L’un des plus grands philosophes de l’humanité, encore vivant, l’a bien résumé : «Le pouvoir algérien est l’un des plus rusés au monde».
On le savait chez nous, mais peu de gens le devinent ailleurs. En témoigne la stratégie de barrage après l’effondrement du royaume de Kadhafi. Tout est bon pour stopper l’effet de contagion: Qaïdisation du cas libyen (Equation n°1 : la révolution = islamistes au pouvoir), campagne sur le thème de l’ingérence internationale et du retour de la France (équation n°2 : la révolution = intervention étrangère = harkisme), discours sur la souveraineté, etc. Le plus habile cependant restera, pour le moment, cette fumeuse affaire de l’appel à la révolte pour le 17 septembre prochain.
En termes d’intoxication, on n’a pas fait mieux dans le monde arabe en révolte justement. Résumé : pendant que Sidi Saïd parle du remake du comité de sauvegarde de l’Algérie, un faux maquis virtuel est monté avec des attaques contre El Jazeera «par prévention» (équation n°3 : El Jazeera = complot israélo-mondial). L’info est mise en boucle dans le net sur un appel anonyme à des manifestations anti-régime le 17 septembre. Personne dans l’opposition n’a lancé cet appel et très vite on en comprend le principe : le jour du 17, par peur et par attentisme, il n’y aura «rien». De quoi faire conclure à la 5ème équation : personne n’est dans la rue = tout le monde est avec le régime. Bien sûr, la formule est encore plus habile : quatre journaux dont deux en français et deux en arabe sont engagés dans l’opération pour créer le 6ème effet : la Révolution = les Français, BHL = Israël. Donc ceux qui sortiront le 17 sont contre l’Algérie.
Des articles sont publiés en série dans ces quatre journaux sur un pseudo-complot monté par Bernard Henry Lévi, le show philosophe français, on le voit sur ces journaux avec Shimon Pérès et des éditos reprennent la fausse info d’une armée algérienne sur le net anti-El Jazeeera. «Don’t touch à mon bled» est le slogan de ce faux maquis. Et curieusement, les articles les plus antisémites et les plus ridicules en terme de propagande ne sont pas traduits ou publiés sur les sites online en français des journaux en question, mais seulement sur la version online arabe. La propagande est réservée aux indigènes. Face aux Occidentaux, on joue les démocrates.
Ensuite ? L’opération continue. On affirme que la date du 17 sera la catastrophe de l’Algérie et qu’il faut être tous solidaires contre l’invasion des extraterrestres. L’équation n° 7 est installée : tous, (nous, le régime, vous le peuple) solidaires contre les étrangers. Vous le peuple = nous le régime.
Et pour mieux accréditer le montage, une opération est montée par le biais d’un journal : un jeune homme de vague «origine palestinienne», habitant une wilaya du pays profond, est présenté comme le porte-parole du mouvement du 17. On publie une habile photo où on peut voir la moitié d’un visage sans pouvoir identifier le bonhomme. Cela fait plus vrai. Le jeune homme (merveilleuse habilité de manipulation) explique que lui-même s’est fait manipuler par un correspondant étranger pour le mettre en contact avec BHL le Français pour «créer le désordre en Algérie». Pour faire plus réaliste, le «Révolutionnaire de Djelfa» est crédité d’une fausse interview qui aurait été manipulée par des «parties étrangères».
En accompagnement, des séries d’articles sont publiées sur des connexions entre des terroristes, Israël, des sionistes, BHL, les Français. Dans les mêmes pages, d’autres articles sont publiés sur les avancées des réformes, des Islahates et des générosités de l’Etat sur son peuple de service. L’équation dernière est de diaboliser le reste du monde et de nous présenter à nous-mêmes comme le centre envié du monde, le pays le plus visé par l’Occident (nous et donc pas la Chine ou l’Asie du Sud-est !!). Pourquoi BHL ? Parce qu’il est juif, français et parrain de la révolution libyenne. C’est un parfait objet pour dire que l’Occident est l’ennemi de l’Algérie mais sans s’attaquer aux officiels de l’Occident ni aux pays. C’est trop dangereux et on n’est plus dans les années 70. Donc, officiellement, on lance Sidi Saïd et l’ENTV, officieusement, on utilise les journaux populistes ou de «service» pour fabriquer la paranoïa et, habilement, on présente la Libye comme un Emirat, El Jazeera comme une menace et le 17 septembre comme la preuve d’un infiltration nationale de l’internationale.
La suite ? Le chroniqueur l’a écrit : finie la trêve des politesses, le régime montre ses dents et sait qu’il joue sa vie ou sa mort. Tous les moyens sont bons. Dans quelques jours, un faux maquis BHL sera démantelé à Aïn Defla, des parachutages d’armes seront montrés à l’ENTV en provenance d’Israël, des jeunes facebookistes repentis raconteront comment ils ont été manipulés par le Likoud ou par la «France», etc. Le 17 septembre est une magnifique manipulation qui laisse songeur : et si autant de ruse était employée pour marcher sur la lune et pas pour nous faire marcher en rond ? D’où vient que pour immobiliser ce peuple on fait preuve de plus d’intelligence que pour s’enrichir avec lui ?
Mais est-ce que cela veut dire, encore une fois, que le chroniqueur est pour une intervention étrangère, le chaos et la violence ? Réponse simple : non. Si le «plan» était de sauver ce pays, le chroniqueur ferait du portrait de Bouteflika et de ses patrons un tatouage sur son dos. Le but n’est pas celui-là malheureusement. Le régime ne veut pas sauver ce pays (la meilleure défense est la démocratie, comme le prouve la Turquie), mais sauver sa peau par le drapeau comme écrit cette semaine.
In Le Quotidien d’Oran