les inégalités sociales.

C’est toutes ces dérives politiques et morales qui font que les jeunes Algériens ne se sentent plus interpellés par Novembre. Ils préfèrent trouver leurs modèles, leurs référents ailleurs. Et c’est là tout l’échec, dans sa splendeur.

O. O