La famille Bira de Blida dans la guerre de libération nationale, Khalti Baya, la moudjahida, témoigne

La famille Bira de Blida dans la guerre de libération nationale, Khalti Baya, la moudjahida, témoigne

Khalti Baya est née dans une famille très connue pour son patriotisme et son engagement actif

C’est une famille très connue. C’est une famille entièrement investie dans la lutte de Libération nationale. Père emprisonné. Frère et mari chouhada, Khalti Baya raconte, avec émotion, le combat, les arrestations,les séances de torture qu’elle a subies. Sept années de sa vie. Sept années d’épreuves…

Elle avait 20 ans lors du déclenchement du 1er Novembre 1954. De son vrai nom Rika Baya, tout le monde, à Blida, l’appelle affectueusement Khalti Baya.

Née dans une famille très connue pour son patriotisme et son engagement actif dès le début du Mouvement nationaliste, il était dans l’ordre naturel des choses qu’elle participât, elle aussi, à la lutte pour l’indépendance. Elle a accepté de nous recevoir et nous confier un peu de ses années de combat. De moudjahida de la Wilaya IV où combattaient déjà son père, sa mère, son frère et son mari. Des moments d’émotion qu’elle sait contenir, avec le même courage qu’autrefois, au fil de la narration. C’est ainsi qu’elle nous apprend que c’est en 1955, alors que la maison familiale servait déjà et tout à la fois de refuge aux moudjahidine, de plate-forme de ravitaillement, de médicaments et de dépôts d’armes, elle eut ses premières missions d’agent de liaison. Son père, qui possédait des boucheries, était très connu à Blida. Il avait mis sa vie, celle de sa famille ainsi que ses biens au service de la révolution.

C’est ainsi qu’il avait transformé sa grande maison sur la route menant aux monts de Chréa, à la sortie de la ville de Blida, pour les besoins du combat. Il avait aménagé plusieurs cachettes à divers usages. La cache dont garde le plus grand souvenir, khalti Baya est le double plafond de la maison. C’était la cachette idéale pour les moudjahidine en opération dans la zone.

Tandis que sa mère s’occupait à nourrir tous ses «hôtes» parmi lesquels il y avait son propre fils et son gendre, le mari de Khalti Baya, le père, dont la position sociale ne laissait pas penser qu’il était lui-même moudjahid, vaquait à l’extérieur entre ses commerces et les contacts pour approvisionner les maquis. C’est lui qui avait le contact avec le pharmacien qui donnait les médicaments, c’est lui qui achetait les vêtements et chaussures nécessaires aux troupes de l’ALN, c’est lui que venait voir les moudjahidine en charge du convoyage des armes, c’est lui enfin qui était chargé de coordonner toutes ces actions de logistique indispensables à la lutte. Mais la maison n’était pas un simple refuge. C’était un P.C. que les dirigeants de la Wilaya IV avaient choisi par sa position géographique, par son espace et les commodités liées à la clandestinité. C’est dans cette véritable «caserne» que Khalti Baya était tout à la fois celle qui était chargée de transporter le courrier, de remettre les armes aux moudjahidine lors de leurs actions ponctuelles. Et quand elle ne sortait pas, c’était elle qui assistait le moudjahid chargé des transmissions. C’est de la maison des Rika que les liaisons radios étaient établies avec les autres centres de zones de combat. Khalti Baya, en plus de l’installation quotidienne de l’antenne et son démontage à la moindre alerte, fournissait le courant électrique à l’aide du groupe électrogène (plus connu sous le nom de gégène lorsqu’il sert aux militaires français pour la torture) au poste radio derrière lequel le moudjahid recevait et envoyait les messages. Khalti Baya était «polyvalente». Passant d’une tâche à l’autre. Infatigable. Ceci en plus de son enfant d’à peine un an à l’époque. Ceci en plus qu’elle fut enceinte à la même époque. Les jours, les semaines et les mois passant, l’armée coloniale avait fini par avoir des soupçons.

