La crise au Mali : serait-ce le retour du colonial ?

La crise au Mali : serait-ce le retour du colonial ?

« Le vrai politique, c’est celui qui sait garder son idéal tout en perdant ses illusions ». John Kennedy, président américain (1917-1963)

Si Hollande croit en finir avec les djihadistes en quelques semaines, il se trompe.

Cet article aurait dû avoir pour titre la bérézina française ou la cacophonie algérienne. Cependant, une fois la lecture du dernier événement-choc ayant secoué l’Algérie est faite, sa dimension a presque changé d’épure et de contours. A dire vrai, si François Hollande croit résoudre la crise du Mali en une semaine, on serait en droit de dire à priori qu’il se trompe lourdement et s’il compte s’y installer à terme, le conflit subsaharien va certainement prendre de la durée et on pourrait bien alors affirmer sans crainte d’être contredits que cela serait une bérézina française. Cela est d’autant plus probable que ce conflit de basse intensité ou cette guerre «asymétrique» (État contre groupuscules djihadistes éparpillés) comme diraient certains spécialistes risquerait bien d’embraser toute la région. Une question s’impose alors : la France qui sort symboliquement affaiblie de son aventure en Somalie face aux djihadistes de shebab serait-elle prête à «un remake» de l’échec ou s’appuierait-elle dans un avenir proche sur l’expérience de «l’oncle Sam» qui a cru décimer les talibans et Ben Laden en un an et puis s’est embourbé dans les contreforts de Tora Bora pendant toute une décennie ? En effet, depuis le coup d’État militaire de 22 mars 2012 d’Amadou Sango ayant servi d’alibi et de prélude à la conquête par AQMI et ses filières des deux tiers nord du Mali dont les nouveaux putschistes se réclament les uniques libérateurs, la tension au Sahel ne cesse de s’accélérer à un rythme effréné. Pour cause, le décentrage géostratégique subtil et tactique des islamistes d’Al-Qaïda au Maghreb en 2007 a coïncidé avec le retour de l’Algérie sur la scène internationale et l’éclipse de l’Égypte en tant que puissance régionale dont le poids politique sur l’échelle internationale a nettement diminué pendant les dernières années du règne du Moubarak et lors du chaos post-révolutionnaire qui s’en est suivi.

Les Américains, les Français et l’ensemble des puissances occidentales s’en sont rendu compte. C’est pourquoi, ils misent fort sur l’Algérie comme «puissance pivotale» dans cette nouvelle distribution des rôles. Mais pourquoi exactement l’Algérie? Tout d’abord, du point de vue géographique, celle-ci est le cœur palpitant de 7 pays limitrophes (le Mali, le Niger, le Maroc, la Maurétanie, le Polisario, la Tunisie et la Libye) ; c’est-à-dire qu’elle est en termes anodins l’espace-tampon entre la Méditerranée et le Sahel. Militairement puissante, elle est à même de freiner et de coordonner le cas échéant les flux des migrants clandestins provenant du Sahel (l’Afrique noire). Deuxième point et non des moindres, pays économiquement assez émergent dont la rente énergétique est un atout aux mains de la nomenclature dirigeante, l’Algérie en profite pour s’imposer dans ses négociations avec les pays du nord (elle est le principal fournisseur d’Europe en gaz). Sur un autre aspect, l’expérience de la lutte antiterroriste acquise au prix d’une décennie de guerre civile atroce (1992-2000) lui a conféré le statut d’État autoritaire «instrumental» dans le cadre de ce que l’on a appelle communément «le processus de normalisation autoritaire» auquel se livrent les occidentaux sur l’échiquier régional et un rôle de premier plan dans le monde de l’après 11 septembre 2001.

Tous ces facteurs ajoutés à la coopération économique englobant les multinationales implantées dans le grand Sud ainsi que le funeste projet à visée néocoloniale de la «Françalgérie» rend inévitablement notre pays une proie facile d’enjeux géostratégiques globaux. Ce à quoi, rappelons-le bien ici, même une transition démocratique sérieuse ne pourrait malheureusement échapper à moins qu’il y ait un véritable «tsunami révolutionnaire» que sous-tend une refondation structurelle et de la société politique et de la société civile. Autrement dit, l’Algérie est une plaque tournante, un enjeu et une zone d’influence au Maghreb et en Afrique du Nord dont les occidentaux ne seraient pas prêts à lâcher du lest. Par ailleurs, sur le plan international, il y a lieu de signaler en effet que parmi les 60 engagements sur la base desquels François Hollande a été élu président à l’Élysée, on remarque bien la promesse d’abroger «la Françafrique» ; cette politique de dérives et de malversations politiciennes entre le gouvernement de l’ancienne puissance coloniale (la France s’entend) et les pays décolonisés (centre-périphérie). Ce que le président français aurait d’ailleurs confirmé dans sa déclaration à Dakar lors de son dernier voyage en mois d’octobre «le temps de la Françafrique est révolu» lâche-t-il catégorique. En effet, le chercheur américain Herman Lebovics parle à ce propos dans son ouvrage «Bringing back empire» de culture coloniale, c’est-à-dire, d’une certaine idéologie hégémonique propagée par l’Occident colonisateur afin de mieux écraser les «petits» États. C’est également l’idée d’un idéal colonial qui fait brusquement fureur au moment de crises majeures sous la forme d’une contre-offensive politique facilitant le retour de l’Empire (retour du refoulé colonialiste).

