Cela pourrait paraître étonnant que le départ, à cet âge, d’un haut responsable militaire puisse ainsi occuper l’opinion commune. Oui, mais seulement si l’on oublie le rôle de l’armée dans l’avènement et la défense des régimes qui ont eu à administrer le pays et à encadrer sa société. Dans le régime actuel, l’âge, loin de représenter un paradoxe pour les détenteurs de hautes responsabilités, est un indicateur de conformité politique. La retraite y constitue une voie d’éviction parmi d’autres.
Le général Mediène figurait le DRS, pièce maîtresse du “système”. Et sur fond de “luttes au sommet”, inlassablement glosées, c’est son “pouvoir” qui était donc à l’épreuve. D’un autre côté, le non-averti ne sait s’il faut se réjouir ou s’inquiéter de la nouvelle : comme patron du DRS qu’il a fini par personnaliser, il incarne le versant le plus effrayant de ce système, mais symbolisait aussi, en ces temps de précarité politique, la vigilance et l’efficacité sécuritaires qui
rassurent.
Depuis l’été 2013 que les services du DRS font l’objet de restructuration, de révocation et de nomination, l’opinion s’efforce de trouver un sens politique à ces mesures. Les justifications “techniques” émises, à l’occasion, par quelques porte-parole du pouvoir, sans être totalement aberrantes, ne l’ont pas convaincue. L’argument de la “démilitarisation” de la politique n’a pas non plus pris, en particulier parce que la hiérarchie de l’ANP ne s’est pas privée d’interventions politiques, par la voix de son chef d’état-major et à des moments politiques sensibles. “Démilitariser”, ce n’est pas remplacer une influence occulte par une franche intrusion, même intermittente.

Peut-être que le DRS, mélange de mythes et de réalités fait de surpuissance, de récits effrayants et d’interventions salutaires, a vécu. Pas parce que le général Toufik s’en va : il n’emporte pas le DRS avec lui. Mais parce qu’il y a eu refonte de ses missions et moyens qui disparaîtront, pour certains, et se retrouveront ailleurs, pour d’autres. Mais le réaménagement n’a pas mis fin au système. Les sources possibles d’autorité politique sont connues : le droit divin, la volonté populaire ou la force. Peut-être que d’autres légitimités ont historiquement servi de béquilles provisoires à des régimes politiques, mais dans la durée, il n’a que des régimes de consentement ou des régimes de contrainte.
C’est toujours prometteur qu’il n’y est pas de position inamovible, mais le départ du général Toufik ne constitue pas une rupture avec le système.
Celui-ci n’a pas cessé d’évoluer depuis sa prise de pouvoir brutale, à la veille de l’Indépendance. Il a même réussi la conversion au multipartisme sans se transformer dans sa nature miltaro-autoritaire. L’étape historique significative reste à venir : ce sera son remplacement par un ordre démocratique. Ou par un ordre théocratique, comme le suggèrent les prémices socioculturelles les plus manifestes.