La Djouzia de Constantine, du savoir-faire ancestral à la « marque déposée »

La Djouzia de Constantine, du savoir-faire ancestral à la « marque déposée »

722837fb76fdb0da9f48d21af75bc1be_L.jpgVéritable ravissement pour le palais, la Djouzia de Constantine, fruit d’un savoir-faire ancestral, est devenue une marque déposée sur le Vieux Rocher.

Ce nougat tendre et parfumé, à la saveur tout en raffinement, riche en miel, parsemé de noix concassées est l’une des douceurs les plus appréciées dans la ville des mille et un délices.

Jadis préparée à la maison et réservée pour des moments de partage et de convivialité avec la famille et les amis, lors des soirées de Ramadhan, cette friandise incomparable a été propulsée au-devant de la scène avec l’apparition de fabriques spécialisées. Elle est désormais le « must » des cérémonies, des réceptions et des fêtes de mariage. La Djouzia est également devenue le présent idéal que beaucoup de constantinois offrent aux amis, aux visiteurs de la cité.

La Djouzia, un savoir-faire et un raffinement typiquement constantinois

Si les origines de la Djouzia continuent d’alimenter les débats dans les rangs des passionnés de l’histoire de la gastronomie de l’antique Cirta, d’aucuns s’accordent à dire que la préparation de cette friandise est « 100 % made in Constantine ».

Quant au miel pur, comment pouvait-on s’en priver et se passer de sa saveur unique lorsqu’on sait que la localité de Hamma-Bouziane (jadis appelée Hamma-Plaisance pour ses innombrables jardins) était un véritable paradis pour les apiculteurs.

S’agissant de ses origines « lointaines », si les avis restent partagés, de nombreux spécialistes évoquent une origine persane. La Djouzia aurait ensuite été introduite par les Turcs. Mais tout cela reste sujet à caution.

Sa préparation dans les familles constantinoises était autrefois un moment de joie, d’échanges et de convivialité à nul autre pareil. Afifa Cherouana, pâtissière, spécialiste dans l’art culinaire constantinois, affirme que la Djouzia était jadis préparée quelques jours avant le mois de Ramadhan. Miel pur, sucre roux, blancs d’œufs et les meilleurs cerneaux de noix du marché constituaient l’essentiel des ingrédients de la véritable Djouzia, soutient cette professionnelle.

Sur une « Tabouna » (une sorte lessiveuse à gaz dont on se sert aussi pour préparer la galette), le miel et le sucre sont portés à ébullition dans une « tandjra » bien profonde en cuivre rouge, dégageant des relents exquis qui parfumaient toute la maison, se souvient Mme Cherouana.

Des blancs d’œufs montés en neige sont progressivement incorporés au miel et au sucre avant que la mixture ne soit inondée de noix concassées, détaille-t-elle, avant d’ajouter que la pâte ainsi obtenue, d’une belle couleur légèrement dorée, truffée de noix, était alors étalée dans une « s’nioua » (plateau) en cuivre puis coupée en losanges, en carrés ou en bâtonnets.

Pour préparer une bonne et authentique Djouzia, la dextérité et le savoir-faire sont « indispensables » affirment à l’unisson tous les professionnels spécialisés dans la préparation de ce délice.

Une bonne température lors de l’ébullition du miel et du sucre, l’incorporation des blancs d’£ufs au moment opportun, sans arrêter de remuer la pâte sont « les petits secrets » d’une succulente Djouzia, celle qui libère le goût suave du miel et la saveur incomparable des noix, affirment des pâtissiers professionnels.

La Djouzia était, dans de nombreuses familles de la cité des ponts, la « star » incontestée (et incontournable) des soirées du ramadhan, affirme Mme Cherouana, avant de souligner que le coût excessivement cher des ingrédients de cette friandise faisait que la Djouzia n’était présente que durant le mois sacré, une période où l’on pouvait se permettre « des dépenses supplémentaires ».

Une friandise aujourd’hui « démocratisée »

Cette gourmandise naguère hors de portée n’est plus l’apanage des seules gens aisées. Elle est devenue, au fil des années, une sorte « d’art de vivre » à la faveur de la multiplication de fabriques spécialisées dans sa préparation. De nombreux petits ateliers ont aujourd’hui pignon sur rue dans la vieille ville de l’antique Cirta et leurs carnets de commande sont toujours bien garnis, surtout à l’approche du mois sacré.

« Chez Ahmed », dans un quartier résidentiel de la ville, est l’une des adresses les plus authentiques, s’agissant de la fabrication de la Djouzia. Ici, l’on assure que l’élément-clé est le « respect de la qualité des ingrédients de base ».

La boutique reçoit des commandes des quatre coins du pays, et même de l’étranger, tout au long de l’année. Le kilo de Djouzia est facturé à 2.000 dinars. A la pièce, il faut y aller de 70 dinars. La boutique offre à ses clients un large éventail « d’écrins » pour mettre en valeur cette friandise. Boîtes stylisées, corbeilles en osier enrubannées et même des plateaux en cuivre, là, il faut « casquer » plus cher, sont proposés aux clients qui n’ont que l’embarras du choix.

Non loin de cette boutique, une autre pâtisserie, très réputée dans la fabrication de Djouzia, étale en vitrine le savoir-faire du maître de céans, Rabah. Ce dernier a troqué son petit atelier de Rahbat Essouf, dans la vieille ville, pour un magasin plus spacieux au centre de Constantine.

« La fabrication de la Djouzia est mon métier de toujours », affirme ce sexagénaire qui exerce ce commerce depuis une quarantaine d’années. Il soutient « utiliser le même procédé de fabrication et le même savoir-faire », même si les grand batteurs et les machines sophistiquées ont remplacé les anciens ustensiles. Pour Rabah, le secret de la réussite, c’est « l’authenticité » du produit.

D’un petit délice traditionnel fait maison, dont la délicate préparation a été fidèlement transmise de génération en génération, cette gourmandise est aujourd’hui l’un des témoins du savoir-faire et du savoir-vivre d’une cité bimillénaire qui n’a pas fini de révéler toutes ses facettes. Un philosophe français contemporain ne croyait pas si bien dire en affirmant que la table était « ce qui reste d’une civilisation quand on a tout oublié ».