Files d’attente interminables devant les consulats, débordement des services d’état civil, organisation brimbalante, délais de délivrance longs. Les ressortissants algériens en France font la course au passeport biométrique comme pour un trésor. Les obstacles sont nombreux et le trophée pas vraiment à portée de main.
La quête commence dans le bus
271 qui prend les voyageurs à la gare RER de Vitry-sur-Seine. “Je vais au consulat voir ce qui se passe, car je n’ai pas encore récupéré les passeports des enfants”, claironne, exaspéré, un des passagers dans son téléphone. Il est algérien comme la plupart des autres voyageurs qui descendent, dix minutes plus tard, à la station Salvador-Allende. Le petit groupe traverse le passage piéton en file indienne et longe sur quelques mètres une avenue paisible ou se profile rapidement le consulat. Les barrières vides installées à l’entrée des locaux pour encadrer les files d’attente font croire que la pression est retombée. “Vous pensez ?! Allez regarder à l’intérieur”, s’exclame un jeune homme qui rebrousse chemin, très furieux, car arrivé trop tard. La montre affiche pourtant 9h30. Mais à cette heure-ci, tous les tickets ont déjà été distribués. Car à Vitry-sur-Seine, comme dans les autres consulats algériens d’Ile-de-France, il est inutile de se présenter devant n’importe quel guichet d’état civil, sans présenter le petit coupon numéroté. Un sésame. Pour le passeport biométrique, un système de prise de rendez-vous sur internet a bien été mis en place depuis quelque temps, mais beaucoup d’Algériens continuent à venir en personne. “Les délais sur internet sont très longs. Au téléphone, c’est simple, personne ne répond. Et puis, regardez, pensez-vous que tous ces gens-là ont la possibilité d’aller sur le net ?”, tonne Samir. D’un mouvement de bras, il brasse l’air saturé d’une salle bourdonnante et pleine comme un œuf.
C’est le hall d’entrée. Au fond se trouvent des guichets dissimulés par la marée humaine et au seuil une cabine d’accueil où de nouveaux arrivants continuent de s’agglutiner, quémandant un ticket improbable. Linda vient d’Auxerre, à 170 km. Il s’agit de son troisième passage au consulat. Elle supplie un des agents de sécurité de lui donner un ticket pour aller se procurer les actes de naissance S12 de sa progéniture, indispensables pour le passeport. “Je ne pouvais pas venir plus tôt. Il fallait bien que je dépose mes enfants à l’école”, explique-t-elle, désespérée, au planton. Mais celui-ci rétorque qu’il ne peut rien faire. Il fournit cette réponse lapidaire à tous ceux qui viendront plus tard lui demander la même faveur. Dans les couloirs, d’autres agents sont constamment assaillis par des individus complètement perdus qui, parfois, ne savent même pas quels documents présenter pour se faire délivrer un passeport. Beaucoup sont âgés. Si Ali, retraité, est venu tôt ce matin de Choisy-le-Roi, une commune voisine, il a fait la queue dès 6h, à l’extérieur, dans le froid, pour être sûr d’avoir un ticket qui lui permettra de prendre un rendez-vous pour le dépôt de son dossier de passeport. Mais il ne connaît pas vraiment la procédure. En attendant de passer au guichet, il tente de s’informer avant de se laisser choir sur une chaise, lassé. Nadia est beaucoup plus jeune. Elle est étudiante. Née en France, elle vient demander un S12. Or son réveil aux aurores semble avoir été vain. “J’étais là à 5h pour être sûre de passer. Arrivée au guichet, on me dit que l’acte de naissance que j’ai ne correspond pas et qu’il faut une copie intégrale. Je vais donc rapidement me rendre à la mairie, revenir et essayer de repasser. Il y aura peut-être moins de monde tout à l’heure”, fait-elle savoir avant de disparaître.
