Si jusqu’à présent, la traduction était laissée à l’appréciation du juge, à partir du 25 avril, ni les justiciables, ni les avocats, ni les magistrats n’auront le droit de produire des documents dans une langue autre que l’arabe.
Ce samedi verra l’entrée en vigueur de la loi 08-09 du 25 février 2008 portant code de procédure civile et administrative et dont les effets sont très appréhendés par les « acteurs » de la justice. En plus du concept de médiation autour duquel le flou est immense, il y a l’article 8 dans lequel il est stipulé que « les procédures et actes judiciaires tels que les requêtes et mémoires doivent, sous peine d’irrecevabilité, être présentés en langue arabe ».
La première victime est tout simplement le simple citoyen puisque la traduction en langue arabe de tous les documents écrits en langue française sera à sa charge. Pour avoir une petite idée sur les dépenses attendues, il faut savoir que la traduction d’un certificat coûte en moyenne 1 000 DA et pour un jugement de justice de deux pages, elle est de l’ordre de… 25 000 DA. Des prix carrément inabordables pour des ménages de plus en plus proches de la précarité. Cette nouvelle procédure ne peut que faire fuir les citoyens de la justice, surtout que personne ne pourra justifier et expliquer le fait que ces documents sont délivrés par l’administration algérienne. Ainsi, l’accès à la justice, qui doit pourtant être gratuit, devient payant, alors qu’au même moment, nous entendons de plus en plus de personnes faire des déclarations tapageuses sur « l’émergence de l’État de droit ».
Traducteurs insuffisants et non formés
Les retombées ne sont pas seulement pécuniaires. Il y a aussi, en plus du retard inévitable qui découlera sur les décisions de justice, les gros risques d’erreurs. Comment ne pas appréhender cette nouvelle loi devant l’absence criante de traducteurs spécialisés. Quand nous parlons de documents, il s’agit très souvent de certificats médicaux, d’expertise ou encore de statistiques. Il suffit de se pencher un peu sur la formation des traducteurs pour avoir une idée sur leur impossibilité de pouvoir « toucher » aux documents techniques sans une formation spécialisée. Dans la logique des choses, nous nous attendions à ce que des cycles dédiés aux traducteurs agréés par la justice soient organisés depuis la promulgation, il y a de cela exactement une année. Que nenni. Carrément, aucune démarche n’a été signalée dans ce sens.
À la question de savoir comment pourront travailler des traducteurs sur des dossiers médicaux ou techniques, une jeune traductrice nous affirmera tout simplement avec une assurance déconcer-tante : « Peut-être qu’il n’y a pas de formations spécialisées, mais il y a le Net et les dictionnaires sur lesquels on peut travailler et qui nous sont d’un grand apport » ! C’est dire les graves dérives auxquelles on peut d’ores et déjà s’attendre.
À cela, il faut ajouter le nombre insuffisant de traducteurs agréés (près de 70 sur Alger, selon des chiffres officieux) pour pouvoir absorber l’immense flux attendu à partir de ce 25 avril. Notons qu’il y a seulement trois instituts de formation de traducteurs : à Alger, à Annaba et à Oran.
Les études de droit en question
Connaître de près ce qui se passe dans la faculté de droit d’Alger (Ben Aknoun), depuis plusieurs années, permet sans aucun doute de comprendre plus ou moins l’essence même de cette arabisation rampante. C’est en tout cas l’avis d’enseignants éminents qui n’hésitent même plus à nommer la fac par un très significatif « la zaouia », tout en parlant du « niveau de ras des paquerettes » des futurs avocats et magistrats du pays. « C’est devenu surtout une usine de production industrielle des docteurs en droit », nous dit l’un d’entre eux rencontré à Ben Aknoun, tout en ajoutant : « Surtout que les soutenances de beaucoup parmi eux se font en catimini, souvent lors des vacances universitaires. » Évidemment, cette baisse de niveau est essentiellement due aux désastreux résultats de l’école algérienne, mais il ne faut pas oublier que dans cette faculté, il y a près de 24 000 étudiants alors qu’elle était prévue pour… 10 000.
En plus des étudiants, la situation des avocats n’est guère plus reluisante pour pouvoir aborder la nouvelle donne de cette loi. Les mascarades à répétition du bâtonnat d’Alger depuis plus d’une année ont montré à quel point les robes noires sont totalement « perdues » dans les méandres de conflits sans fin. Le projet de loi régissant la profession d’avocat proposé par le ministère de la Justice viendra à coup sûr, sauf si entre-temps il y a eu un sursaut : « bâillonner » les avocats.
La « sentence » d’un avocat chevronné sur cette nouvelle loi résume en elle-même l’état des lieux : « À défaut de pouvoir régler les problèmes de fond, on s’attaque à leurs formes. » Aux justiciables maintenant de « subir » les effets de cette loi en… attendant des jours meilleurs.