La crise de carburant perdure depuis 12 mois à Tamanrasset, Nonchalance de Naftal et diktat des contrebandiers

La crise de carburant perdure depuis 12 mois à Tamanrasset,  Nonchalance de Naftal et diktat des contrebandiers
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Le pire des scénarios est sans doute possible avec la crise de carburant qui prévaut à Tamanrasset, dont le développement est en mode off depuis bientôt 12 mois.

“On m’a appelé pour une urgence médicale, je n’ai pas pu y’aller car j’étais coincé dans la station-service entre plusieurs véhicules faisant la chaîne qui n’a ni queue ni tête pour s’approvisionner en carburant”. Elias Akhamokh, chef de service infectiologie à l’hôpital de Tamanrasset,  a dû communiquer ses instructions par téléphone pour prendre en charge le malade qui présentait une infection opportuniste sur le VIH (virus de l’immunodéficience humaine). En raison de cette crise qui n’a pas de nom, plusieurs chantiers sont, par ailleurs, à l’arrêt et d’autres ouvrages à la traîne. Depuis octobre 2014, les stations-service sont quotidiennement prises d’assaut. Les automobilistes, contraints de passer des nuits blanches dans ces points de vente pour quelques litres de carburant, ont en vraiment ras-le-bol de cette situation qui a trop duré.

“C’est un véritable calvaire. Un traumatisme. Dès que l’aiguille du compteur descend au-dessous de la moitié, le stress et l’angoisse des interminables files d’attente commencent. Personnellement, j’ai toujours voulu rencontrer le wali pour lui exposer le problème auquel sont confrontés les médecins spécialistes de la wilaya. Vous imaginez qu’un chirurgien a dû se présenter en tenue de bloc à la pompe d’essence pour remplir un jerrican de fuel lui permettant de rejoindre son lieu de travail ! C’est grave”, se lamente M. Akhamouk. La colère gronde sérieusement face à la pénurie que Naftal dément chaque fois par des chiffres qui n’ont aucun rapport avec la réalité ou encore avec sa stratégie de distribution, qui est plus favorable aux contrebandiers. Pour preuve, depuis les huit premiers mois de l’année en cours, plus de 30 0000 litres de carburant destinés à la contrebande ont été récupérés par les déférents corps de sécurité à Tamanrasset, apprend-on d’une source sécuritaire. Rappelons qu’une importante opération menée le 7 août dernier par la gendarmerie, dans cette wilaya où se côtoient 50 nationalités, s’est soldée par la saisie de 141 540 litres à bord d’un camion de gros tonnage qui roulait à destination du Mali.

100 DA le litre, prix d’ami !

La situation n’est pas nouvelle pour Saâd Lounès. Lassé des longues processions de véhicules et des désagréments qui en découlent, il a carrément fini par bouder les pompes à essence. “Cela fait plus d’un an que je ne suis pas entré à la station. J’achète le carburant en 2e main. Je débourse 2 000 DA pour avoir un bidon de 20 l, soit 100 DA le litre. Encore, c’est un prix d’ami !”, a-t-il dit avant de nous faire part de sa longue mésaventure avec les autorités locales. “Le manque de carburant dans cette municipalité s’est déjà posé en 2002. J’avais dès lors pensé à investir dans la création d’une station à l’entrée de la ville. En 2003, j’avais obtenu mon agrément. Mais le wali d’alors et les notables de la région s’étaient opposés pour que je renonce à cet investissement. Le permis de construire de l’infrastructure a été rejeté huit fois pour un motif sans consistance. J’ai fini par tout abandonner”.

Il n’est pas le seul à être victime des brimades administratives puisque 40 autres investisseurs, a-t-il confirmé, ont subi le même sort juste parce qu’ils ont opté pour la réalisation de stations de carburant. “La croissance de la ville a explosé depuis et il n’y a pas assez de pompes pour satisfaire le parc automobile de véhicules de la wilaya”, regrette-t-il.

Gangrène de corruption !

