La démographie continue de galoper en Algérie, et il n’est pas besoin d’être expert pour l’affirmer ou pour demander l’ouverture d’un débat autour de ses répercutions sur l’économie du pays, déjà, mise à mal par cette chute inexorable du prix du baril de pétrole.
Les derniers chiffres de l’Office National des Statistiques (ONS), le montrent : nous sommes, depuis le 1er janvier 2013, 37,9 millions d’habitants, soit une hausse de 2,16% par rapport à 2011. En raison de la progression de la natalité, le cap d’un million de naissance par an, sera, probablement, atteint pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie. Ainsi, notre pays va occuper le « haut du pavé » mondial en la matière. Autrement dit, les naissances annuelles seront de la dimension de la population d’une commune voire deux ! Dans les trois années à venir, elles atteindront la taille d’une wilaya. Affolant !
La crise, décourage-t-elle les couples à faire des bébés ? Dans les pays occidentaux, peut-être, mais en Algérie, certainement pas ! On aurait pu s’attendre à ce que l’incertitude suscitée par la crise pétrolière fasse chuter la fécondité et/ou le désir d’enfants chez les couples ou ceux en devenir, apparemment non ; des micros-trottoirs et des questions posées autour de « combien voulez-vous avoir d’enfants ? », il y a ceux « qui s’en remettent à Dieu et au mektoub » et les autres « qui en veulent au moins trois ».
Ce désir d’enfant ou cette aptitude à la procréation sans limites ne sont pas dus au hasard, puisque, rappelons-le, dans notre pays, plus on procrée, plus on touche d’allocations. Les problèmes qui se posent et se poseront davantage à l’avenir, concerneront le chômage et l’emploi ; les derniers chiffres du chômage viennent d’être rendus publics : le taux est passé de 9,6% à 10,6% entre 2013 et 2014 ; 16% des diplômés universitaires souffrent de ce phénomène. La pression sur le marché du travail s’accentuera avec 280 000 demandes d’emploi/an qu’il n’est pas possible de satisfaire, sachant que la fonction publique n’est pas, n’est plus, selon Abdelkader Khomri le ministre de la jeunesse, « un réservoir d’emploi ».
Dans le milieu des universitaires sans emploi, l’exaspération risque de monter après l’annonce du ministre de l’énergie déclarant à l’APN que « Sonatrach allait procéder à un recrutement de 8000 ingénieurs et techniciens en 2015 qui bénéficieront, ensuite, d’une formation à l’Institut Algérien du Pétrole », sauf que cette annonce a été prise avant la chute du baril et la question posée est de savoir si ce programme est maintenu ? Et en cette période, nul n’est censé ignorer que le prix du baril de pétrole est en baisse, et personne n’est en mesure de dire, pour autant, où va s’arrêter la chute de cette richesse qui fait les beaux et les mauvais jours du pays.
Les années à venir vont être, extrêmement, difficiles nous prédisent les experts ; selon une étude de l’ONS, les algériens seront au nombre de 55 millions d’habitants entre 2050 et 2100, quand, peut-être, au même moment à Dieu ne plaise, nos richesses fossiles tariront. Il reste le gaz de schiste diront certains, mais à quel prix et surtout comment y recourir ou penser à l’exploiter dans le contexte de crispation dans lequel se trouvent nos régions du Sud ? De plus, et si la croissance économique tarderait à venir, et si la population active occupée serait en régression ou se stabiliserait à son niveau actuel, comment le gouvernement pourrait assurer les retraites d’aujourd’hui et de demain ?
On évoque, déjà, dans certaines sphères spécialisées, le système de retraite par « capitalisation » comme solution à la crise du système actuel, mais on en est au stade des discussions entre experts et on trouve déjà côté des travailleurs, une forte résistance. Ces mêmes travailleurs éprouvent, par ailleurs, beaucoup d’inquiétude concernant l’application des mesures induites par l’abrogation du fameux article 87 bis. A ce propos, un récent sondage, publié par un quotidien francophone du soir, a montré qu’à plus de 60% les citoyens étaient plus que sceptiques concernant les augmentations salariales promises en haut lieu et réitérés par Sidi-Saïd, celui-là même qui a été plébiscité comme SG de la Centrale Syndicale.
