La Kabylie,de plus en plus exsangue,Une région et 36.000 misères

La Kabylie,de plus en plus exsangue,Une région et 36.000 misères
la-kabyliede-plus-en-plus-exsangueune-region-et-36-000-miseres.jpg

L’embellie financiere ne profite à cette région que d’une manière sporadique

Le constat est flagrant, la situation est grave: la Kabylie souffre, elle gémit. Peut-on rester muet face à cette situation dont est victime cette wilaya?

Longtemps soumise au seul apport de sa population émigrée, l’économie de la Kabylie continue à être la grande oubliée de «l’effort national» de développement.

Derrière les duels de toute nature entre pouvoirs publics, politiques, gouvernants, opposants ou commis de l’Etat, se cache le débat autour de l’avenir de cette région, qui fut un «poumon d’une nation en gestation».

LG Algérie

Les rendez-vous électoraux passés, législatives et locales, appellent à poser les vraies questions d’un présent et d’un devenir des plus alarmants! Allons au-delà du constat qui déjà crève les yeux et le coeur! La Kabylie, cette partie de l’Algérie riche, subit un isolement, une crise multidimensionnelle et un terrorisme sanguinaire. Pendant que d’autres régions renaissent de l’après-tragédie nationale. «Il y a un isolement économique, un déchirement politique, une stigmatisation bureaucratique, une anarchie urbanistique, catastrophe environnementale et écologique, bouleversement sécuritaire, chômage généralisé… la population est à genoux!» avertit Hamid, fonctionnaire dans une administration à Tizi Ouzou. Pouvoirs publics, partis politiques, bureaucrates, administrations, maires, walis… tous sont montrés du doigt! Vont-ils répondre de ce qu’ils commettent chaque jour?

Durant notre voyage, on a eu tellement de surprises, tellement d’images désolantes, tellement d’enclavements. On a rencontré des hommes et des femmes. On a discuté avec eux pour comprendre et pour voir mieux. On a écouté des témoignages. Citoyens, politiciens, investisseurs, militants associatifs, émigrés, femmes et enfants… tous pleurent leur Kabylie. Ils le disent crûment et sans la moindre peur. Ils ne sont pas régionalistes, encore moins séparatistes, ils sont juste des enfants d’une Algérie… la leur. Certaines visions sont extrêmement conservatrices ou radicales. Le traumatisme était grand aussi. A leurs yeux, ils doivent être sur un pied d’égalité que leurs concitoyens de l’Est, de l’Ouest, du Nord ou du Sud. Ils appellent à l’équité sociale!

Mais à quoi est due cette situation?

Destination Tizi Ouzou. On a interrogé un élu, fraîchement installé à l’APW de la ville. Lui, c’est Yacine Aïssiouène. Il ne pense pas que cela soit à l’instar de toutes les régions du pays. «La situation est beaucoup plus dramatique en Kabylie, car en plus de tous les problèmes qu’on retrouve ailleurs, cette région subit l’anti-kabylisme qui ne dit pas son nom», fustige-t-il.

«Ce chaos», est dû, selon lui, au fait que «les dirigeants locaux et nationaux ne se préoccupent aucunement du devenir de la nation. Ils s’en fichent éperdument si le système éducatif est performant ou pas, si notre économie est rayonnante ou non, si les jeunes ont du travail… leur seul souci est de se maintenir tant que les pétrodollars sont encore là», assène-t-il.

Pour cet élu, il n’y a pas quatre solutions, «d’abord, il faut continuer le combat pour le changement de ce système qui nous a plongés dans cette situation. Mais en attendant que cela soit concrétisé, nous devons tout faire pour limiter les dégâts».

Or, pour faire sortir cette région de ce chaos, le seul rôle joué par ces élus est «de faire en sorte que le citoyen soit informé du moindre détail. Le peu d’argent qui n’est pas encore détourné doit être mis au profit du développement», soutient-il.

Dans la willaya de Tizi Ouzou, si l’on prend le budget de l’année écoulée, on constate que seuls 10% des crédits ont été consommés. Incroyable, mais vrai.

Les mots et les explications tantôt divergent, tantôt convergent. Tous ceux qu’on a rencontrés, s’adonnent à un seul exercice. Dresser un constat dramatique. C’est le cas de cheikh Ahechrarouf, un vieux qu’on a rencontré dans la commune de Fréha. Aujourd’hui âgé de 81 ans, il dit avoir fait toutes les guerres pour que son pays vive. Aujourd’hui, il cache très mal sa déception. L’été dernier, il dit avoir perdu plus de 100 oliviers du fait des feux qui lui ont tout ravagé. Il n’a plus rien. Son témoignage était bref et saisissant: «Je n’ai pas la force ni le savoir pour vous dire que je me sens simplement trahi.»

