Que ce soit à l’Ouest ou à l’Est du pays, des jeunes- tous âges et sexes confondus- continuent, à leurs risques et périls, de prendre clandestinement la mer pour atteindre soit l’Espagne, soit la Sardaigne en Italie.
Donc, le phénomène de la hargas dans notre pays a pris ces dix dernières années de l’ampleur et est devenu un véritable fléau social voire un phénomène de société auquel les autorités algériennes ont du mal à trouver des solutions adéquates pour juguler ce flux migratoire vers l’Europe et l’éradiquer une fois pour toute.
Il ne se passe pas un jour sans que l’on signale à travers les colonnes de la presse écrite la mort par noyade ou la disparition de jeunes au large de la Méditerranée ou encore leur interception et leur arrestation par les unités des gardes-côtes algériennes ou italiennes.
Est-ce que la harga est une solution extrême adoptée par les harraga pour un suicide collectif en haute mer en raison de leur ras-le-bol ou est-ce qu’ils sont en quête de l’Eldorado pour oublier la malvie dans laquelle ils végétaient ? Le but à travers ce reportage est donc de rechercher, d’une part les raisons pour lesquelles les harraga ont pris la mer et d’éclairer d’autre part le lecteur et l’opinion publique sur les conséquences désastreuses de cette mésaventure et sur les dangers qu’ils courent.
En quête de l’Eldorado, des jeunes et moins jeunes tous sexes et âges confondus, ont pris la mer à bord d’embarcations de fortune mal dotées, à destination de la Sardaigne en Italie, plus exactement à Lampedusa. De surcroît, on y trouve dans ces embarcations, des chômeurs et des travailleurs ainsi que des diplômés de l’université. Même des écoliers et des femmes mariées et divorcées accompagnées de leurs enfants étaient du voyage.
Certains fuyant la pauvreté et la misère, d’autres en quête de liberté et de prospérité. Equipées seulement d’un moteur et de quelques jerricans remplis d’eau et de carburant ainsi que d’un GPS, ces embarcations à bord desquelles sont transportés des harraga doivent tant bien que mal atteindre l’île de la Sardaigne, où, selon eux, il fait bon vivre. Tentant une aventure fâcheuse pour vivre sous de meilleurs cieux, ces candidats à l’émigration clandestine ne reculent devant rien ; quitte à braver la mort en y laissant leur vie.
D’ailleurs, leur fameux slogan en est une preuve édifiante : « Yakoulna El Hout Ouala Eddoud » dont la traduction est la suivante : « Nous préférons être mangés par les poissons que par les vers ». Car ils estiment que seule la harga en quête de l’Eldorado peut résoudre les p r o – b l è m e s auxquels ils sont confrontés quotid i e n n e – ment. Des intermédiaires travaillant pour le compte d’un réseau de passeurs cupides et avides d’argent, établissent discrètement des contacts avec les candidats à l’émigration clandestine en leur organisant un voyage plutôt périlleux vers la Sardaigne.
Ces migrants clandestins ont la plupart du temps du mal à collecter l’argent pour qu’ils puissent voyager vers l’Europe. Ainsi, les rencontres entre les intermédiaires et les candidats se multiplient dans la discrétion la plus totale. Mais, les préparatifs du périple demandent beaucoup de temps avant l’entame du départ. Et, pour réunir les sommes faramineuses payées en dinars ou en devises au passeur, les harraga ont dû exercer de petits métiers de la rue, allant de la vente de cigarettes ou de psychotropes au corail en passant par des transactions commerciales douteuses.
Certains d’entre eux ont même dû recourir aux cambriolages de maisons ou d’appartements. Le prix de l’expédition vers le sud de l’Italie coûte très cher : de Sidi Salem à Lampedusa, cette destination tant convoitée par les harraga, leur a coûté les yeux de la tête. Ces derniers devront, pour atteindre l’île de la Sardaigne, débourser un montant oscillant entre 60 000 à 150 000DA ou son équivalent en euros. A cet effet, nous proposons à nos lecteurs quelques déclarations de candidats à l’immigration, qui donnent à réfléchir à plus d’un. Lynda 26 ans d’Annaba : « J’ai de quoi payer ce voyage vers la Sardaigne. Quitte à vendre tous mes bijoux.
