Cela fait plusieurs jours qu’ils crient leur désarroi, mais leur tutelle reste sourde.
Ils ne demandent pas de logement. Ils ne veulent pas payer le sucre au moindre prix comme ils ne sont pas pour un salaire plus conséquent. Pourtant, ils sont dans la rue. Les étudiants, qu’ils soient aux universités ou dans les grandes écoles, ainsi que les futurs médecins ne se sentent plus à l’aise dans leurs campus respectifs. Et la situation n’est pas plus heureuse du côté des écoles supérieures censées former les futurs éducateurs. C’est l’élite du pays qui crie son désarroi. Et cette donne risque bien de se transformer en exception algérienne.
Beaucoup se targuent du fait que l’Algérie ne soit ni la Tunisie ni l’Egypte. C’est une affirmation qui se confirme. La révolte, la vraie, a toutes les chances de prendre naissance chez l’élite et non plus chez les travailleurs. Est-ce pour autant qu’on doit avoir un Mai 68 à l’algérienne? Les étudiants l’ont soutenu dès les premiers jours du déclenchement de leur mouvement. Ils ne veulent pas de tutelle politique. C’est ce qui entrave la jonction entre les mouvements de protestation qui secouent le pays depuis des semaines et la révolte des campus. Les deux mouvements sont distincts. Ouvriers, employés et fonctionnaires accepteront-ils de suivre une marche initiée par des jeunes? Les revendications des syndicalistes et des partis sont d’essence politique. Tout ce que les étudiants ne veulent pas. Du moins dans l’immédiat. Car il ne faut pas s’arrêter aux apparences. Dans les universités, les jeunes sont très politisés. Mais nombreux sont ceux qui veulent dissocier leurs luttes de celles du reste de la population.
A commencer par leur tutelle. Des voix commencent à s’élever pour accuser ouvertement des partis de chercher à instrumentaliser les étudiants (selon la formule consacrée) et de les inciter à toutes sortes d’actions. Sans se poser la question de savoir pourquoi, il faut nécessairement opérer une césure si nette entre les deux mondes. La remise en cause de l’ordre établi de manière aussi franche par des intellectuels n’est pas pour plaire. La méthode suscite au contraire le désarroi. Des journées entières de protestation, des sit-in à répétition, des grèves qui durent depuis des semaines n’ont pas été suffisants pour susciter une réaction de Rachid Harraoubia, ministre de l’Enseignement supérieur
en mesure d’apporter un début de réponse aux revendications des jeunes étudiants. Qu’ils soient pharmaciens, médecins ou ingénieurs, ils sont loin de se satisfaire des annonces de retrait de décrets organisant la méthode d’équivalence des diplômes. En fait, des milliers d’étudiants n’en peuvent plus d’être des éternels cobayes. Comme ils ne veulent plus de réformes qui se déroulent sans qu’ils ne soient consultés pour donner leur avis. La crise des universités témoigne d’un profond divorce entre le pays et ses jeunes élites. La crise ne s’arrêtera pas là. Elle aura des conséquences inévitables sur les cadres et les managers de demain. A quelle formation peuvent-ils prétendre? et quel sera leur niveau de compétence lorsqu’ils seront appelés dans 20 ans ou 30 ans à gérer les affaires du pays? Si tant est qu’ils nourrissent encore l’espoir de se débarrasser un jour de la gérontocratie. Justement, s’il y a des points communs à chercher entre les différents foyers de contestation qui agitent le pays, c’est bien cette quête de s’affranchir des carcans du conservatisme. Il ne serait pas étonnant que les universités dont le plus grand nombre est constitué d’étudiantes, soit un jour à l’avant-garde des luttes sociales. Faut-il chercher des précédents? Les étudiants des universités et des facultés de médecine ont participé à Octobre 1988, puis ils ont fourni des bataillons de militants politiques et syndicalistes. Ils ne sont pas près de renoncer à la tradition. Les jours à venir, le confirmeront-ils?
Ahmed MESBAH