La jeunesse algérienne et l’impasse du modèle de développement, Quelles perspectives de redressement ?

La jeunesse algérienne et l’impasse du modèle de développement, Quelles perspectives de redressement ?

Le sort d’une partie de la jeunesse algérienne continue à être livré aux aventures océanes, au moment où le gouvernement entend faire «recouvrer au pays sa base productive» et relancer la machine économique par une «révolution » à opérer dans le système des investissements et de la création d’entreprises.

Les promesses et les plans échafaudés depuis des années ont sans doute échaudé les jeunes qui se morfondent dans une dangereuse précarité faite de chômage, de vacuité culturelle et de manque de perspectives.

On vient de constater une recrudescence inouïe des tentatives d’émigration clandestine au cours des premiers jours du mois de Ramadhan . Des dizaines de harraga ont été arrêtés par les gardescôtes à l’est comme à l’ouest du pays.

Le départ vers l’inconnu est favorisé ces derniers jours par l’état calme de la mer et la supposée baisse de vigilance des gardes-côtes à l’occasion du mois sacré. La plupart des «échappées» se sont déroulées après le repas du s’hour, moment où sont «censés» plonger les services de sécurité dans une sorte de «repos du guerrier».

Mais, des surprises, et des plus lugubres, il e en a eu. C’est le cas en cette aube du 6 juillet lorsqu’un groupe de 23 harraga, en «larguant les amarres» à partir de Annaba, eut été surpris par des gardes-côtes. La «course-poursuite» sur les flots a entraîné la mort d’un harrag et d’un militaire par arme à feu.

Les cieux «cléments» de l’Europe, que les jeunes Algériens ont voulu gagner depuis que, en 2006, la possibilité de traverser la Méditerranée leur a été révélée par un acte «pionnier» à Sidi Salem (quartier et plage de Annaba), continuent malheureusement à happer l’esprit et l’âme de cette population fragilisée, qui n’a pas réussi à se donner un destin serein en Algérie.

La hantise des autorités politique du pays, depuis les remous qui ont affecté l’aire géographique arabe, a été que cette jeunesse, contrainte à l’oisiveté et entraîné sur les chemins de la perdition, explose d’une façon incontrôlable, entraînant le pays dans l’inconnu.

Les manipulateurs, en Algérie ou à l’étranger, ne manquent pas pour ce genre d’opération par lequel ils voudraient prendre leur revanche sur un pays aux grandes potentialités, attisant moult convoitises.

En tenant à se tourner vers la frange juvénile de la population, le gouvernement de Abdelmalek Sellal a tenté toutes les solutions qu’impose l’urgence ; c’est-à-dire celles qui n’ont pas bénéficié d’une préparation et d’une maturation profondes.

L’on ne peut, en effet, se résoudre à se contenter de certaines mesures portant sur des dispositifs sociaux d’emplois, sur des micro-entreprises qui peinent à obtenir des plans de charge ou sur le recrutement dans la Fonction publique, secteur déjà saturé et dangereusement budgétivore.

L’on se souvient que le prédécesseur de Sellal, Ahmed Ouyahia, avait, en 2008, enjoint à tous les secteurs de réfléchir à la meilleure manière de prendre en charge le problème du chômage des jeunes. Il avait particulièrement insisté sur le rôle des banques dans la création et le développement de la micro-entreprise.

Auparavant, cet instrument de financement avait marqué le pas et ne répondait pas totalement aux attentes des jeunes entrepreneurs – particulièrement les diplômés de l’université qui voudraient se donner une vocation d’entrepreneurs – et des pouvoirs publics.

La cadence et le volume de la libération du microcrédit étaient essentiellement liés à la réticence des banques de prendre en charge un financement qui manquerait de garanties de remboursement.

C’est pourquoi, tous les directeurs de banques ont été instruits afin de relancer les microcrédits destinés aux jeunes sans emploi. Les observateurs ont relevé l’aberration de soumettre ce genre de crédit – supposé bénéficier à des jeunes sans ressources – aux règles traditionnelles de l’hypothèque instaurées par les banques en direction des grands investisseurs.

Aujourd’hui, outre le gage du matériel neuf acquis par les jeunes entrepreneurs, d’autres formes d’assurances peuvent être imaginées, y compris celles que pourront donner les pouvoirs publics. Une chose demeure évidente : les banques ne peuvent déroger à leur mission de commercialité.

