L’Algérie est un pays plurilingue. Une pléiade de langues a déferlé sur son sol. Des langues acquises essentiellement suite aux différentes conquêtes coloniales. L’occupation française plus particulièrement. Aujourd’hui, plus de 50 ans après l’indépendance, la langue française est toujours bien présente. Une langue vivante que les générations ne cessent de s’approprier, d’adapter au gré de leur quotidien. «Sardine, sardine, 500 DA le kilo !», crie le vendeur avec un accent algérois. Entre les étalages, nous nous sommes faufilés et avons apostrophés des passants. Une seule question : «Parlez-vous français ?» La réponse est donnée comme par automatisme : «Oui, je parle le français».
En fait, dans la capitale comme dans la majorité des régions du pays, il suffit de lever la tête pour voir les pancartes publicitaires écrites fréquemment en langue française. De même pour les panneaux de signalisation et les frontons des restaurants et des fast-foods. Mais c’est surtout dans les administrations et les écoles que le français est omniprésent. «Je n’ai pas l’impression de parler une langue étrangère. j’emploie le français au quotidien, que ce soit dans le parler comme dans l’écrit», dira Ahmed, perdu entre ses documents à la mairie d’Alger-Centre. Les documents y sont délivrés dans deux langues : en arabe et en français. Vers le lycée Kheireddine Barberousse (ex-Delacroix), un septuagénaire qui venait de raccrocher son téléphone nous lance tout naturellement : «Mes parents, moi-même, mes enfants et mes petits-enfants sommes nés à Alger ; le français a toujours été une langue que nous avons employée. C’est le cas, je crois de la plupart des Algériens. Il n’y a pas un seul qui n’emploie pas au moins un mot en français dans une seule phrase». Soulevant les épaules comme pour exprimer la banalité de la question, il ajoutera : «nous devons au contraire lui accorder plus d’importance pour que nous puissions nous exprimer correctement dans cette langue. Sans pour autant écraser l’arabe ou l’anglais…»
A l’école, au moins six heures de français sont dispensées chaque semaine. Elle est, en effet, une langue d’enseignement à laquelle on tente d’accorder beaucoup plus d’importance. L’ajout d’une année en cycle moyen en 2003 et l’introduction de la langue française dès la 3e année primaire en 2006-2007 impliquant la production de nouveaux manuels scolaires renseignent bien sur toute l’importance accordée à la langue de Molière. Tous ces changements qui cherchent à donner à la langue française ce qu’elle mérite, ont certes, perturbé l’enseignant et désorienté l’élève, mais ceci a vraiment contribué à donner au français son véritable statut. Le niveau de maîtrise de cette langue par les Algériens, les élèves et les étudiants est-il pour autant appréciable ? Pas si sûr. Aujourd’hui, les jeunes diplômés de l’université trouvent toutes les difficultés du monde à rédiger par exemple des lettres administratives. L’expression orale est également au plus bas. Hormis quelques généralités et des mots employés de manière aléatoire, nos jeunes étudiants s’expriment de manière approximative. S’ajoute à cela les nouvelles technologies qui ont littéralement bouleversé les modes d’apprentissage traditionnels qui ont pourtant fait leurs preuves. Le français académique se perd pour laisser place au langage SMS. Aucune règle de grammaire n’est respectée, la ponctuation est tout simplement omise, alors que les règles de grammaire et les accords sont tout simplement ignorés. Pour faire simple et vite, nos adolescents se contentent d’écrire leurs messages en phonétique. Leur premier souci est que le message passe, et quant à la langue, on ne s’en préoccupe pas. Les réseaux sociaux et internet y sont aussi pour quelque chose. Les jeunes passent leur temps libre à jouer en ligne ou à surfer sur les réseaux sociaux.
