La CNAN endettée de 12 millions d’euros

La CNAN endettée de 12 millions d’euros

Après six missions de l’IGF infructueuses, de nouveaux inspecteurs ont été dépêchés pour passer au peigne fin la gestion du groupe Cnan et ses filiales.

A peine deux mois après son installation, le PDG a été relevé de ses fonctions dimanche matin, alors qu’il revenait d’une mission en Italie.

Trois navires de la compagnie ont été saisis en Grèce par le partenaire Pharaon, qui réclame 12 millions d’euros de frais de réparation des bateaux que la Cnan lui a frétés.

La Compagnie nationale algérienne de navigation (Cnan) est au creux de la vague.

Après le licenciement de son ex-PDG, Ali Boumbar, (qui réclame à partir d’Anvers en Belgique, où il est installé depuis le mois de décembre dernier, une indemnisation de 110 000 euros pour licenciement abusif), c’est au tour de son remplaçant, Derrar Draa, d’être relevé de ses fonctions après deux mois seulement de son installation à la tête du groupe.

Une réunion extraordinaire du conseil d’administration de la filiale Cnan Med, dont il est le directeur général, a été convoquée pour aujourd’hui pour lui sceller son sort.

Les autorités ont déjà installé Mme Younès, directrice du juridique en tant qu’intérimaire au poste de PDG du groupe Cnan, en attendant de nommer un nouveau DG à la tête de la filiale Cnan Med, dans laquelle l’Italien Darrio Perioli est partenaire à 49%.

Ces décisions interviennent alors que des inspecteurs de l’IGF et les gendarmes passent au peigne fin la gestion du groupe, entachée par de graves anomalies, dont les implications vont dépasser les cadres de la compagnie.

En effet, à en croire des sources proches de l’enquête, la mission de l’IGF s’est retrouvée tellement dépassée par la gravité de la situation que l’équipe a été renforcée récemment pour ouvrir de nouveaux dossiers, qualifiés par certains cadres de la Cnan, d’explosifs.

Pourtant, la compagnie a vu passer au moins six missions d’inspection de l’IGF, dont les rapports n’ont rien signalé.

Ce qui a poussé leurs responsables à remettre en cause leurs rapports et à ouvrir une enquête sur les conditions dans lesquelles a eu lieu leur mission d’inspection sur les arrêts techniques du navire El Hadjar, et sa réparation dans un chantier naval en Roumanie.

Les frais de voyage des inspecteurs ont été pris en charge par la compagnie maritime dont quatre dirigeants, parmi lesquels le directeur général, ont pris part au déplacement, avec l’accord du président du Holding Gestramar, Senousi, relevé de son poste, il y a plus de deux mois.

L’autre anomalie jugée extrêmement grave est liée à l’ouverture (en début 2000) et la gestion par les dirigeants de la Cnan d’un compte à Dubaï (mouvementé à plusieurs reprises), sans aucune autorisation de la Banque d’Algérie.

Ce qui s’apparente à « une caisse noire », à partir du moment qu’il a été crédité et débité sans aucun bilan ou document officiel.

Les enquêteurs ont par ailleurs ouvert le lourd dossier de la fermeture en 2008 de la délégation de Marseille, créée, faut-il le rappeler, par décret présidentiel, et la création, moins de deux mois après, d’une autre compagnie Navi Med, dont l’ancien DG, Ali Boumbar, actionnaire en tant que personne physique, est membre du conseil de direction.

Navi Med a été constituée avec trois agents maritimes, Navitrans pour la partie française, Transcoma pour l’Espagne et Dario Perioli, lequel est également actionnaire de Cnan Med à raison de 50% (la Cnan 49% et un Algérien 1%), et dont Derrar Draa, est directeur général.

La liquidation du bureau de Marseille a été décidée sans aucun motif et sans respect de la réglementation, alors que la nouvelle compagnie née de « ses entrailles » a raflé tout son plan de charge, puisque la consignation des navires de sa filiale Cnan Méditerranée (Cnan Med), dont est actionnaire majoritaire Dario Perioli, lui a été confiée.

Ses archives documentaires ont été stockées dans un container au port de Marseille, pour être occasionnellement utilisée par Navi Med.

Pis, le compte de la délégation a continué à enregistrer des mouvements, alors qu’elle avait fermé totalement ses portes depuis des mois.