En milieu de journée, ils étaient encore des centaines à se tasser dans les locaux du consulat. Les chaises alignées à côté du mur, à l’entrée, sont occupées en partie par des mamans, avec des bébés dans les bras. Le passage est encombré par les poussettes. Même les sièges posés dans les cabines de photomaton sont occupés. Les marches de l’escalier qui mène à la salle de dépôt des dossiers de passeport aussi. À l’intérieur, c’est la cohue. Certains perdent patience. De temps en temps, des éclats de voix se font entendre. “Je ne veux pas de votre passeport”, tempête un jeune avant de s’éclipser. “Certains ont raison de s’énerver. Mais je pense qu’il ne faut pas tout mettre sur le dos des agents consulaires qui sont parfois dépassés. Nos ressortissants sont également responsables de cette anarchie. Ils manquent de civisme, ne respectent pas l’ordre de passage par exemple. Certains ont déjà beaucoup d’a priori avant de venir. Ils sont conditionnés”, observe Samir. Infirmier au Samu de Paris, il a accompagné un vieil homme malade, en fin de vie, qui doit se faire délivrer un passeport pour rentrer en Algérie. Selon lui, le personnel du consulat se montre généralement compréhensif face à certaines situations personnelles. Mais ce n’est pas l’avis de tout le monde. Faïza dit avoir perdu son père cet été avant même de pouvoir utiliser son nouveau passeport biométrique qu’il a obtenu après une longue galère de sept mois. “Il s’était déplacé au moins six fois au consulat l’année dernière, alors qu’il était déjà très fatigué”, confie la jeune femme qui semble pour sa part beaucoup plus chanceuse. Son passeport est prêt deux mois seulement après en avoir fait la demande. Mais comme rien n’est parfait, c’est aujourd’hui qu’elle est appelée à mettre sa patience à l’épreuve. Faïza doit aussi ouvrir grandes les oreilles, car pour récupérer son passeport, il faut impérativement qu’elle entende appeler son nom par le guichetier. “Je ne vois pas l’utilité de nous avoir donné des numéros de passage”, fait-elle remarquer, dépitée.
Dans le brouhaha ambiant, les agents hurlent à perdre la voix, alors que la salle continue à recevoir du monde. Malika, elle, s’apprête à déguerpir bredouille. Elle a échoué à faire établir un passeport pour sa fille. “Au train où vont les choses, il lui faudra un visa sur son passeport français pour rentrer en Algérie”, s’énerve la mère de famille. À elle, se joignent deux autres femmes avec chacune ses propres déboires avec le biométrique. La première dit que son mari, venu seul la fois précédente, avait obtenu deux tickets, l’un pour se faire délivrer une carte consulaire et le second pour prendre rendez-vous pour le dépôt du dossier du passeport. Or, compte tenu de l’affluence, il a perdu un de ses tours de passage devant le guichet. Sa voisine explique qu’il n’est pas plus avantageux de prendre rendez-vous sur internet, car on ne passe jamais à l’heure indiquée. “Quand on vient ici, c’est pour la journée”, déplore-t-elle. L’après-midi est largement entamé, mais les locaux du consulat ne désemplissent pas. Le chapiteau installé à l’extérieur, dédié principalement à la fabrication des cartes nationales d’identité et des cartes consulaires (délivrées le jour même), est le seul endroit pratiquement vide.
Ailleurs, c’est encore le “remue-méninges”. Une vieille dame diabétique manque de s’évanouir. Elle est conduite dans un des bureaux par les agents qui lui donnent à boire et la réconfortent. Elle vient de loin elle aussi. La fatigue se lit sur tous les visages. Pour se désaltérer et se nourrir, le Mac-Do d’à côté s’avère d’un secours précieux. Certains n’hésitent pas à ramener leurs sandwichs faits maison comme pour un pique-nique. “On ne sait pas à quelle heure nous arriverons à la maison”, affirme Saïd, originaire de Nevers, à quatre heures de route de Vitry. Ce consulat d’Ile-de-France, dont la couverture géographique est de loin la plus vaste, prend en charge des dizaines de milliers de ressortissants algériens. Chaque matin, des centaines se déversent dans l’avenue Salvador-Allende, en proie au stress biométrique.
S. L-K.