L’urbanisation effrénée et souvent anarchique a conduit un grand nombre d’anciennes cités et de nouveaux villages à vivre le phénomène de rurbanisation, qui imprime une hybridité asphyxiante aux milieux de vie, ne pouvant plus se situer dans la citadinité, tout en ayant déjà rompu les amarres avec la vie rurale.
ndiscutablement, ce processus entamé timidement sous la colonisation, accéléré sous le règne de la politique d’industrialisation ayant touché les grandes villes du pays dans les années soixante-dix du siècle dernier, il connaîtra sa vitesse de croisière pendant la période appelée «décennie noire», laquelle s’étend réellement sur presque vingt ans.
La mobilité de la population, dans le sens de l’exode de la campagne vers la ville, a conféré un nouveau visage aux villes, une autre configuration aux rues et boulevards et une promiscuité stressante aux quartiers et cités.
Les bidonvilles, que le gouvernement de Chadli avait commencé à éliminer, en «renvoyant» leurs occupants vers leur région d’origine, se sont reconstruits et ont bénéficié d’un nouveau souffle dès le début des années 1990 à la faveur du climat d’insécurité qui commençait à régner sur les montagnes et dans les bourgades enclavées.

Cet état de fait s’ajouta aux anciennes motivations strictement économiques qui ont fait fuir des milliers de ménages vers des zones qui offraient encore de l’emploi, ne serait-ce que dans le créneau de l’informel.
Car, même ce dernier n’avait pas beaucoup de chances de fleurir dans les régions reculées où régnait la pauvreté, sachant que le pouvoir d’achat était drastiquement réduit sous le régime de l’ajustement structurel dicté par le FMI à l’Algérie au milieu des années 1990.
Le résultat des courses est que le nouveau «cosmopolitisme» sans âme régnant dans les villes et la «bidonvilisation» rampante d’anciens quartiers paisibles ou de terrains attenants aux périmètres urbains ont généré des pratiques et comportements qui siéent mal aux canons de la vie urbaine et de la citadinité.
Le premier à en souffrir, c’est le cadre de vie sous ses aspects les plus saillants, à savoir la disparition des espaces verts, la constitution de rigoles et de lagunes d’eaux usées un peu partout, y compris devant les hôpitaux et certaines institutions de l’Etat, la multiplication d’ordures et de décharges sauvages, des actes de délinquance contre certains équipements publics (à l’image des installations ludiques et récréatives placées dans les jardins publics), de nouvelles constructions illicites, débordant parfois sur la rue au point de lui enlever une partie de son emprise et d’autres phénomènes, les uns plus complexes que les autres.
Que l’on se rappelle les inondations qui ont affecté Bab El-Oued en novembre 2001. En fait, techniquement, il ne s’agit pas d’inondations au sens strict du terme ; ce concept est utilisé pour des villes de plaine où les eaux en furie ne trouvent pas de débouché. Dans notre cas, il s’agit d’éboulements d’une partie de la montagne de Beaufraisier.
La boue reçue en aval (Triolet, Les Trois Horloges), a mobilisé des engins de travaux publics pendant plusieurs jours pour son évacuation. Le détachement d’une épaisse quantité de sol sous forme boueuse – qu’on appelle érosion en nappe – est principalement dû au déboisement dont a fait l’objet le sommet de la crête allant de Bouzaréah à Notre-Dame d’Afrique, le long du chemin pittoresque de Beaufraisier, aujourd’hui envahi par le béton.
ANOMIE SOCIALE
Cette tendance à l’anarchie, qui place la société dans une situation d’anomie et ces dégradations, plus inquiétantes que jamais, du cadre de vie, ne cessent de prendre de l’ampleur devant le laxisme de certaines structures publiques chargées du maintien et de la promotion du cadre de vie, devant la déliquescence des valeurs morales rongées par la corruption, active et passive, et devant le recul de l’autorité de l’Etat, devenu très palpable après le déclenchement de ce qui est appelé le «Printemps arabe».
Il s’ensuit que le constat relatif à la dégradation du cadre de vie en Algérie est des plus accablants. Notre pays s’expose chaque jour à l’insalubrité et aux phénomènes issus des conséquences d’atteinte à l’environnement. Les diverses atteintes à l’environnement et au cadre de vie sont plus visibles que jamais et ne relèvent plus du mystère.
On peut en prendre connaissance aussi bien dans des quartiers urbains résidentiels, dans des centres limitrophes des zones industrielles que les zones de l’arrière- pays montagneux, pourtant considéré, jusqu’à il y a quelques années, le dernier rempart contre toute forme d’altération de la nature et de ses vertus.