Car je veux vivre en Europe et fonder un foyer avec l’âme soeur et, peu importe sa nationalité. J’ai frappé à toutes les portes et personne n’a daigné m’offrir un emploi. Que voulez-vous que j’y fasse ? Donc partir ou mourir plutôt que de rester ici ». Tarek 22 ans d’Annaba : « Après avoir traversé la Méditerranée sans problème, j’ai été arrêté par la police italienne à Milan en Italie et celleci m’a refoulée en Algérie. Mais je ne suis pas découragé par cette arrestation. Je vais continuer à travailler pour payer le passeur et traverser à nouveau cette mer ». Salim 24 ans d’Aïn Beïda : « Comme j’habite une ville où il ne fait pas bon vivre, je vais tenter moi aussi comme tous les jeunes candidats à l’émigration clandestine, de prendre la mer pour vivre en I t a l i e . J’adore le cinéma italien. Je veux devenir acteur ou réalisateur, c’est mon souhait le plus cher ». Tout est programmé pour le jour « J », rien n’est laissé au hasard.
Le jour de leur départ et le lieu sont fixés d’une façon unilatérale par le passeur qui est le seul décideur de leur sort voire de leur destin. Selon une information qui a fait la Une des journaux, quelque 25 candidats à l’émigration clandestine, à l’insu des autorités locales, se sont regroupés et se sont rencontrés tard dans la soirée sur la plage de Sidi Salem, en vue de prendre part dans une embarcation de fortune, dont la destination n’est autre que l’île italienne. Sans papiers et munis uniquement de leurs portables, des passagers entassés les uns contre les autres dans une barque qui s’en allait au clair de la lune. C’est au large de la Méditerranée que ce groupe de harraga dont le rêve européen a pris fin, a été intercepté et arrêté par les gardes côtes algériens. Ils ont présentés au procureur de la République qui lui, à son tour, les a placés sous mandat de dépôt. La plupart d’eux ont été aussitôt relâchés pour manque de preuve. D’autres ne sont pas poursuivis par la justice en raison de leur jeune âge c’est-à-dire qu’ils sont mineurs. Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que beaucoup de harraga qu’ils soient Algériens, Tunisiens ou Marocains, n’ont pas donné signe de vie à ce jour. Certains d’entre eux ont péri dans la mer, d’autres ont carrément disparu. Une fin tragique car nul ne s’attendait à ce qu’ils y laissent leur vie dans la mer. A titre d’information, il y a quelques années, un jeune très estimé et habitant le quartier d’Oued Kouba a été complètement déchiqueté au moment où l’embarcation dans laquelle il était, a heurté de plein fouet le bateau des gardes-côtes algériens. N’ayant pas de nouvelles de leurs enfants depuis qu’ils ont quitté leur domicile, leurs parents éplorés ont pris contact avec les autorités aussi bien algériennes et italiennes que tunisiennes pour s’enquérir de la situation de leurs progénitures disparues. Même les ONG internationales y compris les ligues algériennes des droits de l’Homme ont été saisies. Il aura fallu des morts et des disparitions parmi les harraga pour que les responsables algériens réagissent afin de juguler ce phénomène. Des mesures urgentes ont été prises pour mettre fin à cette tragédie.
Premièrement, le gouvernement algérien a conclu avec son homologue italien un accord pour que ce dernier prenne en charge les problèmes des harraga dans le pays d’accueil, tels que leurs conditions de détention et la facilitation de leur accueil dans les centres de transit au cas où ils seraient arrêtés par les gardes-côtes italiens et ce, avant leur emprisonnement ou leur élargissement. Aussi, une lutte implacable devra être menée pour arrêter les passeurs et les intermédiaires. Deuxièmement, d’autres solutions ont été préconisées par nos responsables en faveur des jeunes sans emploi par la promulgation de mesures incitatives et bénéfiques, telles que l’ANSEJ, la CNAC en vue de leur réinsertion dans le monde du travail. Car l’avenir de ces jeunes est chez eux, dans leur propre pays : l’Algérie.
Nejmedine Zéroug