«On va se débrouiller»
Les universitaires sont, quant à eux, conscients des difficultés auxquelles ils seront confrontés à l’avenir. «Je suis inscrite au département de pharmacie. Pour le moment, je n’ai pas de problèmes dans cette langue, car ce sont des modules scientifiques. Mais pour le futur, j’appréhende surtout la rédaction des rapports et des lettres administratives», a confié une jeune étudiante en 2e année de pharmacie rencontrée à l’entrée de la Faculté centrale d’Alger.
«Personnellement, je n’ai pas de souci en langue française. Je lis beaucoup dans cette langue», assure pour sa part sa camarade. Les plus jeunes sont plus optimistes : «On est très faibles en français, mais on va se débrouiller à l’avenir», indiquent deux élèves scolarisés en 2e année sciences au lycée Kheireddine Barberousse d’Alger-Centre. Confiants, ils assurent que leurs lacunes en français ne leur causeront aucun problème dans leur vie professionnelle. «Le français, ce n’est qu’une langue comme toutes les autres. Nos difficultés ne vont pas nous empêcher de réussir», disent-ils. Une autre camarade pense le contraire :
«Maîtriser le français est nécessaire pour réussir. Les lettres de motivation, les CV, les entretiens d’embauche se font en général en français», a-t-elle estimé. C’est pour cela, ajoute-t-elle, qu’il faut donner de l’importance à cette langue et la valoriser. J’ai un penchant pour le français. D’ailleurs, mes livres préférés sont en français» a-t-elle confié en nous montrant son livre de poche.
MDR, lol, TFK… nouveau langage
Une enseignante du cycle secondaire forte de 30 ans d’expérience dans le domaine déplore fortement cette situation. «La langue française se perd d’année en année. Le niveau se dégrade !»
regrette-t-elle. Les élèves, poursuit-elle, n’accordent pas beaucoup d’intérêt à cette langue et ne font pas d’effort pour l’apprendre. A l’exception, a-t-elle ajouté, de ceux qui ont grandi dans un milieu où la langue française est couramment employée». «Le niveau est en dessus de la moyenne. Sur une classe de 25 élèves, seuls 5 suivent sérieusement mes cours», avoue encore notre interlocutrice. Pire, elle affirme que la plupart des élèves admis en première année secondaire n’ont aucune base en français. Pour remédier à cette situation, l’enseignante préconise le retour à l’enseignement traditionnel du français, c’est-à-dire au cycle primaire. «La pédagogie traditionnelle a été très efficace pour l’apprentissage du français chez l’enfant, et ce, dès son plus jeune âge», a-t-elle souligné. Elle a mis l’accent sur l’importance de faire appel à des pédagogues au primaire pour donner envie aux enfants d’apprendre cette langue d’avenir pour les Algériens.
«Littérature francophone, ma préférence»
Comme elle, plusieurs étudiants ne ratent aucune rentrée littéraire. Une réalité que nous avons pu vérifier lors de notre tournée des librairies d’Alger. Les romans à succès à l’étranger, à l’instar du célèbre «50 nuances de Grey» ou «Hunger Games» se vendent comme des petits pains, alors que Paulo Coehlo fait un tabac chez les jeunes lecteurs.
«Les livres en français sont très vendus durant toute l’année», indique un libraire qui tient la boutique «Izzabook» à la place Audin, à Alger- Centre. Sa librairie ne désemplit pas. Les Algériens ne lisent pas ? Faux. Mieux, la littérature a bien la cote chez les jeunes. A Izzabook, ils étaient des dizaines à venir chercher un nouvel ouvrage pour meubler leur temps libre. «Les Algériens sont plurilingue. Les livres d’espagnol et d »italien se vendent aussi très bien», a fait savoir une autre vendeuse au niveau de la librairie Maison de la presse Braham, située à la Grande Poste. Parmi les écrivains les plus lus, elle nous a cité Guillaume Musso, Paolo Coello et Yasmina Khadra. Comme quoi, la langue française demeure, malgré toutes les contraintes, la langue préférée des Algériens.