Les retombées de la crise sont fâcheuses, s’alarme Cherif Limam qui préfère, quant à lui,  débourser 2 500 DA pour 35 litres d’essence que de faire une queue souvent émaillée de violentes altercations et de rixes. En tout cas, les témoignages ne manquent pas au sujet de cette situation qui en dit long sur “la gestion d’un secteur gangrené par la corruption”, a-t-il maugréé. Le constat est facile à vérifier. Il suffit d’aller à la station-service de Tahaggart, au centre-ville. La présence policière n’a pas dissuadé les pompistes de s’adonner à une spéculation effrénée autour du prix de carburant. Les lois et les instructions administratives ne sont qu’une formalité. Toutes les manœuvres sont permises pour éviter les longues files d’automobilistes. Les fûts, pourtant interdits, sont remplis à triple tarif. “Cependant, si tu oses parler, tu risques un traitement désobligeant”, lâche un usager avec dépit. Pendant que nous réalisions ce reportage, une dame quadragénaire qui en a visiblement gros sur le cœur, a lâché sa colère. Elle s’en est prise aux pompistes et a égrené un chapelet d’injures à l’encontre des policiers en place. Ce n’est qu’un épisode d’un feuilleton sans fin. La même réaction a, faut-il le signaler, été enregistrée à In Guezzam, où le phénomène de la contrebande alimente l’actualité sur les réseaux sociaux. Il s’agit là d’une bataille livrée par certains animateurs de pages facebook qui ont distillé de graves informations incriminant deux propriétaires de stations-service, dont un sénateur. Ces informations font état de la cession d’un fût de 200 l d’essence à 35 000 DA alors qu’il est normalement vendu à 4 224 DA. Pour la même quantité en gasoil, on paye 15 000 DA au lieu de 2 740 DA. La différence gagnée donne ainsi une idée de l’importance de ce filon juteux qui aiguise les appétits. Cependant, “à qui parler, quand on ne veut pas comprendre ?”, souffle Chérif. Insensibles face à ces employés qui manquent leur travail pour rester cloués pendant des heures à la station de carburant, ou encore à ceux qui s’offrent des jerricans de 20 litres à  5 000 DA pour fuir la morosité et partir en vacances, les autorités adoptant la politique de l’autruche et affichent  un laxisme absolu. Côté Naftal, le discours se veut rassurant. Dans une mise au point adressée à Liberté en juillet dernier, l’entreprise a assuré que “les moyens humains et matériels sont mobilisés en permanence pour répondre favorablement à la demande nationale croissante aussi bien en GPL qu’en carburants à travers tout le territoire national”. En effet, des convois importants sont acheminés vers la wilaya de Tamanrasset en provenance des deux raffineries de Skikda et d’Adrar. Reste à savoir maintenant à qui profite ce carburant puisque les pompes à essence de la capitale de l’Ahaggar affichent souvent une panne sèche ?

Mauvaise gestion

Le chef d’une station-service privée évoque le problème de mauvaise gestion. Ces propos ont été appuyés par un responsable de la wilaya qui, de son côté, a pointé du doigt le chef du centre de carburants à Tamanrasset. Celui-ci serait, accuse-t-il, derrière la crise en raison de “ses pratiques bureaucratiques et son incompétence. Certains entrepreneurs vont jusqu’à solliciter le wali pour bénéficier d’une autorisation exceptionnelle leur permettant de se ravitailler en carburant pour maintenir la cadence des travaux des grands projets. L’obstination de ce  responsable nous cause beaucoup de problèmes”. Même son de cloche à la pompe Tahaggart où l’on a dénoncé les agissements de certains gestionnaires locaux de Naftal qui seraient pour beaucoup dans cette situation problématique. Plus explicite, notre source fera savoir que “des quantités importantes de carburant sont acheminées vers la localité d’In Guezzam, où la contrebande bat son plein, pendant que les stations-service du chef-lieu de wilaya sont alimentées au compte-gouttes. Ce qui a ouvert grandes les portes aux spéculateurs qui font fortune sur le dos des automobilistes”.

Naftal ou le défaut de communication

Pour de plus amples informations, nous nous sommes rapprochés du chef de district carburant à Tamanrasset, Sebgag Mohamed, mais il a refusé de faire des déclarations. Toutefois, le directeur de l’énergie et des mines de la wilaya, Ali Nasri s’est, lui, rendu disponible. Il a expliqué que les points de vente sont insuffisants et ne couvrent plus les besoins de la collectivité compte-tenu de l’importance de son parc automobiles qui dépasse 21 000 véhicules.

Le chef-lieu de wilaya dispose uniquement de trois stations-service, dont deux sont implantées à la sortie de la zone urbaine. “La crise connaîtra un dénouement avec la mise en service de la nouvelle pompe dont la livraison est prévue pour la fin de l’année. Une autre station sera aussi réalisée sur la route menant vers In Guezzam”, a-t-il assuré. C’est dire que la fin de la crise n’est pas pour demain et que les automobilistes doivent encore prendre leur mal en patience. Pis encore, leur calvaire risque de perdurer sachant que la raffinerie d’Adrar est de nouveau en panne. Une nouvelle qui en a chagriné plus d’un, notamment notre médecin spécialiste, Elias Akhamouk, qui a, maintes fois, abandonné son véhicule à sec.