Le film documentaire intitulé Hier, aujourd’hui… et demain, réalisé par Yasmine Chouikh, a fait l’objet d’une projection informelle suivie d’un débat, mercredi soir, au niveau de l’espace Djazaïr News à Alger.
Produit par Baya Hachemi, Hier, aujourd’hui… et demain est un film documentaire non achevé. C’est ce qu’a tenu à expliquer, avant la projection, la réalisatrice Yasmine Chouikh.
«C’est un documentaire non terminé qui n’est pas mixé. Soyez indulgents. C’est un documentaire qui se donne à suivre comme une histoire racontée autour d’un café. Mon souci était de réconcilier les jeunes avec leur histoire, en l’occurence avec la guerre d’Algérie.»
Place ensuite à la projection de Hier, aujourd’hui… et demain. Il s’agit d’un documentaire sur les femmes dans le mouvement national à partir des années 40, et ce, jusqu’à l’indépendance. La réalisatrice, Yasmine Chouikh, a laissé libre cours à sa caméra en donnant la parole à une palette de moudjahidate qui ont embrassé la juste cause à la fleur de l’âge.
Le film met, en effet, en scène des témoignages édifiants et poignants sur des figures féminines de proue de la révolution agérienne, qui ont risqué leur vie pour aider les compatriotes. Citons parmi ces dernières Lucette Hadj Ali, Ghania Chentouf, Nassima Hebellel, Leïla Benosman, Hassiba Benyellès, Baya Kahla, Houria Abid, Farida Belgambour et Hassina Abdelouaheb.
Ces femmes courageuses, qui ont bravé la mort au quotidien, reviennent avec beaucoup d’émotion sur ces durs moments vécus au maquis en compagnie de leur frères. Lucette Hadj Ali reconnaît qu’elle a commencé à prendre conscience du système colonial quand elle est arrivée à Alger pour ses études universitaires. Elle s’est engagée assez tard en découvrant la chose à travers la misère des enfants dans la rue.
«La femme algérienne a souffert de par toutes les fonctions qu’elle avait à subir.» Nassima Hebellel, qui a adhéré au nationalisme en 1956, rappelle que la femme algérienne était exclue du vote dans ce statut de l’Algérie. L’association des femmes algériennes avait justement réclamé le droit au vote.
Elle se souvient qu’elle et ses compatriotes vendaient le journal Liberté en faisant du porte-à-porte chez les familles riches. L’essentiel était de récolter de l’argent pour subvenir aux besoins des frères. «Les hommes nous ont utilisées», dit-elle d’un ton ironique. Les femmes avaient également la lourde responsabilité de déposer les bombes un peu partout. Nassima Hebellel s’est faite arrêter le jour où elle devait passer son permis de conduire.
Elle a subi les pires tortures, notamment avec les procédés de la gégène. «J’étais mieux traitée à la prison de Rennes. On ne peut pas pardonner pas aux tortionnaires. Cependant, il faut penser à un avenir meilleur pour nos enfants», esquisse-t-elle avec un sourire au coin des lèvres.
Pour sa part, Hassiba Benyellès se remémore avec douleur de son expulsion de l’école à l’âge de 11 ans par l’un de ses professeurs. Son crime a été d’avoir proclamé la phrase suivante : «L’Algérie c’est l’Algérie». Elle a reçu deux gifles, suivies d’une expulsion définitive de l’école. «J’étais un garçon dans ma tête. Je cherchais à me venger.
J’ai toujours voulu savoir ce qu’il y avait derrière les montagnes», confie-t-elle. Hassiba Benyellès avoue sans honte aucune qu’elle ne s’est jamais regardée devant une glace. A 13 ans, elle dormait dans les grottes. Elle se lavait les cheveux avec un détergent. Elle ne connaissait que rarement le sommeil.
«Les maquisardes ne faisaient pas attention à leur féminité. On se nourrissait de fruits sauvages et d’autres choses de la nature. En dépit de tous ces moments de douleur, il y a eu tout de même des moments agréables. Le maquis n’est pas facile. Tu vois des choses affreuses. La seule personne qui peut se mettre dans ma peau, c’est celle qui a subi le même combat que moi», renchérit-elle.
Arborant un regard triste, l’infirmière Kahla argue haut et fort que les moudjahidate, s’étant enrolées jeunes au cours de la Révolution, n’ont pas eu d’enfance. Leur enfance, c’était de libérer le pays avec honneur et bravoure. A l’âge de 17 ans, elle quitte le domicile familial pour rejoindre le front. «Les moudjahidate étaient torturées à mort. Aucune d’entre elles n’a dénoncé quiconque. Nous avons souffert le martyre, mais la liberté n’a pas de prix. Le plus beau jour de ma vie a été la proclamation de l’Indépendance.» «Mazal, on n’est pas encore indépendants», lance-t-elle.
De son côté, Houria Abid ayant occupé un poste important dans l’administration, souligne qu’elle était en contact avec les moudjahidine blessés. Farida Benosman s’est engagée à l’âge de sept ans. Elle confie que très souvent, il leur arrivait de rester sous les bombardements pendant trois jours. La souffrance était indescriptible.
En somme, ces témoignages croisés lèvent le voile sur le dur vécu de ces enfants et adolescentes d’autrefois qui, aujourd’hui, arborent 70 et 80 ans. Ces dames à la bravoure certaine ont, avec des mots simples et mesurés, éclairé les consciences actuelles.
Comme l’a si bien souligné Yasmina Chouikh, sa démarche n’était pas de faire un film sur la Révolution algérienne : «Je ne suis ni historienne ni documentaliste mais simplement une réalisatrice qui s’est penchée sur le vécu de ses femmes, sur l’humain».
Il est à noter que ces témoignages de femmes ont été rehaussés dans un premier temps par des archives piratées. Plusieurs séquences de La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo et de Hassen Terro ont servi de support.
Même si Hier, aujourd’hui… et demain reste un film documentaire à peaufiner, il peut se targuer d’être un document de référence et de mémoire. L’émotion est très vive dans la totalité des séquences. Une des caractéristiques de la touche personnelle dans le volet cinéma de Yasmina Chouikh.
Nacima Chabani