Presque chaque année, à la faveur des grands orages qui annoncent le printemps, des villes et villages algériens plongent dans la boue et des accumulations d’eau dans les boulevards ; des maisons sont infiltrées par les eaux de pluie jusqu’à causer de grands dégâts faisant des victimes.
Après El-Tarf et Aflou, deux cas extrêmes des années 2011 et 2012, l’année en cours c’est Khenchela et Batna qui ont subi les conséquences d’une gestion catastrophique de l’espace urbain.
À la dernière semaine d’août, il y eut au moins une dizaine de morts. L’opinion et même une partie des responsables administratifs continuent à se poser des questions pour savoir pourquoi et comment se répètent des cas d’éboulement affectant des terrains réputés naguère bien solides, des cas de maladies infectieuses évoluant en épidémies mortelles ou de maladies allergiques touchant enfants et adultes.
D’autres interrogations concernent les explications sur la diminution des capacités de stockage des barrages hydrauliques et sur retour de certaines pathologies que le système de prévention algérien avait déjà vaincues dans les années 1970.
L’examen primaire de la situation des villages, villes et bourgades d’Algérie révèle qu’ils sont devenus de géants cloaques d’eaux usées et de nauséeux monticules de déchets pour la plupart non biodégradables (sachets en plastique, bidons et bouteilles…).
Les opérations de nettoyage menées en automne 2012 par des «volontariats» décidés par le gouvernement ont été plutôt des campagnes sans lendemain. L’industrie du recyclage n’existe presque pas. D’où le non-souci du tri des déchets ménagers et des déchets industriels, sans parler du danger sans pareille que représentent les déchets hospitaliers, généralement incinérés d’une façon non réglementaire.
En se «réveillant» quelque peu à la donne environnementale, les techniciens et des membres de la société civile commencent à s’inquiéter du sort qui sera réservé à la qualité de l’eau des derniers barrages hydrauliques construits depuis le début des années 2000, et ce, au vu de l’énorme volume d’eaux usées déversées par les dizaines de villages situés dans leurs bassins versants respectifs.
Les capacités d’autoépuration du sol, souvent montés en aiguille, ont ses propres limites face à la très forte industrialisation et à la croissance démographique exponentielle. Cette donnée ne pourra réellement être prise en charge que par l’installation des stations de traitement en amont du plan d’eau.
LOIN DE LA COUPE AUX LÈVRES
Dans certains quartiers, les montagnes d’ordures ménagères et d’autres déchets de diverses provenances, y compris devant les structures sanitaires et devant certains édifices publics, ne surprennent plus, tellement les citoyens et même les responsables administratifs ou élus sont habitués à un tel spectacle.
Comment faire jouer, dans ce cas, l’attractivité touristique du pays dans un moment où des documents de plusieurs milliers de pages sont réservés aux études de nouvelles zones touristiques et aux investissements hôteliers ?
L’alimentation quotidienne des Algériens n’échappe pas, non plus, aux incertitudes liées à sa production, à son conditionnement, au respect ou non de la chaîne de froid et au sérieux de son étiquetage (fabrication et péremption).
Les intoxications collectives lors de fêtes de mariage, dans les cités universitaires, et même dans des hôpitaux sont des signes qui ne trompent pas sur la déliquescence de l’hygiène dans notre pays et sur le laxisme des pouvoirs publics en matière de contrôle des produits, des ateliers de fabrication, des magasins et superettes.
Les sources des diverses nuisances, pollutions et maladies se multiplient aujourd’hui au rythme du nouveau mode de consommation permis par un niveau de vie qui dénote une fausse prospérité du pays. Un mode de consommation qui n’a encore reçu aucune espèce d’encadrement sanitaire et qui s’ouvre sur tous les aléas touchant à la santé et la quiétude des citoyens.
Les maladies générées par l’achat de vêtement dans les magasins de friperie (gale, champignons…) n’ont, à notre connaissance, déclenché aucune enquête permettant de réglementer sérieusement ce type de commerces. Le pays regorge pourtant de textes législatifs afférents à ce domaine et aux autres domaines de la vie en société.
Il y a visiblement loin de la coupe aux lèvres. En pleins investissements publics qui se montent à des centaines de milliards de dollars, le cadre de vie des Algérie continue sa descente aux enfers. Les milieux intellectuels et associatifs commencent à peine à se saisir du sujet. Mais le chemin est long et laborieux.
L’association d’Oran qui a défendu la forêt suburbaine et récréative de Canastel contre la mafia du foncier a été… dissoute par la direction de la réglementation et des affaires générales (Grag) de la wilaya au début de l’été dernier. Elle n’a dû sa réhabilitation récente qu’à un travail de sensibilisation et à sa position de fermeté.
S. T.