La crise politique se prolonge en Tunisie

La crise politique se prolonge en Tunisie

Hammadi Jebali a reporté sine die l’annonce de la composition de son gouvernement qui devait être faite hier. Le Premier ministre tunisien s’était engagé à démissionner s’il ne parvenait pas à former son gouvernement à la date convenue. Curieusement, il justifie ce report par les progrès enregistrés dans les discussions qui reprendront demain avec les partis politiques. Son parti, Ennahda, dont il est le secrétaire général, proteste et manifeste contre son initiative de mettre en place un gouvernement apolitique.

«C’est le dernier discours qu’il fera ». John Wilkes Booth assassine, le 14 avril 1865 à Washington, le seizième président des Etats-Unis, Abraham Lincoln, pour le faire taire et l’empêcher de poursuivre le combat qu’il menait pour l’abolition de l’esclavage et contre la guerre de Sécession. Le film de Steven Spielberg, sorti ces jours-ci sur les écrans du monde entier, retrace les derniers mois de la vie de cet homme devenu un mythe. Premier président républicain à entrer à la Maison, Abraham Lincoln est aussi le premier à être assassiné aux Etats-Unis dans le but de déstabiliser le gouvernement de l’Union. Mais, contrairement aux effets escomptés, les institutions américaines se sont renforcées. Alors que l’assassinat de Chokri Belaïd, chef d’un tout petit parti politique classé à l’extrême gauche, le Mouvement des patriotes démocrates, dont les résultats aux dernières élections à l’Assemblée nationale constituante ont été infinitésimaux (0,69%, 1 siège), provoque le chaos politique en Tunisie et sème la division dans les partis au pouvoir.
Faisant écho aux milliers de manifestants qui accusaient son parti, Ennahda, d’être derrière ce meurtre, le Premier ministre Hammadi Jebali annonce le soir même de l’assassinat, le 6 février dernier, la dissolution de son gouvernement, donnant,  ainsi, avant même qu’une enquête n’ait été ouverte, le sentiment qu’il s’agit d’un crime politique. Il confirme cette thèse dans une interview publiée le 11 février par le journal français « Le Monde », déclarant que « ceux qui ont commis cet assassinat ne sont pas des amateurs. C’est tout un appareil qui est derrière, avec une stratégie.
Il s’agit bien d’un assassinat politique qui dépasse la personne de Chokri Belaïd. Il est la victime, mais la cible, ce n’est pas lui. La cible, c’est la Tunisie tout entière et il faut s’attendre à des résultats très graves». A qui le Premier ministre tunisien qui en a trop dit ou pas assez, détenant, visiblement, des informations dont on ne sait si elles ont été transmises à la justice, fait-il allusion ?
Des journalistes tunisiens convoqués par le juge d’instruction, accusent ouvertement le directeur des services spéciaux, Mahrez Zouari, jugé proche de Rached Ghannouchi, d’être l’instigateur de l’assassinat du chef du Mouvement des patriotes démocrates, ce dont il se défend, implorant ses compatriotes de « ne pas donner crédit à ce qui circule à son sujet » et d’attendre de connaître « les tenants et les aboutissants » de cette affaire.
Le ministre de l’Intérieur Ali Laarayedh, lui-même dans l’œil du cyclone, affirme que son ministère déploie tous les efforts pour révéler la vérité au peuple tunisien, sans évoquer les accusations qui touchent son directeur. L’assassinat de Chokri Belaïd semble avoir ouvert le champ à des règlements de compte et à des tensions entre les deux tendances qui se disputent le pouvoir à l’intérieur du parti Ennahda en proie à la scission.
Hammadi Jebali qui n’avait pas les coudées franches à la tête du gouvernement profite de ce triste événement pour tenter de gagner le bras de fer qui l’oppose depuis plusieurs mois à Rached Ghannouchi et de s’émanciper de son « guide ». Contre la volonté de celui-ci, le Premier ministre persiste à vouloir former un gouvernement apolitique constitué essentiellement de technocrates.
L’annonce de la composition de ce nouveau cabinet qui devait être faite hier, date butoir que s’était donnée le Premier ministre, a été reportée sine die au motif, dit-il, qu’une « évolution et des progrès sur tous les points soulevés […] » sont intervenus.
Raison pour laquelle, justifie Hammadi Jebali, ses partenaires et lui « ont décidé de poursuivre les discussions » demain, expliquant que les délais étaient « importants mais le plus important [à ses yeux] était l’intérêt de la Tunisie […] ». Contestant son initiative et proposant la formation d’un gouvernement mixte constitué de politiques et de technocrates, le parti Ennahda a manifesté, hier, contre son secrétaire général encouragé par des partis de l’opposition qui le soutiennent à résister aux pressions de son propre mouvement.
Brahim Younessi