Avoir Alger à ses pieds, c’est top » déclare Pierre Prigent-Humblot, l’un des organisateurs de la première édition de la Fashion Week d’Alger, en admirant la baie qui s’étale sous ses yeux.
La Fashion Week qui met à l’honneur la mode à travers des défilés et expositions a élu domicile du 10 au 13 juin sur l’esplanade du Palais de la culture Moufdi Zakaria qui surplombe Alger. L’endroit a été soigneusement choisi « à l’issue de deux ans d’aller-retour et de repérages », ajoute-t-il.
Parmi les organisateurs de cette première édition se trouve le couturier algérien Samir Pain. Les créateurs invités viennent du Maghreb, de France mais aussi du Niger ou d’Espagne. Au premier jour, Farida Khalfa, ancien mannequin franco-algérienne et le jeune Narciso Domingo Machiavelli, créateur et éditeur de mode tunisien se comptaient parmi les personnalités.
« Surpris par le lieu et heureux de partager ce moment », il présente une collection constituant une rétrospective qui rassemble plus de 30 pièces maîtresses tirées de ses précédentes exhibitions.
L’événement pouvait étonner. Pierre Prigerot-Humblot le reconnaît: « On ne nous a pas donné gagnant ». Avec la collaboration de Lynda Younga qui travaille également pour l’ANM (Ambassadrice Nouvelle Méditerranée), il souhaitait « promouvoir la destination Algérie, un pays méconnu, mal connu ». Elle confie au HuffPost Algérie qu’elle est « latiniste » et ignore qu’il y avait autant de ruines à Tipaza et qu’elle en a eu les larmes aux yeux.
Transmission
Du côté des créateurs et les créatrices qui ont répondu à l’appel, on trouve des habitués d’Alger. C’est le cas de l’italienne Angela Lipomi. Cette Sicilienne qui exalte le savoir-faire en matière de couture de sa région, notamment le « fait main », a déjà fait ses premières armes à Alger.
Proche du centre culturel italien d’Alger, elle a animé un atelier de broderie, en 2011, avec une vingtaine de courtières algériennes. Elle les a initiées aux « frivolités » – des broderies appelées ainsi en raison des bavardages des femmes qui les confectionnaient. Le vocable est caractéristique d’une discipline où les grands couturiers sont souvent des hommes, tandis que le savoir ancestral des femmes transmis de génération en génération est diminué.
Anissa, 42 ans, s’est rendue au Palais de la culture pour le festival national de la création féminine. Elle est accompagnée de sa cousine Sabiha et de sa tante, venues spécialement de Boumerdès. Modéliste de formation, elle aime moderniser les tenues traditionnelles, mais elle n’a pas exercé sa profession dans un cadre professionnel. Tout juste, s’est-elle contentée de confectionner des habits dans le cercle de ses proches, sans rétribution.
Anissa est très enthousiasmée par l’événement, « c’est la première fois que j’assiste à un défilé (…) On voit souvent des événements à la télévision, mais on n’informe pas le public en avance », nuance-t-elle. À la Fashion Week, les entrées se font en effet sur invitation, mais beaucoup de sièges étaient vacants.
Hassiba, 71 ans, sa voisine, venue par curiosité, qui réalise des patchworks à partir de chutes de tissues, reproche également un manque de communication. Elle estime par ailleurs qu’ »il y a des talents », qu’il faut « assurer la relève et transmettre le savoir ».
Ce message semblait partagé par les organisateurs qui ont avantagé les jeunes créateurs. Parmi eux, se trouvait Cheyma, 26 ans, diplômée de Sciences Po Paris, qui s’adonne à la confection de collections de prêt-à-porter à Alger, après avoir travaillé six mois pour Hedi Slimane, le directeur artistique d’Yves-Saint-Laurent à Paris.
Elle indique qu’il est « difficile de trouver des mannequins à Alger » car « beaucoup ne sont pas disponibles, elles ont pour la plupart entre 16 et 20 ans, certaines passent le bac ». Des difficultés peuvent également apparaître du fait des tenues, parfois découvertes. Ce problème ne concerne pas Cheyma qui déclare ne pas proposer « de choses dénudées ou sexy ». Elle ajoute: « Je ne vois pas pourquoi il faudrait toujours sur-sexualiser ».
Un marché naissant
L’événement vise également à stimuler l’industrie de la mode en Algérie et à susciter l’engouement pour l’artisanat chez les jeunes: « Il faut que les jeunes saisissent la noblesse des métiers de l’artisanat », déclare Pierre Prigerot-Humblot.
« Il ne s’agit pas seulement de faire émerger des grands créateurs. Chaque élément compte, un bouton, une broderie… il faut que l’Algérie renoue avec son savoir-faire », précise-t-il. Il considère que la Fashion Week s’adresse à des entrepreneurs potentiels « qui vont créer une idée et livrer un produit ».
Cheyma juge stratégique son implantation à Alger, comme il y a peu « de prêt-à-porter mais beaucoup de personnes spécialisées dans l’habillement traditionnel ». Un marché jeune qui s’ouvre, c’est également le constat que fait Zayn, tunisienne, architecte de formation et créatrice de bijoux à partir de PVC et de plexiglas – notamment pour la collection de Narciso Domingo Machiavelli. Elle indique que « de nombreux amis tunisiens qui s’installent à Alger se lancent dans le secteur mode ».
Des difficultés d’organisation sont toutefois survenues au premier jour de la Fashion Week d’Alger. Les spectateurs ont dû s’armer de patience avant de voir les premiers mannequins exhiber les collections à cause de problèmes d’organisation et de Backstage. Toutefois, les organisateurs annoncent déjà les prochaines éditions, qui passeraient sur un rythme saisonnier (collection automne/hiver, été/printemps).