La crise de l’APN dure dans le temps et déborde : Les symptômes du délitement du système

La crise de l’APN dure dans le temps et déborde : Les symptômes du délitement du système

Le conflit en cours à l’APN et son prolongement à l’extérieur de l’hémicycle Zighoud-Youcef est symptomatique d’un sérieux déséquilibre dans les fondations du système.

Né de l’initiative du groupe parlementaire du Front de libération nationale (FLN), puis élargi aux députés de la majorité, le processus de destitution du président de l’Assemblée populaire nationale, Saïd Bouhadja, a aussitôt pris les allures d’une crise d’État. L’intervention du ministère des Affaires étrangères, rappelons-le, pour signifier aux diplomates en poste à Alger le report, sinon l’annulation de rendez-vous et séances de travail de groupes parlementaires

d’amitié, programmés à l’Assemblée, en était le prélude. Mais il y a quelques jours encore, personne ne s’attendait à une franche immixtion — assumée publiquement — du Premier ministre Ahmed Ouyahia. Et même si celui-ci a pris le soin de porter la casquette partisane du Rassemblement nationale démocratique (RND), pour demander à Saïd Bouhadja de “se retirer dignement”, il reste que la requête du locataire du Palais de la rue Dr Saâdane engage pleinement le gouvernement.

À vrai dire, le conflit aurait pu s’estomper à l’APN si le président de l’Assemblée avait abdiqué dès le départ à l’injonction du groupe parlementaire du FLN. Mais Saïd Bouhadja, qui avait donné l’impression, dans un premier temps, d’être sur le départ, cherchait à gagner du temps, et a fini par tenir ses adversaires en haleine et leur faire épuiser toutes leurs cartes. Il voulait savoir qui cherchait réellement à “le démissionner”. Il le disait d’ailleurs : “Je ne pense pas que ce soit la présidence de la République, sans quoi, je l’aurais su. On me l’aurait signifié.” Ainsi donc, Saïd Bouhadja cherchait à faire sortir des bois les véritables commanditaires de l’action menée contre lui. Et il a réussi le pari, puisqu’ils ont aussitôt pointé le nez. Le conflit n’est donc plus interne à l’APN, et ses détracteurs en ont fourni l’argument.

Le président de la Chambre basse en a désormais la preuve : “Je suis ciblé par Ouyahia. Ses agissements ont une dimension politique.” En évoquant un “complot”, il jettera un véritable pavé dans la mare, en affirmant publiquement : “L’affaire dépasse ma personne et la question de ma démission. Ils sont en train de créer une situation de vacance politique et constitutionnelle. C’est cela la vérité. D’ailleurs, les déclarations d’Ouyahia concordent avec celles de Bernard Bajolet sur la vacance à la présidence de la République.” Les propos de Saïd Bouhadja peuvent se lire comme une alerte sur l’absence d’un chef capable d’arbitrer ou de trancher la question. Jamais, aussi, un commis de l’État n’a placé le pouvoir dans une position aussi embarrassante.

Le coup de com de Bouhadja et le faux pas d’Ould Abbes

Saïd Bouhadja, qui intriguait déjà par ses déclarations à la presse, entreprendra une autre action, cette fois-ci spectaculaire : en compagnie d’un ancien député RND, il s’offre une balade du côté de l’hotel Es-Safir (ex-Aletti), avant de longer le boulevard Mustapha-Ben Boulaïd et de s’attabler à la terrasse d’un café de la Grande-Poste. Et sans garde rapprochée. Des citoyens, notamment des jeunes, s’approchent de lui pour discuter. Ils font également des selfies avec lui. Les images font le tour des médias et des réseaux sociaux.

S’agissant de l’opinion publique, le coup de com est magnifiquement réussi. Quant à ses détracteurs, c’est un véritable camouflet qu’ils ont essuyé. Le défi leur est d’ailleurs sérieusement lancé : Ahmed Ouyahia ou Djamel Ould Abbes pourront-ils s’offrir le luxe d’une balade sans gardes dans les rues d’Alger ? En tout cas, le SG du FLN n’a pas caché, lui, son offuscation. “S’attabler à la terrasse d’un café populaire, dans les rues d’Alger, ne sied pas à la fonction de troisième personnage de l’État. Un tel comportement n’est pas aussi dans les mœurs du FLN”, déclarait-il à la presse, samedi dernier, à Bouira. Un faux pas de plus de Djamel Ould Abbes qui ne se rendait peut-être pas compte qu’il allait surtout donner l’impression d’un responsable qui méprise “la rue”. Un autre point de gagné pour Saïd Bouhadja qui, lui, a plutôt donné l’image d’un personnage “avenant”.

Risque de débordement

Depuis le début de la crise, fin septembre, Saïd Bouhadja apparaît chaque jour un peu plus serein et récolte des soutiens. Dans le camp adverse, l’agitation est de plus en plus grande. Et elle est largement visible. Ses détracteurs multiplient les faux pas, et impliquent les appareils de l’État. C’est à croire, en effet, que c’est tout l’État qui est entré en guerre avec le président d’une Assemblée élue, mais qui, en fin de compte, du moins pour le moment, ne peut rien contre lui. En dehors de l’aspect légal, Saïd Bouhadja doit aussi être épaulé par quelque partie au pouvoir. Sans quoi, il n’aurait pas tenu bon, affirment les observateurs. Il a l’air également d’être bien conseillé.

Ce conflit semble trahir un affrontement entre deux centres de décision. Et si les choses en sont arrivées là, c’est que le système n’arrive plus à gérer ses contradictions et à transcender ses clivages sans faire trop de vagues. La fin d’un règne ? C’est la grande question.

Mehdi Mehenni