En matière de retraite toujours, on comptait en 1988 huit travailleurs qui cotisaient pour un retraité ; aujourd’hui, ce rapport n’est plus que de 2,5. Les causes de cette situation sont connues : vieillissement progressif de la population, nombre de retraités en hausse, suite aux mesures de départs volontaires, et autres fermetures d’entreprises publiques, et le rapport actifs/inactifs risque de se dégrader davantage si les mesures de gel du recrutement décidées par le gouvernement Sellal sont mises en œuvre, de façon drastique. Si l’on ne renoue pas, et vite, avec la croissance hors hydrocarbures, et de manière forte et durable, la population en âge de travailler ne trouvera pas d’emploi, y compris chez les universitaires, sachant que toutes les mesures Ansej et Anjem ont montré leurs limites en la matière, ajoutant ainsi à la gabegie.
Le tableau est noir et cette histoire de démographie galopante va l’enténébrer davantage, ce qui, pour le moins, doit inquiéter, en haut lieu ! L’inéluctable vieillissement de la population risque, comme on l’a dit, d’aggraver encore plus la situation : la population des « vieux » passe de 6,2% en 2000 à 9,2% en 2020, pour atteindre 22% en 2050 !
Que va faire le prochain gouvernement de tous ces « vieux », du million de naissances prévu annuellement et de tous ces trentenaires qui attendent tout de « l’Etat-providence » ? Phénomène encore inimaginable, il y a quelques années, les personnes âgées souvent démunies, sont de plus en plus nombreuses à se retrouver sans assistance ; les liens familiaux, de plus en plus distendus, voire une absence totale de liens, provoquent une marginalisation de cette catégorie de citoyens qui ne bénéficient pas d’aides sociales suffisantes pour vivre décemment. Sur le plan des infrastructures, les foyers pour personnes âgées sont rares, ou quand ils existent manquent de tout. Les services de gériatrie, sont quasi-inexistants, carence qui impactera le corps médical, lui-même en butte à de nombreux problèmes qu’Abdelmalek Boudiaf, le ministre du secteur n’est pas arrivé à résoudre. Il en est de même du ministre du travail, Mohamed Ghazi, qui conjugue l’abrogation de l’article 87 bis à tous les temps et qui ferait mieux, s’il arrivait à garder son maroquin, à se soucier davantage du rapport « actifs-inactifs » ou le nombre de ceux qui ont un emploi diminue à vue d’œil, contrairement aux seconds dont le nombre augmente, ce qui a pour effet de diminuer la part des cotisations salariales. Sachant que notre système de retraite est fondé sur la logique de la répartition, il faudrait que le ministre du travail explique comment et surtout où il compte trouver des sources de financement complémentaires à même de garantir le système de retraite actuel.
Rappelons aussi pour corser cette équation, dont va hériter le prochain gouvernement, que le boom des naissances des années 70/80/90 a fait qu’actuellement, environ 70% de la population algérienne a moins de 35 ans et que cela n’est pas sans conséquences sur l’emploi, le logement, la facture alimentaire, les loisirs etc. Tous ces trentenaires issus du boom des années 70/80/90 et notamment les jeunes algériennes nées à ces époques ont le désir de fonder une famille, même si elles ne doivent avoir qu’un ou deux enfants, ces naissances seront beaucoup plus nombreuses que les décès concomitants des personnes nées il y a 50 ans. Il s’en suit, selon les experts, que la population algérienne poursuivra, une croissance pendant une génération avant de se stabiliser. Si l’on voulait la stabiliser au plus vite, il faudrait des mesures dictatoriales pour empêcher les femmes d’enfanter. Il y a la piste du plafonnement des allocations familiales à 2/ 3 enfants mais beaucoup doutent de son efficacité.
Il y a aussi le poids des traditions et de notre religion qui est contre toute limitation. On l’aura compris, inutile d’ouvrir ce débat, au risque de donner du « grain à moudre » à qui vous savez ! De plus, l’Algérie n’étant pas la Chine, on ne peut parler de restriction ou de limitation « politique » des naissances ; cela ne serait pas, seulement, immoral, ce serait, également, stupide avec le risque de déboucher sur un coup d’« accordéon », comme en 1970, lorsque les dirigeants de l’époque ont estimé « qu’il y a avait trop de médecins et pas assez de pêcheurs en Algérie ». Ils ont donc fermé l’accès aux facs de médecine et subventionné l’achat massif de petites embarcations de pêche, cela pour s’apercevoir, ensuite (et à ce jour) que l’on manque de personnel médical (gériatrie, par exemple), et qu’on n’a pas, pour autant, résolu notre problème d’abondance de poissons !
