Ce n’est pas parce qu’un chic et nouvel hélicoptère Hermès, orné du ruban aux couleurs de la marque de luxe, a été livré en grande pompe, dimanche 3 mai, à une compagnie aérienne d’Abu Dhabi, que le luxe reprend son envol. Une salve de chiffres démontre au contraire que le secteur s’enfonce dans la crise.
« Nos prévisions dans le secteur mondial du luxe se sont sensiblement dégradées, la baisse devrait atteindre – 5 % à – 10 % sur 2009, avec un premier semestre très difficile », affirme Nicolas Boulanger, directeur du pôle luxe de la société d’études Eurostaf. De 170 milliards d’euros, le marché se rétrécirait à 153 milliards cette année. « Le deuxième semestre 2009 sera moins noir, simplement parce qu’à la fin 2008, le luxe était déjà en crise. » La maroquinerie – produit phare des années 2004-2007 avec 16 % de croissance annuelle – a résisté en 2008. Mais, selon lui, elle devrait connaître une très mauvaise année, entre – 3 % et + 2 % de croissance, en 2009. « Les leaders comme Vuitton, Hermès et Gucci seront plus résistants que Tod’s ou Coach », souligne-t-il.
Le cabinet de conseil en stratégie Bain & Company a aussi revu à la baisse, mi-avril, ses prévisions mondiales, en anticipant une chute de 10 % sur l’année, avec une dégringolade de 20 % au premier semestre 2009. « Les clients de produits de luxe dépensent moins, voyagent moins et sont moins confiants », explique l’étude. L’habillement serait le plus durement touché (- 15 %), suivi par la joaillerie et les montres (- 12 %), tandis que la maroquinerie et les accessoires ne reculeraient que de 10 %. Cosmétiques et parfums résisteraient le mieux à la crise.
Attendre les soldes
« Prix et luxe ne sont désormais plus synonymes », affirme Joëlle de Montgolfier, directrice d’études du pôle européen luxe de Bain & Company. La fin de l’ère « bling-bling » semble sonner : les consommateurs n’hésitent plus à traquer les bonnes affaires ou à attendre les soldes. S’ils restent fidèles à quelques grandes marques, ils privilégient des « articles moins chers ».
Pour Isabelle Ardon, gérante d’un fonds spécialisé dans le luxe chez Société générale Asset Management, le premier semestre 2009 sera d’autant plus difficile qu’il « subit de plein fouet un déstockage massif des grossistes et détaillants, surpris fin 2008 par la baisse rapide de la demande. Ce déstockage pourrait se révéler trop important et entraîner un certain regain des commandes plus tard dans l’année ».
Dans ce contexte, presque aucun groupe ne se risque à des prévisions chiffrées pour l’année. Le leader mondial du luxe, LVMH, a affiché une quasi-stabilité de ses ventes au premier trimestre 2009 (+ 0,4 %) à 4 milliards d’euros, mais en baisse de 7 % à structure et taux de change comparables. Les plus importants pôles d’activité, la distribution sélective (Sephora, DFS), la mode et la maroquinerie, notamment Louis Vuitton – portée par une croissance à deux chiffres -, permettent d’amortir la crise.
En revanche, en raison des phénomènes de déstockage, les activités qui font appel à un intermédiaire pour la vente, comme les vins et spiritueux, les montres et la joaillerie, souffrent cruellement. Le PDG de la manufacture suisse Zénith, Thierry Nataf, est remercié après que les ventes du pôle horloger ont plongé de 41 % au premier trimestre.
Longtemps vache à lait du groupe PPR, Gucci fléchit aussi : ses ventes trimestrielles ont cru de 5 %, mais reculé de 3,4 %, à données comparables. Dans un « environnement toujours aussi difficile », la direction se réjouit de ne pas avoir eu recours à « une baisse des prix » sur ses marques. Tout comme pour LVMH, la Chine constitue pour Gucci un formidable réservoir de croissance. En revanche, Bottega Veneta et Yves Saint Laurent dégringolent.
La crise dans le luxe se décline dans le monde entier : au Japon, le fabricant de cosmétiques Shiseido va mal. Aux Etats-Unis, les profits du joaillier Tiffany se sont effondrés. Le groupe de prêt-à-porter Escada est menacé de faillite en Allemagne et le britannique Burberry licencie 500 salariés… En Italie, la maison de couture Gianfranco Ferré est sous administration judiciaire et le joaillier Bulgari a connu une de ses pires années. Même le bénéfice trimestriel de Prada a chuté de 22 %. La marque a décidé de renforcer ses investissements, pour ouvrir 34 boutiques, notamment en Asie et en Europe.
Le groupe Richemont indiquait fin janvier « faire face aux conditions de marché les plus difficiles depuis sa création ». Au coeur de l’industrie horlogère suisse, dans l’arc jurassien, un millier d’emplois ont déjà été perdus depuis janvier.