La découverte du gaz de schiste US ne menace pas les cours du pétrole

La découverte du gaz de schiste US ne menace pas les cours du pétrole

Il y a deux semaines de cela, l´Agence internationale de l’énergie avait publié un rapport sur le boom des pétroles de schiste et des gaz de schiste aux États-Unis d’Amérique, un rapport alarmiste prévoyant l´effrondrement des cours des prix du pétrole et du gaz en raison d’un futur surplus de la production américaine de ces deux matières énergétiques .

L’analyse des experts de l´AIE contenue dans ce rapport prévoit un lendemain sombre pour les économies des pays membres de l´Opep et plus particulièrement l´Algérie qui est trop dépendante des recettes de ses hydrocarbures. Ayant lu et analysé le contenu de ce rapport, je dirais en toute modestie et à mon humble avis que ce rapport ne tient pas la route, car il ne répond pas à certaines logiques économiques liées à des fins empiriques.

Voici mes commentaires sur le rapport de l´AIE, contenant 6 remarques :

1 – La crédibilités des experts de l’AIE : par le passé, les honorables experts de cette prestigieuse agence se sont déjà trompé dans leurs analyses et leurs prévisions suite auxquelles ils sont revenus à maintes reprises pour revoir tantôt à la hausse et tantôt à la baisse les chiffres de la demande et de l’offre mondiale du pétrole ainsi que le prix du brut. Cela s’est passé pas une ou deux fois mais plusieurs fois.

2 – Une information déjà connue du grand public : toute cette littérature á caractère publicitaire contenue dans le rapport de l´AIE concernant ces gigantesques découvertes des gaz et de pétroles de schiste aux USA c’est une histoire de déja vu. Depuis 2009 jusqu’à nos jours, j’ai lu au moins 30 articles publiés dans les grands quotidiens financiers américains et j’ai vu plusieurs programmes et interviews sur les chaînes économiques comme CNBC et Bloomberg sur ce sujet. D’ailleurs certains médias sont allés jusqu’à affirmer que c’est la découverte du siècle et d’autres ont soutenu que c’est la seconde découverte après internet. Mais les écoles de finance nous ont appris qu’une information déjà connue du grand public n’a pas d’impact sur le prix d´un actif financier ou sur le prix d’une matière première.

Raisonnement absurde

3 – L’efficience du marché pétrolier : cette troisième remarque est sans aucun doute la plus pertinente car elle illustre bien l’absurdité du raisonnement de certains cadres de l’AIE. Ces gentlemen disent qu’en raison des découvertes de ces gigantesques gisements de pétrole de schiste et du gaz de schiste, les USA seront autosuffisants en pétrole et en gaz et ils détrôneront l’Arabie Saoudite de la première place, et vers l’horizon des années 2020 cette future surabondance de l’offre américaine en pétrole et en gaz cumulée au fil des années encouragera les Américains à se tourner vers l’export et ces derniers viendront inonder les marchés pétroliers internationaux et par conséquent il y aura un effondrement des cours du brut. Avec tout le respect qu’on doit à ces messieurs de l´AIE, il faut reconnaître que leur raisonnement est manifestement faux. Pourquoi et comment ?

Vu l’efficience du marché pétrolier international, le marché pétrolier américain a déjà intégré dans les cours du prix du brut WTI (West Texas Intermediate ). Cette information concernant un futur surplus de l’offre américaine doit être nuancée du fait que le marché a intégré l’information authentique qui reflète la vérité sur la future offre pétrolière américaine et non pas l´information fabulée des médias financiers.Et comme preuve à l’appui voici quelques cotations datées du vendredi 17 mai 2013. Le prix des contrats à terme du baril du WTI du mois de juin 2020 se négocie à 82,32 dollars et le prix des contrats à terme du baril du WTI du mois de juin 2013 se négocie à 96,14 dollars, comme vous pouvez le constater le prix du baril du contrat à terme de 2020 se négocie avec une décote de presque 14 dollars et c’est justement cette décote de 14 dollars qui est conséquente d’un futur surplus de l’offre américaine. Le contrat à terme du baril de 2020 se trouve sur une position appelée, dans le langage du trading des matières premières, Backwardation. L’effondrement insinué en crash des cours du prix du pétrole prévu par les cadres de l’AIE dans les horizons des années 2020 ne pourra pas se produire pour la simple raison que le marché pétrolier d’aujourd´hui a déjà fixé le prix du baril du WTI de 2020.Cependant il y a un fait important qu’il faut le mentionner, c’est que si d´ici l´année 2020 il y aurait de nouveaux événements imprévus (je précise bien imprévus) générant de nouvelles informations sur le marché pétrolier, ces nouvelles informations intégrées de nouveau modifieront le cours du prix du baril, soit à la hausse ou à la baisse, suivant la nature des événements.