A Azazga, une importante APC gérée tantôt par le FFS, tantôt par le RCD, cette fois-ci elle est tombée entre les mains du FAN. Les explications de Chérif T., président d’une association culturelle sont saisissantes. «Les Kabyles sombrent dans l’analphabétisme politique qui est le pire des fléaux. Il règne dans cette région par la bénédiction de ce système.»

Dans la wilaya de Béjaïa, qui fige la mémoire de ses citoyens, le seul investissement public depuis 10 ans: «Une prison à 70 millions de dollars. La prison d’Oued Ghir est le seul gros investissement consenti par l’Etat à la wilaya de Béjaïa», regrette Saïd, enseignant à El Kseur. La raffinerie de pétrole, l’autre projet d’envergure qui devait être initialement implanté à El Kseur, a fini par être délocalisé vers Tiaret, même si l’option Béjaïa, en tant que port pétrolier, s’imposait avec une logique implacable.

Une prison à 70 millions de dollars

La willaya de Bouira, elle, loin des yeux croulait sous le poids de l’insécurité et la violence terroriste. Pas plus tard que cette semaine, un violent accrochage entre une unité combinée de l’ANP et un groupe terroriste a coûté la vie à un lieutenant- colonel et à un garde communal.

Entre-temps, d’autres ont quitté leur Kabylie… mais ils y pensent très sincèrement. C’est le cas de Malika Benarab-Attou. Elle est née en Algérie, originaire de Kabylie, aujourd’hui eurodéputée. «Je ne suis pas magicienne! Mais, je crois que la Kabylie n’est pas la seule à subir une situation dramatique pour le peuple en Algérie. A part la solidarité par les mouvements sociaux, pour le moment je ne vois pas d’autres issues, les politiques n’étant pas à la hauteur des enjeux…», explique-t-elle. Un avis qu’elle tire de sa lecture de la presse algérienne et des analyses des universitaires, sa rencontre avec les parlementaires algériens dans la délégation Maghreb du Parlement européen…

Ce qui n’est un secret pour personne est que la région a de tout temps été à la traîne, notamment du point de vue du développement. Une «correction» pour son caractère rebelle, voulue par les pouvoirs successifs qui la voient comme étant un «danger» pour la nation arabo-islamique, tente de comprendre un universitaire.

Dans le même sens, «il est utile de souligner que ce caractère rebelle de la Kabylie se retourne parfois, souvent même, contre elle. En témoignent justement les déchirement entre frères, ceci du point de vue, aussi bien politique, que social», poursuit-il.

Pour un autre sociologue,

«le système patriarcal qui caractérise cette région a produit des «comportements» de révolte «contre nature», justifiables parfois, des révoltes «contre la nature» aussi, malheureusement, à telle enseigne que la Kabylie est devenue un énorme «dépotoir». Enorme dépotoir, mais aussi un «no man’s land» où règne l’anarchie urbanistique, la violence et le terrorisme. Infléchir la région? C’est peut-être le voeu de certains cercles.

C’est une hypothèse. «La solution réside à mon sens, dans la sagesse et le retour aux anciennes valeurs ancestrales faites de respect, mais aussi de solidarité et d’amour pour sa terre», conclut-il.

Enfin, l’embellissement financier, grâce à la rente pétrolière, ne profite à cette région que d’une manière sporadique saupoudrée ici et là, beaucoup plus pour entretenir une clientèle locale que répondre à des besoins socio-économiques de la région et de ses habitants. Le pouvoir en place entretient une relation de méfiance à l’égard de cette région! Le péril kabyle a toujours été le «ciment» qui a permis au pouvoir et l’ensemble de ses fractions de se maintenir par un viol de la mémoire et la manipulation de l’histoire.

La Kabylie n’est pas totalement à genoux! Elle a encore du ressort! Son meilleur capital, son histoire, son identité propre et surtout son patrimoine pour le combat démocratique. Ce sont les valeurs de ce dernier qu’il faudra continuer à cultiver, entretenir pour faire face et résister… la seule digue contre «la régression» qui risque de dévitaliser la Kabylie!