Et puisqu’on est chez les politiques, restons-y, pour demander au prochain gouvernement qu’on dit imminent, ce qu’il compte faire pour juguler ou, pour le moins, réguler la démographie dans notre pays ? Estime-il que la croissance démographique est excessive et préoccupante notamment dans la conjoncture présente, comme le soutiennent les économistes qui y voient un frein au développement ? Ou est-ce une bénédiction et un atout pour l’avenir, comme le pensent certains démographes qui disent que l’Algérie, puissance régionale, s’il en est, se comporterait mieux avec une population de 100/200 millions d’habitants ?
Voilà un débat à même de nous sortir des élections présidentielles « anticipées », des uns, ou du « tout va bien » des autres, si tant est que tous ces politiques daignent parler à notre intelligence. Pour notre part, on est prêts à leur prêter « deux neurones » afin qu’ils nous donnent leur avis sur cette « bombe » démographique qui risque d’exploser le pays ? Notons, déjà, que deux écoles s’affrontent en la matière : la Chine qui contraint ses citoyens, depuis des lustres, à un contrôle des naissances draconien (politique de l’enfant unique), ou l’Inde, qui ayant décidé de « laisser filer », sera plus peuplée que la Chine avec un âge moyen moins élevé.
Dans les années 1950, le général de Gaulle, disait de la Chine de l’époque, à juste titre, qu’elle était « innombrable et misérable ». C’est parce qu’elle a fait l’effort de ne pas être plus « innombrable » chaque année qu’elle a cessé d’être misérable. L’Inde, quant à elle, n’ayant pas voulu faire le même effort, s’est laissée distancer par la Chine et par la plupart des autres pays asiatiques. Le revenu des Indiens, est, en 2014, inférieur à celui des autres asiatiques et même à celui de l’Africain. L’Algérie peut-elle emprunter la même voie que la Chine, c’est-à-dire, tenter d’être « innombrable » ? Certains le pensent, en mettant en avant le qualificatif « jeune » pour définir la population du Maghreb en général et de l’Algérie en particulier, ils évoquent un dynamisme démographique qui demeure une chance pour nos pays car ce capital humain constitue un formidable vecteur de croissance si de lourds investissements sont rapidement investis dans l’emploi, la santé et l’éducation afin de pérenniser des économies encore fragiles.
Nos gouvernants et tous ceux qui parmi les « résignés-réclamants » comme les décrit Jacques Attali, l’ancien conseiller de François Mitterrand qui continueront de suivre le mauvais exemple que nous donne l’Inde, doivent savoir qu’ils ne pourront ni éduquer, ni soigner, ni donner de l’emploi encore moins assurer la sécurité, ou loger une population en croissance démographique, trop rapide.
Rappelons que les « résignés-réclamants » sont des personnes qui sont incapables de prendre leur destin en mains, elles demandent à l’Etat de la sécurité (c’est-à-dire de la défense, de la police, de l’instruction, de la santé, un logement et un emploi qui passe par une formation), exigeant les meilleurs services pour le prix le plus bas ; ces gens-là sont consommateurs égoïstes de services publics qu’ils ne songent même pas à rendre aux autres. Ils ne font que réclamer des miettes d’une abondance en voie d’extinction.
A coup sûr, l’explosion démographique bouleversera notre pays dans les années à venir et à moins d’une relance économique providentielle, le pays peut connaître de sérieux problèmes de dépendances voire d’endettement. Cette équation démographique ne semble pas alarmer les autorités et pourtant elle doit être résolue, avant qu’elle ne devienne un réel problème de société. La croissance économique du pays va être « mangée » par une démographie galopante et le débat est, d’ores et déjà, ouvert entre ceux qui pensent que l’incertitude économique est mauvaise pour la démographie et ceux qui estiment que la récession encourage plutôt le nombre de naissances.
Pour notre part, on s’autorise à penser qu’il est temps de maitriser cette croissance inutile et perverse qui dilapide les ressources fossiles du pays sans compter ses impacts sur la vie économique et sociale. Le prochain gouvernement a donc, pour ardente obligation, de ramener la démographie à un taux raisonnable, et qu’il cesse, une fois pour toute, de s’en remettre aux cours du pétrole, espérant quelque miracle !
Cherif Ali