La kabylie durant les intempéries,Entre hier et aujourd’hui

La kabylie durant les intempéries,Entre hier et aujourd’hui

Même les déplacements sont rendus impossibles par la neige

Les figues sont soigneusement séchées tout comme la tomate, le poivron, l’oignon et bien d’autres légumes pour être ensuite conservés pour les moments de disette.

L’arrivée de la neige et des précipitations, qui habituellement était saluée, a été cette fois-ci source de colère et d’indignation. Partout on crie à l’abandon. Tout vient à manquer, vivres, gaz, courant électrique, téléphone, Internet. Même les déplacements sont rendus impossibles par l’épaisseur exceptionnelle de la neige. Bref, la Kabylie est isolée du monde. La colère était telle, comme si c’était la première fois que les habitants subissaient cette épreuve. Ce paradoxe n’a, en fait, de valeur que celui d’illustrer comment les populations sont devenues dépendantes et vivant sous assistanat. Pour une région qui a vécu des périodes glaciales pires que celle-ci, il y a franchement de quoi s’interroger. Pour mieux comprendre cette situation de désarroi, nous nous sommes rapprochés des anciens de cette région à travers leurs témoignages, qui n’ont pas manqué de faire part de leur désolation par rapport aux cris de détresse qui ont émaillé les dernières intempéries. «Les chutes de neige enregistrées ces jours-ci sont loin d’égaler celle que nous avons connues durant les années 40 et 50», commente Da Saïd, un villageois d’Akfadou. «Il nous est arrivé de passer plus de 20 jours dans nos foyers sans crier gare», ajoute-t-il, allusion à toutes les critiques qui ont vu le jour face aux inconséquences des intempéries. Mais alors, comment s’y préparaient-ils? Quelle était alors la recette qui leur permettait de survivre à cette épreuve du temps. Vivant en majorité de leur exploitation paysanne, les habitants de la Kabylie savaient exactement s’y prendre pour faire face aux hivers rudes. Les préparatifs pour faire face aux hivers qui se font très rudes, le paysan est pratiquement à l’oeuvre toute l’année. Dès la saison des moissons, le paysan se fait déjà préventif.

L’opération lui permet de récupérer les grains de blé dur qu’il conservait dans des «akoufis», une sorte de silo en terre. Quant au foin, il est emballé pour être stocké dans les étables. Il servira d’aliment pour le bétail. Lors de la saison de la collecte des olives, le même esprit de prévention anime les paysans, qui conservaient soigneusement aussi bien les branches récupérées de la taille des oliviers que les éléments solides à l’issue de la trituration. Rien ne se perdait. Tout est minutieusement gardé pour servir au moment opportun. En automne, les figues sont soigneusement séchées tout comme la tomate, le poivron, l’oignon et bien d’autres légumes pour être ensuite conservés pour les moments difficiles. «Dès l’arrivée de l’hiver, les habitants de Kabylie n’avaient de soucis que pour la période cruciale d’enneigement», raconte cette villageoise qui met en exergue le rôle de la femme. «Nous moulons le grain de blé, on roule suffisamment de couscous et on prépare tout ce qui conservable.»

Pendant ce temps, les hommes continuaient à ramasser le bois de chauffage. Tous les efforts vont dans ce sens. La maison kabyle de l’époque est connue aussi pour faire face aux rudes hivers. Construites généralement en pierre, qui permettait la conservation de la chaleur, la maison de Kabylie était à la fois une étable, un dortoir, une cuisine. Une fois les préparatifs achevés, on scrute le ciel. «Il n’y avait ni bulletin d’alerte ni avertissement, dès les premières chutes de neige, nous rejoignons nos foyers», explique Da Saïd. «Généralement, la neige se fait abondante dès son arrivée.

Le lendemain, les paysans tentent tant bien que mal de se frayer des chemins pour aller vers le voisinage, histoire de garder le contact. Durant cette période, les villageois agissent comme un seul homme, ajoute Aâmi Salah. «La solidarité n’est pas un vain mot. Lors d’un décès, la mobilisation est générale. On enterrait nos morts et soignait nos malades sans demander l’aide de quiconque», soutenait-il, «la femme kabyle se prenait en charge dans les pires moments sans râler. Aujourd’hui encore ce caractère de solidarité existe même s’il apparaît sous d’autres aspects.» Da Hamou reconnaît quant à lui que beaucoup de facteurs ont fait que les habitants de Kabylie ne sont plus les mêmes.

«Aujourd’hui il est tout simplement un assisté.» Il ne produit ni sa nourriture ni ses habits et encore moins ses moyens de chauffage. Epousant les moyens modernes, qui certes facilitent beaucoup la vie, les habitants de la Kabylie sont devenus totalement dépendants de l’Etat. Il sont dépendants de l’électricité, du gaz, des moyens de locomotion et des vivres qu’ils ne produisent pas. Pire «le Kabyle a perdu cette valeur qui fait de lui un homme prévoyant», ajoute Smaïl un jeune qui refuse de critiquer les autorités. «Où sont les réflexes d’antan?», s’interroge-t-il sur un ton amer. «Que sommes-nous devenus pour crier au secours à la moindre intempérie?» Des questions que beaucoup se posent à la faveur des dernières chutes de neige. Des questions qui mettent en évidence la faillite des politiques qui ont fait de l’Algérien un assisté. Un assisté qui ne prend même pas soin de prévoir des réserves pour les moments difficiles alors qu’il vit dans l’une des régions les plus rudes du pays. La Kabylie d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui. Les dernières intempéries ne font que confirmer cette mutation qui comporte plus d’inconvénients que d’avantages. Tout le monde l’aura compris à ses dépens. Da Hamou scrute de nouveau le ciel. Le mauvais temps persistera et le Kabyle râlera encore et appellera au secours en croisant les bras comme un éternel assisté. Il s’enveloppe dans son burnous et quitte le café du village.

Un lieu qui a pris la place de la Djamâa où jadis, les villageois se retrouvaient pour se concerter et entrevoir des solutions à un quotidien qui a toujours été difficile dans les contrées de la Kabylie. Beaucoup continueront à jouer aux dominos et aux cartes en fustigeant le maire de la localité qui ne leur a pas ouvert les routes.