Des contrats pour préserver les intérêts des partenaires étrangers

Ce qui a amené les enquêteurs à revoir les contrats de partenariat avec Dario Perioli, actionnaire majoritaire de Cnan Med, qui détient le privilège du choix des chantiers de réparation des navires de la filiale, lui qui est actionnaire de la société de réparation Casa Del Motoros.

Pour tout le monde, les contrats de partenariat ont privilégié les intérêts des partenaires étrangers et non ceux de la Cnan.

Pour preuve, cette grande polémique qui envenime les relations entre l’égyptien Pharaon, qui a racheté 51% du capital de la filiale International Bulk Carriers (IBC).

Ces actions sont détenues à 24,5% par le saoudien Mouneim Pharaon, à 24,5% par le jordanien Dadjani et à 2% par l’algérien Laradji Mustapha.

Ces 2% ont une signification : conserver la majorité du capital entre les mains d’actionnaires nationaux et maintenir ainsi les navires sous pavillon algérien.

Néanmoins, Pharaon auquel les navires ont été frétés à raison de 810 USD/ jour, pour une période de 5 ans, réclame 12 millions d’euros, représentant, selon lui, les frais de réparation des navires dans des chantiers qu’il a lui-même choisis.

La compagnie a jugé le montant excessif, étant donné que c’est à elle que revient le paiement des factures de réparation.

Pharaon a alors exigé d’accepter l’une des trois propositions : racheter les parts de Pharaon, céder ses parts à ce dernier ou accepter la désignation de trois experts pour faire l’évaluation des frais.

Confronté à l’intransigeance de la partie algérienne, Pharaon a saisi cette semaine trois navires de la compagnie en Grèce, Djbel Onk, Djbel Rafaa et Djbel Ksel. Une manière de s’assurer une garantie de paiement d’une facture, que tous estiment excessive.

Là également, la négociation du contrat de partenariat s’est faite dans des conditions suspicieuses.

Par ailleurs, l’IGF a déterré le dossier des affrètements de navires de transport de voyageurs, le Lato et le Millénium, par le groupe Cnan.

Pour le Lato par exemple, l’armateur réclame aujourd’hui une somme de 7,2 millions d’euros en menaçant de recourir aux tribunaux.

En fait, le Lato a été affrété pour une période de 3 ans, à raison de 58 000 dollars US/jour, mais il n’a été exploité que durant 4 mois, de la première année, avant que le contrat ne soit résilié.

Le navire, qualifié d’épave, a connu plusieurs pannes occasionnant une situation de crise à la veille du retour des vacances, obligeant les autorités à les prendre en charge.

La même crise a été engendrée par le Millénium, dont l’armateur réclame lui aussi 1,2 million d’euros à la compagnie de navigation, qui n’a pu l’exploiter, eu égard aux nombreuses pannes qui l’ont paralysé dès son exploitation.

Au niveau de la gestion interne, les inspecteurs se sont intéressés à la vente de nombreux véhicules neufs à des prix symboliques à quelques cadres dirigeants, par la procédure de gré à gré, alors que le règlement l’interdit.

La première opération de cession des véhicules anciens au personnel de la compagnie a d’ailleurs été faite en présence d’un commissaire-priseur, comme le stipule la loi.

En fait, la nouvelle équipe de l’IGF, qui vient d’être désignée pour la mission d’audit, n’a pas hésité à aller le plus loin possible dans le contrôle de la gestion de la compagnie et éviter les compromis qui ont fait qu’aujourd’hui la situation a atteint le pourrissement.

En effet, comment expliquer que les différentes missions de l’IGF n’ont rien décelé tout au long de leurs nombreuses opérations de contrôle ?

Pourquoi la SGP Gestramar a attendu jusqu’à ce que le pot aux roses soit découvert pour auditer les conditions dans lesquelles a eu lieu la dissolution des représentations de la Cnan, à Marseille, en Espagne, en Italie et en Turquie ?

Comment expliquer que le directeur de la délégation de Marseille se retrouve à la tête de Isa Anvers, en Belgique, (une filiale de la Cnan) sans aucune décision administrative ?

Comment se fait-il que les autorités aient pris autant de temps pour ouvrir des enquêtes approfondies sur la gestion d’une compagnie, représentant le pavillon national, alors que la presse avait fait état de nombreuses et graves anomalies de gestion ?