4 – L’analyse fondamentale des experts de l’AIE : l’analyse fondamentale sert à examiner les fondamentaux du marché pétrolier et qui sont, l’offre, la demande, les réserves, la consommation, les conjonctures économiques, etc. Très populaire dans les années 1960 et 70, hélas, cette analyse vient de perdre sa pertinence au cours de ces dernières années et cela pour plusieurs raisons. J’en cite quelques unes. Le marché pétrolier international d’aujourd´hui n’est plus entre les mains des pétroliers mais il est sous la domination des financiers (banques d’affaires, les fonds des matières premières, les hedge fonds…). Dans les milieux financiers internationaux de ces cinq dernières années, le pétrole était considéré plus comme un actif financier qu’une matière première. Le baril papier (les contrats à terme et les contrats des options qui se clôturent avant la date d’échéance c’est-à-dire sans livraison physique) est le plus négocié, la différence entre les volumes des échanges du baril papier et du baril liquide est très grande. En 2011, les volumes d’échange du baril papier étaient 28 fois plus grands que ceux du baril liquide ou physique. Force est de constater : on pourra dire aussi qu’aujourd´hui, ce n’est plus l’Arabie Saoudite, ni l’OPEP, ni le président iranien Ahmadinajed, ni les présidents Poutine ou Obama qui décident du prix du baril, mais ce sont bel et bien les acteurs du marché pétrolier. L’indice de la volatilité est devenu une composante du prix du baril. La hausse du prix du baril n’est plus une source d’inquiétude pour l’économie américaine et elle ne représente presque aucune menace directe sur l’inflation aux USA (un prix de baril avoisinant les 100 dollars avec un taux d´inflation de 2%). À titre explicatif, je cite un exemple pour montrer les limites de l’approche fondamentale. Le 15 février 2008, le prix du baril du WTI amÉricain se négociait à 86 dollars, le 11 juillet 2008, il avait atteint les 147 dollars et le 5 décembre de la même année il s’est retrouvé à 34 dollars le baril. Mais pendant tout ce périple, c’est-à-dire l’année 2008, la demande et l’offre mondiales du pétrole n’ont pas connu un grand changement. Alors, on peut se demander donc où sont passés les fondamentaux ? Les honorables experts de la prestigieuse Agence internationale de l’énergie utilisent toujours l’analyse fondamentale comme instrument d’analyse et de prévisions.

Imminence d’une reprise économique

5 – Le double langage des analystes de l´AIE : dans leurs analyses pétrolières, les experts de l’AIE ont toujours mis l’accent sur l’état des conjonctures économiques des grandes nations industrielles, obéissant au raisonnement classique qui explique qu’une crise économique engendre une baisse de la demande pétrolière et une relance économique est toujours liée à une augmentation de la demande pétrolière. Si on se réfère aux principes de ce raisonnement, nous serons en face d’un paradoxe : d’une part, nos amis experts prévoient un effondrement des cours du brut dans un futur proche ; mais d´autre part, nous sommes sur le chemin d’une reprise économique mondiale et c’est l´indicateur boursier qui nous le prouve. Le boom boursier de ces derniers mois est annonciateur de l’imminence d’une reprise économique à l´échelle mondiale (il ne faut pas oublier que la Bourse est toujours en avance sur l’économie d’un intervalle de temps de 6 mois à une année). Alors pourquoi cette contradiction de la part de nos amis de l’AIE ?

6 – Les vérités sur le marché du gaz aux États-Unis : sans entrer trop dans les détails, on se contente de faire un commentaire sur le rapport de l’AIE qui mentionne une partie réservée au gaz des schiste aux USA. Les cadres de l’AIE partagent les mêmes opinions que les médias financiers américains, ces derniers ont fait couler beaucoup d’encre sur cette affaire des découvertes des gaz de schiste et dans un style du langage du marketing. Ils ont réussi á faire toute une littérature sur l´abondance du gaz naturel en Amérique et ils ont aussi misé sur une éternelle baisse du prix du gaz naturel aux USA et prévoyant aussi que les Yankees vont se doter des méthaniers géants qu´on a déjà surnommés “pipes lines flottants” pour acheminer le GPL des États-Unis vers le Japon, l’Europe et la Chine et de ce fait, le prix du gaz naturel de ces pays cités entrera dans un cycle de baisse permanente. Mais comme d’habitude, on doit se poser cette question : peut-on croire ce que les médias financiers racontent, pour connaitre la vérité ? Pour répondre à cette question, on doit se rappeler le proverbe française : “Il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints”. Qui décide en fait du prix du gaz aux USA ? Est-ce que ce sont les médias ou bien les acteurs du marché du gaz ? La reponse est claire : ce sont bien les acteurs. Et que pensent ces acteurs sur l’avenir du prix du gaz aux USA ? Et bien vous serez étonnés de savoir que les acteurs du marché du gaz aux USA sont d’un avis diamétralement opposé à celui des médias sur la question du futur prix du gaz.

Les acteurs du marché du gaz américain prévoient une hausse et non pas une baisse du prix du gaz dans l´horizon des années 2020. Comme preuve à l’appui, on constate que les prix des contrats à terme du gaz naturel pour les 10 années à venir se trouvent sur une position très connue dans le trading des matières premières appelées Contango. Le prix du contrat à terme du mois de juin 2013 se négocie aujourd´hui à 4,05 dollars le Mbtu et le prix du contrat à terme du mois de janvier 2022 à 5,98 dollars le Mbtu.

Conclusion : le célèbre économiste américain Robert Schiller auteur d’un best-seller paru en mars 2000 ( l’exubérance irrationnelle ) disait dans son livre que les médias arrivent souvent en retard pour commenter un événement qui a déja fait bouger un marché financier quelconque et ici dans notre texte on retrouve la validité de la parole de cet imminent économiste. Donc l’avènement des gaz de schiste au Etats-Unis n’est plus un événement.

*Analyste boursier auprès de la banque d´affaires suédoise Carnegie