Même en supprimant le taux d’intérêt de 1% sur les crédits consentis pour les jeunes – en raison d’une idée religieuse qui refuse l’usure (riba) – le Trésor public le prendra en charge à son compte, comme il a déjà pris le différentiel entre le taux d’intérêt commercial et le taux quasi symbolique de 1%. Sur un autre plan, au sein des banques publiques, on ne peut pas faire l’impasse sur les surliquidités qui grèvent la gestion de flux.

Une masse dormante qui requiert des capacités d’imagination et de management de façon à pouvoir se hisser au diapason des nouvelles missions des établissements financiers dans une économie qui entend se diversifier de plus en plus davantage pour sortir de l’ankylose rentière actuelle.

LES NOUVEAUX DÉFIS

S’agissant des capacités des jeunes à manager des entreprises ou à s’insérer habilement dans le nouveau monde du travail, on relève malheureusement les limites des formations scolaires, professionnelles et universitaires dispensées dans les établissements de formation.

Le sommet des paradoxes pour un pays qui consacre le plus gros budget de la nation à l’éducation et à la formation est d’être contraint de faire venir des ouvriers spécialisés et des contremaîtres de la Chine, par exemple, pour assurer le fonctionnement de certains chantiers confiés à des sociétés étrangères.

Des entreprises publiques et privées algériennes payent régulièrement des encarts publicitaires pour pouvoir recruter des ouvriers spécialisés et des agents d’exécution. Au bout de plusieurs semaines, voire des mois, le recrutement n’a pas eu lieu. Et pour cause. Même s’il dispose d’un diplôme dans la spécialité exigée, le niveau de formation laisse à désirer.

Les analystes de l’économie algérienne voient, ainsi, dans le chômage sévissant dans notre pays un phénomène caractéristique qui est loin de résulter d’une quelconque saturation du marché de l’emploi, mais, souvent, il provient d’un déficit manifeste de qualification et de compétence.

En outre et par une forme de curieux paradoxe, les différents dispositifs sociaux accordés aux jeunes dans le cadre du préemploi, du filet social ont fini par détourner un grand nombre de jeunes de tout travail où il est exigé des efforts physiques ou intellectuels. Le syndrome de l’agent de sécurité est partout présent. Depuis longtemps, la jeunesse algérienne est perçue, par la société et les pouvoirs publics, plus comme un «boulet» qu’une force avec laquelle il faut compter.

La féconde croissance démographique, les grandes interrogations liées à la transition économique, les peu louables performances de l’école, de l’université et des centres de formation, les nouveaux impératifs d’une mondialisation des économies exigeant compétitivité et esprit d’innovation, tous ces facteurs, disions-nous, se sont surajoutés au passif d’une gestion héritée du parti unique qui avait débouché sur l’impasse actuelle.

L’on se rend compte que, loin d’aller dans le sens d’une exploitation intelligente et fructueuse de cette énergie juvénile, les responsables politiques et administratifs qui se sont succédé à la tête du pays ont péché par manque d’attention, dans les différents programmes et dans la stratégie globale de développement du pays, à l’endroit de la jeunesse.

Toutes les politiques et les initiatives qui auraient dû valoriser cette fougueuse énergie et l’enraciner dans les réalités culturelles et économiques de notre pays ont manifestement manqué de visibilité et de pertinence.

Comme ont eu à en faire le constat des analystes de la scène algérienne, tous les errements démagogiques et populistes, permis par la rente pétrolière ont eu pour principale victime la jeunesse de ce pays.

L’illustration de cet échec historique sur le terrain ne tarit pas d’images funestes comme l’émigration clandestine en pleine embellie financière du pays.

Il en est de même des émeutes et barricades qui forment le quotidien des Algériens. Périmètre urbain, banlieue ou zone rurale, aucun espace n’est à l’abri de barricades, de mise à sac des biens publics ou privés ou de fermeture de mairie.

La violence sociale est devenue la norme dans une société gagnée par l’anomie. Des jeunes en sont même arrivés à des prises d’otage (maire, chef de daïra, directeur local de l’Anem,…) pour exprimer leur ras-le-bol. Même les jeunes des wilayas du Sud, traditionnellement connus pour leur calme et leur sagesse, ne comptent plus être pris une «quantité négligeable».

Ils l’ont montré depuis 2012, même si les premiers mouvements de protestation des jeunes à Ouragla et Ghardaïa remontent au milieu des années 2000. Le banditisme et la criminalité organisée prolongent d’une triste façon, dans les villes et à la campagne, cette hideuse image d’une jeunesse livrée à elle-même.

S. T.