La crise du tourisme tunisien est loin d’être conjoncturelle selon l’IAEC

La crise du tourisme tunisien est loin d’être conjoncturelle selon l’IAEC

Selon une récente étude de l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE), la crise de l’activité touristique en Tunisie, dont témoigne la baisse de sa contribution à la croissance du PIB, n’est pas une crise conjoncturelle. Elle trouve son origine dans certaines caractéristiques du tourisme tunisien, à dominante balnéaire, mais aussi dans un schéma de développement basé sur l’extension des capacités d’accueil pour faire face à l’incapacité de générer des gains de productivité. Ce schéma explique l’inquiétante aggravation de l’endettement des hôteliers.

Le tourisme tunisien est en crise profonde, constate une étude de l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE) intitulée « Tourisme en Tunisie : constat du secteur, défis et perspectives ». Si l’hôtellerie reste un secteur important de l’économie tunisienne, sa contribution à la croissance est en constant recul : 12% en 1983-1990, 5,1% en 1991-1998 et 4,7% en 1999-2008.



Ces chiffres montrent que cette crise n’est pas conjoncturelle et qu’elle est bien antérieure aux contestations qui ont abouti à la chute du président Ben Ali, le 14 janvier 2011. Si la croissance des arrivées touristiques des années 1960 et 1970 a été soutenue (une moyenne de 29%/an), elle a enregistré 5% en moyenne pour la décennie 1990, à peine un peu plus de 4% de 1999 à 2004, avant de baisser à près de 3% pour la deuxième moitié de la décennie 2000.

Quelle sont les causes de ce ralentissement ? Pour les rédacteurs de l’étude de l’IAEC, il serait dû à « net recul du produit touristique de base du tourisme tunisien constitué par des séjours de moyenne gamme en bord de mer », mais aussi à la « sensibilité de ce produit à la conjoncture extérieure », notamment les attentats du 11 septembre 2001 et l’attentat d’El Ghériba, à Djerba, en 2002 ». Cette sensibilité paraît plus grande que celle d’autres produits dans la région, comme ceux de l’Egypte, par exemple, où « un mois après les attentats de Charm El-Cheikh en 2005, le nombre de visiteurs atteignait 750.000, soit 30% de plus qu’un an auparavant ».

Handicapante prédominance de l’activité balnéaire

D’autres chiffres illustrent la baisse de la compétitivité du tourisme tunisien. Si la Tunisie a doublé le volume d’arrivées touristiques en 1990-2009, l’Egypte et la Turquie les ont, elles, quintuplées, gagnant de nouvelles parts de marché, celles tunisiennes continuant à stagner. La comparaison avec la concurrence est aussi désavantageuse en termes de recettes qui, durant les 30 dernières années, n’ont augmenté que de deux fois et demie alors que celles du Maroc ont augmenté de cinq fois et celles de l’Egypte de neuf.

La lente croissance des recettes touristiques tunisiennes s’expliquerait par la faiblesse « des prix moyens par lit loué » (1 à 5 entre la Tunisie et la Turquie et de 1 à 3 entre la Tunisie et le Maroc). Cette faiblesse, précise l’étude, « découle de l’interaction de plusieurs facteurs structurels ». Parmi ces facteurs, il y a « la prédominance de l’activité balnéaire, qui s’appuie sur une forte saisonnalité et des pratiques de négociation des tarifs étalées sur toute la période de l’année et dominées par les grands tour-opérateurs disposant d’un pouvoir de marché et de négociation puissant ». En outre, la saisonnalité de l’activité touristique oblige recourir à une main-d’œuvre temporaire, ce qui ne favorise ni la qualité ni, surtout, la productivité et, partant, la compétitivité.

Un autre facteur de la croissance lente des recettes du tourisme, selon l’IAEC, est la dépréciation de près de 50% de la monnaie tunisienne ces vingt dernières années, dans un contexte où « les prix négociés avec les grossistes du voyage demeurent libellés en dinars » et que « près de 40% des intrants hôteliers sont importés ».

Aggravation de l’endettement des hôteliers

L’étude de l’IAEC met en cause le schéma de développement de l’hôtellerie basé sur une croissance extensive, c’est-à-dire sur l’augmentation des capacités en lits afin de compenser « l’incapacité de générer des gains de productivité » et économiser sur les coûts de production.

La croissance extensive des capacités d’accueil a eu pour effet un endettement accru : « De 1983 à 2008 l’encours total de la dette a pratiquement explosé, passant de 178 millions de dinars à plus de 3,176 milliards, soit une multiplication par plus de 17. (…) La majorité de cette dette bancaire, soit près de 70%, est constituée de crédits à moyen et long terme contractés pour financer le besoin d’investissement». Plus inquiétant encore, ajoute l’IAEC, « il semblerait que la moitié de cet endettement soit composée de crédits à court terme » destinés à couvrir des dépenses immédiates. Les hôteliers tunisiens voient s’étendre les périodes nécessaires au remboursement de leurs dettes. De 17 mois de chiffre d’affaires en 1983-1990, cette période est passée en 1999-2004 à 33 mois !

La restructuration de l’industrie hôtelière tunisienne apparaît, à la lumière de ce constat, comme une urgente nécessité. Elle devrait avoir deux axes principaux, recommande l’IAEC. Le premier est l’assainissement immédiat de la situation financière du secteur hôtelier. Le second est la transformation de l’activité touristique de façon à ce qu’elle ne soit plus une activité quasi-strictement balnéaire, dont hôtellerie est le cœur (près de 90% de la capacité d’hébergement, contre 5% pour les villages de vacances, 5% pour les hôtels non classés et seulement 0,6% pour les pensions de famille).