Ce phénomène de culture coloniale est à titre d’exemple typique sous la France de la V République et sous le Royaume britannique vers les pays du Commonwealth. Ainsi Lebovics parle-t-il pour étayer ses dires de «la corruption des démocraties» occidentales. C’est malheureux ! Car, à bien y regarder, l’anti-colonialisme post-colonial n’a pas été suivi d’un mouvement de structuration sociale dès lors qu’il s’est confiné à la fortification d’États répressifs, autoritaires et anti-démocratiques. Le déséquilibre étant là présent. L’omerta observé par le régime algérien durant ce feuilleton d’horreur au sud et le manque flagrant de communication ayant plongé le citoyen lambda dans le désarroi total font écho en parallèle à ces réactions mitigées, inconstantes et au mépris cynique des capitales occidentales (Washington et Londres notamment) qui, au départ ont émis des soupçons sur les circonstances du déroulement de l’assaut militaire expéditif, non réfléchi et non négocié à ce qu’il paraît à leurs yeux. D’aucuns, au nom d’une certaine puissance planétaire, sont allés loin en s’immisçant des détails de l’assaut, de l’ordre et du contre-ordre puis ont fini par suggérer à l’Algérie la coopération et l’entraide. Qu’il soit clair, la vie d’un otage étranger vaut autant que celle de son collègue algérien. Cette théorie occidentale jouant sur le registre préférentiel des vies humaines n’a pas lieu d’être. De même l’ingérence des européens dans un domaine qui n’est pas, strictement parlant, de leur ressort est une grave atteinte à la souveraineté de l’Algérie. L’armée algérienne est une institution indépendante et c’est à elle seule de gérer la crise sur le terrain et qu’apparient la décision relative au sort des otages dans la droite ligne de la défense de vies humaines en danger que garantit la législation internationale en vigueur.

Sur une autre perspective, il est digne de rappeler qu’avec cette intervention au Mali force nous est de constater que le président Hollande n’a fait qu’aller sur le sillage de son prédécesseur Sarkozy qui aurait déclaré la guerre contre El-Gueddafi. Néanmoins, il y a un vice de forme dans la démarche de Hollande qui a, par précipitation sans doute, déclaré la guerre à des groupuscules islamistes éparpillés (Ansar-eddine, Mujao et AQMI) et non à des milices constituées en tant qu’État reconnu (la Libye d’El-Gueddafi), ce qui donne plus de poids symbolique à Al-Qaïda et à sa filiale terroriste AQMI qui vont sans doute se nationaliser après s’être auparavant internationalisées. En plus, la campagne de Sarkozy contre El Gueddafi a été soutenue matériellement et logistiquement par l’OTAN alors que Hollande est allé en chef de guerre solitaire prêcher «la souveraineté» et «l’unité» du Mali sans qu’il fût sûr de l’appui logistique de ses alliés traditionnels (États Unis, Angleterre, et l’OTAN). Certes, Hollande bénéficie du consentement de la Cédéao (communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest) mais cela reste insuffisant sur le terrain car ce sont généralement des pays pauvres sans assise militaire forte. En conséquence, à défaut d’alliés circonstanciels, la France s’est vu contrainte de compter sur le voisin de Mali, en l’occurrence l’Algérie. Pressée de toutes parts, celle-ci a cédé en lui octroyant l’autorisation de survoler son espace aérien. Une première dans les annales politiques algériennes! Le dernier voyage du président français a sans l’ombre d’un doute été exploité à cet effet. En vérité, une telle décision aurait dû être discutée longuement au préalable et l’élite du pays devait y être associée. Dans le pire des cas, un président de la république sous d’autres cieux, en tant que garant de la souveraineté et des intérêts de la collectivité nationale prononcerait un discours solennel à la nation où il expliquerait les enjeux, les intentions et surtout le mobile de son acte au peuple. S’impliquer ou s’engager directement ou indirectement dans une guerre régionale quelconque, aussi futile soit-elle, sans se référer à l’autorité populaire est une grave erreur de calcul politique. Dans la foulée, la menace terroriste qui pèse depuis toujours sur l’Algérie, bien que présente en force par le passé, y a trouvé un subterfuge supplémentaire. Probablement, la dernière prise d’otages digne des polars américains à In Amenas en est une émanation directe. Outre les retombées financières désastreuses sur l’exploitation et l’exportation des hydrocarbures, il y a toute l’image de l’Algérie qui sera remise en cause (tourisme, degré de sécurité, attraction d’investissements étrangers) vu qu’elle sera replacée et recadrée dans la case «des pays à risques». Un autre point important aussi: en dépit de l’héroïque assaut des unités de l’armée nationale populaire (A.N.P), un vrai exploit à vrai dire et les explications données par le premier ministre Abdelmalek Sellal, des zones d’ombres sur les tenants et aboutissants de cette affaire demeurent encore persistantes.

