À deux mois de la présidentielle algérienne, anti et pro-Bouteflika s’écharpent de plus en plus violemment. Dans une lettre, un ex-agent du renseignement accuse le frère du chef de l’État de « perversion sexuelle », trafic de drogue et corruption.
Il ne s’était pas publiquement exprimé depuis 15 ans. Saïd Bouteflika, le frère cadet du président algérien, est sorti de sa longue réserve, lundi 10 fevrier, pour répondre à la virulente missive que Hicham Aboud, un ancien agent des services de renseignements devenu patron de presse, lui a récemment adressée.
« Les accusations portées dans cette lettre sont tellement graves qu’elles ne touchent plus uniquement à ma personne, mais portent atteinte à tout un peuple qui n’accepterait pas que le frère du président puisse avoir de tels comportements », affirme Saïd Bouteflika sur le site d’information algérien Tout sur l’Algérie (TSA) qui a publié, avec son accord, le texte accusateur. Et d’ajouter : « Je ne vais pas me taire et je vais porter plainte contre Hicham Aboud que j’ai jamais eu à connaître (sic). »
Des accusations de perversion sexuelle et de sadomasochisme
Il faut dire que la lettre de Hicham Aboud n’y va pas par quatre chemins. Pour les besoins d’un ouvrage qu’il entend consacrer à la famille Bouteflika, l’ancien propriétaire des quotidiens « Mon Journal » et « Djaridati », interdits de publication, demande au frère du président de lui apporter quelques éclaircissements sur des faits qui lui sont attribués sinon reprochés. Au premier rang des « informations » que Hicham Abourd aimerait recouper figurent celles portant sur des pratiques sexuelles (homosexualité, sado-masochisme) ainsi qu’une consommation excessive d’alcool et de stupéfiants. « Je vous demande de bien vouloir me fournir quelques explications sur ce sujet et n’estimez-vous pas qu’il y a quelque exagération de la part de certains témoins qui parlent de perversion sexuelle et de sadomasochisme dont vous seriez un fervent adepte ? » interroge, avec une innocence feinte, l’ »écrivain-journaliste ».
Un peu plus au-dessus de la ceinture, l’auteur de la lettre se fait ensuite l’écho de faits de corruption dont Saïd Bouteflika se serait rendu coupable. À en croire les personnes que Hicham Aboud dit avoir interrogées, le conseiller officieux du président serait impliqué dans tout ce que l’Algérie compte de scandales politico-financiers : l’affaire Sonatrach, celle de l’autoroute Est-Ouest, « et bien d’autres »…
Pis, la lettre soupçonne implicitement Saïd Bouteflika et son frère de disposer de 9 milliards de francs suisses (7,3 milliards d’euros) sur un compte helvète. « Une fortune qui proviendrait de la vente du pétrole algérien sur le marché noir international et du trafic de stupéfiants dont vous [Saïd Bouteflika] seriez l’un des plus gros bonnets », écrit Hicham Aboud. Puis de conclure, menaçant : « Sans réponse de votre part, je considère que toutes les informations recueillies et tous les témoignages sont exacts et ne souffrent aucune équivoque. »
Hicham Aboud se dit loin de la « guerre des clans »
Pour nombre d’observateurs de la vie politique algérienne, cette charge particulièrement directe ne serait pas sans lien avec la guerre que se livrent le clan du chef de l’État Abdelaziz Bouteflika et celui s’opposant à sa possible candidature à la présidentielle d’avril 2014. Car, outre la véhémence des propos, le timing choisi par Hicham Aboud ne laisse de surprendre. L’envoi de sa diatribe intervient en effet moins d’une semaine après la publication d’informations faisant état du limogeage imminent du général « Toufik », le puissant patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) que l’on dit défavorable à un quatrième mandat du président sortant.
Hicham Aboud dément en tout cas être partie prenante dans cette « guerre de clans ». « Cette lettre a été écrite depuis trois mois, se défend-il ce lundi, toujours sur le site TSA. Mais je n’avais pas réussi à avoir son numéro de fax. Ce dernier m’a été récemment envoyé. […] Quand je fais de l’investigation, je n’écris jamais sur une personne sans l’avoir consultée […] Ce général Toufik, je ne saurai me mettre sous sa protection ou rouler pour lui alors qu’il est incapable de se protéger lui-même. »
S’il affirme aujourd’hui qu’il publiera ses « informations » au conditionnel, Hicham Aboud réitère son envie d’en découdre. L’ancien agent de la DRS impute au clan présidentiel la fermeture de ses deux quotidiens après la publication d’articles sur l’état de santé d’Abdelaziz Bouteflika. « Je lui voue de la haine », dit-il du frère cadet du président. « Comment voulez-vous que je ne fasse pas payer à Saïd Bouteflika toutes ces injustices et exactions ? Il se comporte en petit dictateur et par mon livre je vais le remettre à sa place. »
Bien qu’Abdelaziz Bouteflika n’ait encore fait part de son intention de briguer un nouveau mandat à la tête de l’Algérie, la campagne pour la présidentielle d’avril a bel et bien commencé. Dans un climat des plus délétères.