L’évocation de la guerre d’Algérie et la pratique de la torture par l’armée d’occupation française contre les Algériens pendant la Révolution demeurent, malgré tout, une « épreuve pénible » pour beaucoup d’appelés de l’armée coloniale, « profondément traumatisés » cinquante ans après la fin de cette guerre, croit pouvoir dire Yves Salvat, auteur de plusieurs ouvrages sur la question.
Cet ancien soldat français engagé à l’âge de 19 ans dans l’armée française a passé deux ans (1958 – 1960) en Algérie pour, lui disait-on, « pacifier le pays et y mettre de l’ordre », ainsi qu’il le relate dans son livre « La guerre de la honte », objet d’une rencontre organisée par Diwan Dar Abdelatif samedi à Alger.
Dans ses interventions, Yves Salvat dit ne pas se souvenir qu’on lui ait parlé de « guerre » et que pendant son séjour en Algérie, il était pratiquement « interdit » d’en parler en ces termes au sein de l’escadron auquel il appartenait.
« Nous étions comme conditionnés pour cela et évoluions dans une sorte de vase clos », tient-il à souligner.
Il ajoutera que le besoin de témoigner s’est fait sentir dès l’indépendance de l’Algérie en 1962 et pour ce faire, dit-il, il fallait être doté d’une « conscience » qu’il estime avoir acquise grâce à son militantisme au sein du Parti communiste français (PCF) où, dit-il, « on apprend à dire ce qu’on pense ».
Néanmoins, tous les compagnons d’Yves Salvat n’ont pas eu ce « privilège » de dire les injustices et les violations des droits humains auxquelles ils ont assisté ou contraints à en être les auteurs.
Beaucoup d’entre eux souffrent de traumatismes post-guerre pour n’avoir pu exorciser leurs souffrances, assure-t-il, en se rappelant « particulièrement » d’un soldat de sa section qui a fini par se suicider en 2011.
Sollicités pour les besoins de son recueil de témoignages, certains soldats ont tout simplement refusé de partager leur expérience, sans doute pour ne pas avoir à la revivre, dira-t-il.
« Quelques-uns n’ont pu s’exprimer car rongés par le remords d’avoir été impliqués dans des actes de délation », ajoute-il tout en soulevant l’autre forme de « silence » qui s’exprime, à ce jour, dans le refus de certains médias et autres éditeurs de rendre publics les témoignages inhérents à la guerre de libération.
Il citera l’exemple d’un de ses ouvrages qu’il voulait publier en 1982 mais que les maisons d’édition en France ont refusé de publier, allant jusqu’à arguer du fait que « la guerre d’Algérie fait partie du passé », comme l’auraient évoqué les éditions Laffont citées en cela par Yves Salvat.
Pour l’auteur de « La guerre de la honte », la France se refuse toujours à reconnaître la guerre qu’elle a menée contre le peuple algérien avec son lot de crimes et d’exactions dont l’utilisation du napalm.
« En France, on parle depuis le mandat de Sarkozy de ‘’guerre des mémoires’’, mais il ne s’agit en réalité que d’une fausse mémoire que l’on tente de véhiculer », notera l’historien avant de déplorer le climat racial qui entrave la quête et la reconnaissance de la vérité historique.
Entre autres faits attestant de ce constat, raconte l’intervenant, l’attitude du secrétaire général de l’Association républicaine des anciens combattants de France qui a refusé de préfacer son ouvrage. D’autres agissements de la même personne ont fini par convaincre Yves Salvat de démissionner de l’organisation.
« La guerre de la honte » est un livre-témoignage d’Yves Salvat sur son vécu personnel et celui d’autres camarades engagés en Algérie, édité par la maison d’édition algérienne Sedia, laquelle l’a réédité en 2012 et envisage d’en éditer, dans les semaines à venir, la version arabe.
Avant ce livre, Yves Salvat en a publié six autres dont « Souvenirs de guerre en Algérie », « Tortures de guerre d’Algérie », « Mémoire oubliée ».