La coupe du monde, ramadhan et le citoyen : Ya marhaba! ya marhaba!

La coupe du monde, ramadhan et le citoyen : Ya marhaba! ya marhaba!
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«C’est la loi de l’offre et de la demande qui détermine le prix, ce n’est pas le ministère du Commerce.»

Depuis quelque temps, les responsables algériens sont occupés et même très occupés. Comment ne le seraient-ils pas alors qu’à l’élection présidentielle ont vite succédé les matchs de la phase finale de la Coupe du monde ainsi que le début des vacances d’été.



Tous les ingrédients sont donc réunis pour que, l’esprit ailleurs, ces responsables oublient de regarder le quotidien de leurs concitoyens qui se querellent avec la vie, juste là, devant eux. Mais la réalité ne disparaît pas seulement parce qu’on a fermé les yeux et les difficultés quotidiennes ne s’effacent pas sous prétexte qu’on ne les regarde plus.

Les prix ont donc continué à grimper comme de coutume et la difficulté de la vie a continué à danser sur le boulevard de la République. Le poulet, dit-on, lève la tête au-dessus de 320 DA le kilo, la tomate chante à 80 DA et la viande rouge a disparu au-delà des 1200 DA. Ayant accidentellement appris, entre deux rencontres de football, ces augmentations inquiétantes des prix, nos responsables ne se sont même pas demandé pourquoi.

LG Algérie

Ils ont tout de suite rappelé (et nous ont du coup rappelé) que le mois de Ramadhan est à notre porte. Première loi avec laquelle fonctionnent nos responsables: lorsque les prix des denrées alimentaires augmentent fortement, Ramadhan est proche. Et, pour faire oublier aux plus démunis leur peine, ils se mettent à chanter, la main sur la poitrine: Ramadhan est à notre porte, ya marhaba! Ya marhaba!

Ramadhan est à notre porte

«Pas d’inquiétude, se mettent-ils alors à hurler dans les porte-voix de la République. Nous allons tout faire pour inonder le marché. Nous allons dépêcher des milliers de contrôleurs sur le terrain.

Nous allons être très sévères avec les fraudeurs, les spéculateurs et autres mauvais citoyens qui, sans gêne, profitent de la piété des autres et se nourrissent de leur misère».

Une chanson que, à force de l’avoir entendue, les Algériens reprennent en choeur avec leurs responsables.

La deuxième loi selon laquelle on fonctionne ici c’est que lorsqu’il y a problème, il faut chanter. Mais, malheureusement, les chansons ne donnent pas à manger et l’on n’a jamais entendu dire qu’une chanson ait pu, un jour, diminuer les prix sur un marché. Nos responsables savent que l’air est usé mais, à défaut d’autre chose, ils nous le balancent tout de même en reprenant bien fort ces paroles: Ramadhan est à nos portes, ya marhaba! Ya marhaba! avant de retourner voir la rencontre suivante de la Coupe du monde brésilienne.

La Coupe du monde brésilienne

Une fois le match terminé, ils se rappellent vaguement qu’ils nous parlaient de Ramadhan et, sans hésiter, ils reprennent la discussion qu’ils n’avaient pas eue: «Il est temps de vous le dire franchement. Il ne faut pas trop compter sur nous. C’est la loi de l’offre et de la demande qui détermine le prix, ce n’est pas le ministère du Commerce.» Mais les pauvres, les misérables et les autres aussi, ne comprennent pas que l’Etat ne puisse venir à leur secours alors qu’il y a deux mois, à peine, tout le monde promettait le paradis sur terre, le développement économique, la belle vie, le progrès, l’argent plein les poches et la bouffe à volonté.

Alors, prenant l’air satisfait de faux savants qui viennent de recréer la roue, les responsables de chez nous poursuivent: «C’est une loi et nul n’est au-dessus des lois. Pas même l’Etat.» (?!). Et, afin de faire oublier au peuple sa peine, ils se mettent à chanter à haute voix: Ramadhan est à notre porte, ya marhaba! Ya marhaba! Dès que quelques citoyens se mettent à chanter, ils courent se blottir dans leur fauteuil et allument un cigare dans l’attente de la rencontre suivante à Maracana, tout fiers d’avoir invoqué la troisième loi, celle de l’offre et de la demande.