Hélas, le black-out est devenu chez nous à force du temps et au grand dam de la plèbe, une seconde coutume sacralisée après la corruption. Aux grandes heures du doute et de l’incertitude, nos responsables font profil bas, les arcanes du pouvoir déjà sombres se transforment subitement en bunkers hermétiques et en coulisses infranchissables. Dans ce climat propice aux rumeurs et à la propagande de tout acabit (maladie réelle ou supposée du président, lutte de clans, scandales financiers..etc) les médias lourds s’accrochent à diffuser l’accessoire et le folklorique au détriment de l’information essentielle qui touche le vif des préoccupations du citoyen. Ce dernier, via les tubes cathodiques (paraboles) cherche ailleurs ce qu’il aurait pu trouver chez lui. C’est une évidence, notre pays, à défaut de compétitivité médiatique et surtout en raison de l’inefficacité du circuit officiel de communication se donne corps et âme aux flots d’informations manipulées provenant de l’extra-muros. Quant à l’analyse du «pourquoi» de ce qui s’est passé à In Amenas, il est utile de rappeler en ce point qu’au Sud algérien, le retrait de l’armée de la sécurisation des sites pétroliers depuis quelques années a crée une véritable zizanie. Les sociétés de gardiennage privées ne sont pas, me semble-t-il, à même de garantir une meilleure performance de protection. Il paraît bien clair que la réalité sociologique du pays échappe là encore aux hautes sphères dirigeantes sinon comment explique-t-on et en cela mon interrogation d’évidence légitime rejoint à coup sûr celle de la majorité de mes compatriotes, une attaque aussi planifiée qu’orchestrée sur l’un des sites pétroliers les mieux sécurisés du pays? Et puis pourquoi ce genre d’attaque n’a pas eu lieu durant la décennie noire par exemple, période où la déliquescence de l’État algérien a atteint son point le plus paroxystique sachant au passage que c’est au sud qu’a commencé la première attaque terroriste (le massacre de la caserne de Guemar en 1991 et qu’un attentat monstrueux a visé l’un des terminals de l’aéroport international d’Alger en 1992. Y-a-t-il vraiment un relâchement de la part des services de sécurité, une fuite d’informations, un complot ?

Il est judicieux de conclure en disant que l’Algérie d’aujourd’hui qui compte une population de plus de 35 millions d’habitants dont les trois quarts sont des jeunes de moins de 30 ans a besoin de se regarder dans le miroir et de se connaître. En plus de cette jeunesse aussi prometteuse que résistante, il y a aussi des femmes combatives face au machisme et les séquelles de la famille patriarcale, nos pères et mères qui sont notre unique fierté parce qu’ils nous ont libéré des affres de l’obscurantisme colonial, il y a aussi, ne l’oublions jamais, la mémoire de nos martyrs qui nous ont offert le plus valeureux d’eux-mêmes «leur vie». Cette Algérie-là certes enfantée dans la douleur mais debout comme un seul homme a plus que jamais besoin qu’on lui rende des comptes tous sans exception aucune. Cette Algérie-là manque de consensus national sur la base du dialogue, de la transparence et surtout de la crédibilité, ce qui fait souffrir ses femmes et ses hommes qui en sont épris. C’est pourquoi, le temps du maquillage des réalités et du badigeonnage des mensonges est révolu. Bien entendu, pour qu’un pays se construise sur de bonnes assises, il n’a qu’à compter sur lui-même. Ce que l’Algérie a fait par le passé et c’est ce qu’elle attend que nous fassions, nous tous aujurd’hui.

Kamal Guerroua, universitaire