Ou peut-être des informations? Les patrouilles militaires commençaient à rôder plus souvent autour de la demeure familiale. Jusqu’au jour où, en 1957 (soit deux années après), la maison a fini par être prise d’assaut par les militaires français. Six moudjahidine qui se trouvaient dans le refuge du double plafond ont pu s’enfuir. Pour la cache d’armes, Khalti Baya avait ceint les pourtours avec du piment fort et piquant comme on en trouvait à sécher dans toutes les maisons algériennes. C’est ainsi que les chiens ne flairaient plus rien. Mais les militaires, visiblement bien renseignés, ont tout saccagé. Toute la famille est embarquée. Le père est emprisonné tandis que le frère et le mari de Khalti Baya n’en reviendront jamais. Après d’atroces tortures ils furent assassinés purement et simplement. Pour tenter de la faire craquer, les militaires, qui torturaient Khalti Baya, lui ont ramené son mari atrocement amoché. Elle échangea un regard avec son mari. Elle comprit qu’il l’encourageait malgré son état à tenir le coup. Elle ne le reverra plus. Son père de son côté n’était pas épargné malgré son âge avancé. Le calvaire de Khalti Baya dura l’éternité mais au bout de quelques mois, les militaires ont dû penser qu’avec l’assassinat du frère et du mari ainsi que l’emprisonnement du père la fille devenait inutile pour la lutte de libération. Elle retrouve la liberté, ses deux enfants et sa mère. Peu de temps après, les dirigeants de l’ALN reprirent le contact avec elle. De nouveau la maison familiale reprenait son rôle de «caserne». Comme avant. Avec le dépôt d’armes, le refuge, les liaisons, le courrier et même les transmissions. Khalti Baya aussi reprit ses activités comme avant. Paradoxalement, la maison devenait plus sûre car les militaires pensaient avoir démantelé le réseau et «grillé» le refuge. C’est du même raisonnement que le colonel Si Djillali Bounaâma qui avait succédé au chahid Si M’hamed Boughara, mort au combat, à la tête de la Wilaya IV décidera quelque temps plus tard, de s’installer dans la maison des Rika. Les transmissions reprirent de plus belle par sa présence.

Les patrouilles militaires se faisaient plus nombreuses, une nouvelle fois, autour de la maison. Khalti Baya pense que ce sont les ondes radios qui attirèrent leur attention. Quoi qu’il en soit, Si Bounaâma décida de quitter ce refuge pour un autre situé en plein centre-ville de Blida installé dans la maison des Naïmi. Une autre famille de riches terriens, que l’administration coloniale ne pouvait pas soupçonner d’être engagée, comme les Rika, dans le combat. Quelques jours avant son départ, Khalti Baya démonta l’installation de l’appareil de transmission qui fut transféré dans la maison des Naïmi en prévision de l’arrivée de Si Bounaâma. La détection des ondes allait se prouver puisque le lendemain de son arrivée dans la maison des Naïmi, Si Bounaâma fut encerclé et dut mener un combat qui dura des heures avant d’être abattu les armes à la main. C’était le 8 Août 1961. A la suite de cette opération, Khalti Baya fut de nouveau arrêtée.

De nouveau les supplices de la torture l’attendaient. Cette fois encore plus barbares. A tel point où elle dut être hospitalisée, dans un état grave, sous bonne garde à l’hôpital de Blida. Elle y resta plusieurs mois sans pouvoir se relever. Jusqu’au cessez-le-feu où elle fut libérée emportant avec elle les séquelles invalidantes qu’elle traîne toujours aujourd’hui. Son histoire, connue par beaucoup à Blida, notamment par l’ancien chef de la Wilaya IV le colonel Si Khatib Youcef ainsi que d’autres responsables comme Si Bouragâa qui lui rendent visite de temps à autre, est forcément encore plus longue que ce que nous rapportons. Il faudrait lui consacrer un livre. Nous nous contenterons, pour cette fois, de ces bribes de sa vie de moudjahida, qui sont déjà assez lourds. C’est juste pour rendre hommage à son sacrifice et à son courage de femme moudjahida.

La journée du 8 Mars que nous célébrons cette année en est une bonne occasion. Khalti Baya illustre le meilleur exemple de sacrifice et de dévouement de la femme algérienne dans la guerre de Libération nationale. Merci Khalti Baya!