Evénement inédit à bien des égards, la guerre d’Algérie s’invite en Amérique. Le plus sanglant des conflits de décolonisation sera, au printemps prochain, au programmes d’un colloque universitaire à Miami.
Caprices du calendrier pédagogique, la date retenue par les organisateurs – 22 et 23 mars 2012 – coïncide, à soixante-douze heures près, avec le 50e anniversaire de la signature des accords d’Evian et de la proclamation du cessez-le-feu. Autant dire que la commémoration du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie aura une résonance internationale.
Initiateur de cette première, Florida International university cherche à élargir le débat sur le sujet, au-delà des latitudes méditerranéennes. Vue des campus américains, la guerre d’Algérie est perçue comme un conflit dont les enjeux ont eu des accents internationaux. Qui plus est au plus fort de la guerre froide.
A l’heure où les (re)visites du passé sont à la mode, l’université américaine revendique sa part de contribution au crédit du savoir académique sur la guerre d’Algérie. A l’appui de leur argumentaire pour battre le rappel de conférenciers issus d’horizons divers, les organisateurs le soulignent sans ambages : «Il nous faudra aussi songer à l’impact international de ce conflit et d’une écriture historique qui implique d’autres acteurs». Une allusion à peine voilée au face-à-face entre historiens français et algériens.

«Située à l’articulation entre les différentes mémoires, entre l’histoire et les représentations, entre la réalité politique actuelle et les imaginaires, la guerre d’Algérie exige de nous une déconstruction méthodique de l’écriture linéaire et rigide de l’histoire nationale (algérienne et française, ndlr), pour une histoire transnationale qui renonce à renforcer la nation par le discours, et pour une fiction capable de transcender les traumatismes», explique-t-on à l’Université internationale de Floride.
A moins de six mois de la tenue du colloque, la liste des conférenciers n’est pas encore définitivement ficelée. Soucieux d’en garantir le succès, les organisateurs s’attachent à faire venir tous les historiens qui comptent sur cette question.
En revanche, la thématique générale du colloque et les axes qui seront «labourés» à l’occasion ont été définitivement fixés. Il s’agit de débattre et de croiser la discussion autour du thème «L’héritage de la guerre d’Algérie. Entre histoire, mémoire et representations» (The Legacy of the Algerian War Between History, Memory and Representations).
Un demi-siècle après son dénouement, la plus longue des séquences de la décolonisation n’a pas livré tous ses enseignements académiques. Remise en perspective au gré de l’édition de livres, de la soutenance de thèses et de l’organisation de colloques, la guerre d’Algérie suscite plus que jamais une grande envie de savoir.
«Très vite perçue comme un moment emblématique de l’anticolonialisme, la guerre d’Algérie, en effet, a engendré un héritage complexe, qui va bien au-delà de la simple opposition France-Algérie et de sa (possible) résolution : ses répercussions, encore présentes des deux côtés de la Méditerranée, relèvent de formes d’expression multiples et composites, souterraines ou ostentatoires, qui traduisent la difficulté à fixer une mémoire – c’est-à-dire à faire advenir le sens de ce qui demeure confusément un ensemble d’ événements».
Pendant deux jours, conférenciers et public présents pour la circonstance – les organisateurs souhaitent une présence estudiantine massive – vont «interroger» une mémoire franco-algérienne problématique.
En attestent, à leurs yeux, les réactions virulentes des nostalgiques de «l’Algérie française» au film Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb; Anticipant sur le résultat espéré de cette première, Florida International University qualifie le colloque de «moment privilégié» pour revisiter les sept années de conflit au miroir d’une histoire transnationale. Entre autres questions soumises à débat, l’appellation objective qui sied le mieux à la guerre, longtemps sans nom dans le discours officiel français.
S’agit-il des «événements d’Algérie», comme les officiels des IVe et Ve Républiques l’ont longtemps assuré, de «guerre d’Algérie» (historiens et médias) ou de «révolution» ou «lutte de libération» (FLN-ALN et Algériens). A s’en tenir aux attentes des organisateurs, les débats autour de la question s’annoncent prometteurs. «Cette division symbolique encore douloureuse, opposant des mémoires controversées et contradictoires, nous oblige, comme le suggère Benjamin Stora, à repenser l’écriture de l’histoire au delà des intérêts nationaux.»
Mohamed Khellaf