Loi de l’offre et de la demande

A la mi-temps, un café à la main, ils se penchent pour voir d’où viennent les plaintes et les cris de détresse puis, après avoir aspiré une longue bouffée de leur cigare parfumé, ils déclarent solennellement que si, malgré les quantités injectées dans le marché, malgré les milliers de contrôleurs envoyés sur le terrain et malgré tous les efforts de l’Etat, l’augmentation des prix persiste, c’est parce que la demande est trop forte.

«Oui, messieurs, poursuivent-ils dans un nouveau discours qu’ils tiennent dessus leur nuage, vous mangez trop! Essayez donc de manger un peu moins, la première semaine, et vous feriez baisser sensiblement les prix car il est temps que vous sachiez que le ministère du Commerce ne peut rien faire face à l’augmentation des prix. Nous n’avons pas une baguette magique pour arrêter les prix. C’est une loi économique.» Puis, entendant le coup de sifflet de l’arbitre, ils courent regarder la seconde mi-temps en chantant très haut: Ramadhan est à notre porte, ya marhaba! Ya marhaba! Les gens de la rue, les mères de familles, les retraités, les smicards et tout ce beau monde oublié par une Algérie extrêmement riche ne comprennent pas pourquoi ils sont abandonnés sur le trottoir de la vie à un moment où l’argent prend les airs. En fait, cet état des choses est dû à plusieurs causes.

D’abord, nos responsables sont amnésiques. Ils oublient chaque fois qu’il y a Ramadhan et ne s’en souviennent que lorsqu’il est là. Alors ils se mettent à l’exercice du mensonge et de l’incompétence.

Ensuite, lorsqu’ils se rappellent de Ramadhan, ils veulent en faire un mois exceptionnel et ils ont réussi à inculquer cette idée dans l’esprit des gens, mais Ramadhan n’est pas un mois exceptionnel comme ils veulent le faire croire. C’est, comme partout ailleurs, une période qui connaît une augmentation de la consommation, une sorte de «haute saison» dans la demande et ce phénomène a ses remèdes qu’il n’est nullement nécessaire de sortir de Harvard pour les connaître. Par ailleurs, nos gouvernants, et parce qu’ils ont développé la culture de la solution temporaire, ne trouvent plus intéressant de réfléchir sérieusement aux problèmes.

«Résolvons pour aujourd’hui, semblent-ils dire, on verra pour demain» et, ainsi, ils ne donnent jamais une solution réelle à aucun problème du pays. Ceci ne fait qu’amplifier les dégâts bien sûr car les problèmes prennent racine durablement. Ensuite, lorsqu’ils décident de faire quelque chose, ils le font mal et, surtout, ils le font là où il ne faut pas. Ce ne sont pas les revendeurs ou les marchands de détails qui sont la cause des augmentations incroyables des prix, tout le monde le sait. Alors pourquoi les en accuser? Il y a chez nous une véritable mafia qui tire les ficelles allongée à l’ombre de l’impuissance de l’Etat.

L’importation, le gros, la distribution… Or, là, l’Etat ne s’aventure pas. Vouloir résoudre un problème en s’attaquant à ses conséquences est la pire des erreurs, surtout à ce niveau de responsabilité. Courir après les prix et les revendeurs c’est comme vouloir guérir un cancer un thermomètre à la main. C’est, à ne pas douter, une aberration que seuls les nôtres sont capables de faire. En plus, il est intéressant de noter que nos responsables n’ont pas la capacité de prendre leurs responsabilités. Ils trouvent toujours quelqu’un ou quelque chose sur qui (ou sur quoi) jeter la responsabilité.

Ce sont les marchands qui font leur loi, disent les uns, ce sont les consommateurs qui mangent beaucoup disent les autres. Encore un peu et l’on nous dira que nous devons cesser de jeûner. En attendant, ils suivent avec la plus grande attention la Coupe du monde de football en fredonnant avec satisfaction «Ramadhan est à notre porte, ya marhaba! Ya marhaba!».