La Kabylie sous le choc

La Kabylie sous le choc

Il était 9h15, j’ai trouvé le regretté Hend par terre, gisant dans une mare de sang. Il a reçu une balle de kalachnikov au ventre.

Le père de Omar avance à pas cadencés. Sans cesse, l’oeil hagard, l’homme qui doit avoir 70 ans semble imaginer tous les scénarios possibles. Difficile de s’adresser à lui en tant que journaliste dans un contexte aussi pénible.

Après une brève réflexion, nous renonçons à lui poser des questions, car nous jugeons indécent de le faire en de telles circonstances. Omar, 34 ans, a disparu depuis dimanche dernier à 21h10. Le village Imekhlaf, situé à un jet de pierre d’Aghribs, en Kabylie maritime, était la destination de milliers de citoyens. Ces derniers sont venus d’un peu partout jeter un dernier regard sur la dépouille mortelle de Slimana Hend.

A 11h déjà, il était difficile de se déplacer en voiture dans ce village situé au pied d’une dense forêt. En d’autres circonstances, ce magnifique panorama aurait attiré des milliers de touristes tant il offre des vues paradisiaques. Mais hier, l’heure était au recueillement et à la dignité. Des dizaines de jeunes, voire des centaines, étaient mobilisés pour gérer l’affluence. On dirait tout, sauf un enterrement.

La levée du corps a eu lieu à 13 heures. Mais les gens arrivaient au village dès les premières heures. Toute la région semblait bouleversée. On ne sait à qui on devait penser, à Hend qui les a quittés de façon tragique ou à Omar dont le sort est encore inconnu. L’un des membres de la cellule de crise nous a confié, que pour l’instant, ils sont sans nouvelle de lui.

Notre interlocuteur précise qu’ils essaient au maximum de calmer les esprits. «C’est la première fois, depuis le début du phénomène des kidnappings, qu’il y a mort d’homme. Cette nouvelle donne va tout changer», enchaîne notre interlocuteur qui rappelle que Omar est père d’un enfant de deux ans et qu’il est sans emploi. Devant son domicile, les vieilles femmes affluaient sans interruption. Des jeunes plein d’amabilité orientient les visiteurs.

Des groupes se sont constitués. On échange des bribes d’informations qu’on a pu recevoir jusque-là. Mais aucune version ne semble faire l’unanimité.

L’entrepreneur assassiné n’habitait pas le village. Il résidait à Alger et il était venu juste pour passer l’Aïd chez ses parents. «Comment les kidnappeurs ont-ils su qu’il allait venir au village? Ont-ils des complices?», S’interroge un citoyen. Ce n’est pas la seule question qui taraude l’esprit des gens au village. «J’ai été le premier à arriver sur les lieux du faux barrage dimanche dernier. Il était 9h15. J’ai trouvé le regretté Hend par terre gisant dans une mare de sang. Il a reçu une balle de kalachnikov au niveau du ventre. Nous l’avons directement emmené à l’hôpital d’Azazga avec l’espoir qu’il allait être sauvé», raconte un jeune du village qui a vécu les péripéties de cette mésaventure depuis son début.

Ce dernier nous a précisé que les ravisseurs sont partis avec la voiture de la victime, âgée de 49 ans et père de cinq enfants dont le plus jeune a à peine douze ans. On a également appris sur place, que l’action des ravisseurs a duré au maximum trois minutes. Ces derniers n’ont même pas barré la route. «Ils ont occupé la chaussée presqu’au moment où Hend arrivait à bord de sa voiture. Il y a eu une seule voiture que les ravisseurs avait laissé passer. La seconde était celle où se trouvaient Hend et Omar», enchaîne un autre habitant au fait des détails de cette affaire.

Ce dernier révèle qu’il y avait trois terroristes. Ils portaient des tenues militaires et étaient armés de kalachnikovs.

Quand les premières personnes sont arrivées sur les lieux, il y avait les deux appareils portables des victimes ainsi qu’une casquette militaire, ajoute notre source. D’autres citoyens du village Imekhlaf, interrogés hier quelques minutes avant l’enterrement, nous ont confié qu’ils n’ont constaté aucun mouvement de terroristes dans leur localité, particulièrement ces derniers jours.

En effet, avons-nous constaté hier, il s’agit d’une région où la présence des forces de sécurité est très forte. En plus des barrages des forces de l’ANP, plusieurs campements militaires permanents veillent au grain. Selon des sources locales, des campements des forces de l’ANP existent dans plusieurs villages de la région tels Azrou, Ighil Khemis…

Le décès de l’entrepreneur a mis le feu aux poudres puisque des citoyens de la localité n’ont pas hésité à exprimer le voeu de prendre les armes. Mais les sages des villages ont appelé à tempérer les ardeurs.

C’est du moins ce que nous confie le membre de la cellule de crise mise sur pied lundi matin, au lendemain de l’agression. Plusieurs comités de villages du versant des Ath Djennad composent cette cellule. Celle-ci est constituée de membres de comités de villages, d’élus et de notables.

La marche et la grève qui devaient avoir lieu hier ont été reportées suite au décès de Slimana Hend. Elles sont reprogrammées pour demain lundi. La ville de Freha sera donc paralysée demain durant toute la matinée par une grève générale qui touchera les secteurs publics et privés. Ensuite une marche à laquelle prendront part des milliers de citoyens sera également prévue avec un seul mot d’ordre: «La libération de Omar».

Aomar MOHELLEBI